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Rubrique Contribution

Racisme à l’algérienne

 

Par Ahmed Tessa
Miss Algérie 2019 est une jeune femme originaire de la wilaya d'Adrar. Elle a été l'objet d'attaques abjectes de la part d’illuminés et de malades schizophrènes qui se sont attaqués à son teint de peau. Avec ce racisme indécent et visible, nous payons le prix fort de plusieurs décennies d'un système scolaire et d'un appareil culturel (médias, mosquées et autres institutions) qui ont ignoré la diversité culturelle, géographique et humaine de l'Algérie. Une diversité qui, pourtant, ne demande qu’à être une force et une richesse au service de notre développement. Mais est-ce seulement depuis l’élection de cette Miss Algérie 2019 que le racisme se donne à voir en spectacle chez nous ? La réaction maladive de nos racistes au sujet de notre Miss 2019 a fait les choux gras de la presse étrangère.
Qui se souvient d’Algérie Actualité ? La défunte publication hebdomadaire avait publié, vers la fin des années 1980, un dossier au titre prémonitoire — à la limite de la provocation pour les bien-pensants : «L’Algérien est-il raciste ?» Sur le terrain, pour les besoins des reportages et des enquêtes, d’excellents journalistes étaient engagés pour restituer l’état des lieux de ce fléau qu’est le racisme. Résultat sans appel ! Aux quatre points cardinaux du pays, le virus avait pris souche avec des tendances à l’esclavagisme dans des cas précis et isolés — heureusement. Certes, ce fléau n’avait pas atteint des proportions alarmantes. Toutefois, il était bien là, en hibernation, dans l’attente d’un contexte politico-social propice pour se démultiplier. Et envahir la société dans ses moindres segments. La lugubre occasion se présentera une trentaine d’années plus tard.
En juin 2017, une chaîne privée algérienne envoie un de ses journalistes auprès de réfugiés originaires d’Afrique subsaharienne. Voici, en brut, le commentaire qui tournera en boucle à des heures de grande écoute : «Ces réfugiés subsahariens refusent de travailler et préfèrent mendier. Quand ils acceptent un travail, ils exigent des tarifs.» Est-ce vrai ? Est-ce une information fondée et généralisable à tous ces milliers de réfugiés ? Faux ! Quiconque en Algérie pourra constater de visu le contraire. Ces exilés de la misère ne sont pas venus chez nous de gaieté de cœur. Des milliers de nos compatriotes ont bien pris le chemin de la France et de la Belgique par nécessité impérieuse, il y a de cela des décennies. Et qui pourra nier le fait que c’est grâce à ces «damnés de la terre» que nos chantiers ADDL et LPP ont été relancés – par faute (et refus) de main-d’œuvre locale. Ils sont une aubaine pour de riches particuliers qui font appel à eux pour divers travaux : construction de villas, rénovation, agriculture, petits métiers… Pourtant, on ne cesse de crier que l’Algérie est un pays de jeunes désœuvrés ! Il est vrai que leurs femmes et leurs enfants mendient dans les rues et les lieux publics, à l’instar des familles syriennes, réfugiées elles aussi. Tiens, tiens ! Le reportage en question a passé sous silence ces familles syriennes. Le journaliste a braqué sa caméra seulement sur les Subsahariens. Existe-t-il des réfugiés «bien de peau» et d’autres «au faciès nuisible» ? Le lepenisme aurait-il traversé la Méditerranée pour atterrir chez nous ? Quand on sait le formatage des esprits (endoctrinement idéologique) qu’affectionnent certains médias lourds, les télévisions en particulier, il y a fort à parier qu’un tel reportage a donné des idées monstrueuses à des «superpatriotes», voire des «superreligieux» à l’affût pour déverser leur haine de l’autre. Reçu cinq sur cinq !
22 juin 2017 : Journée mondiale contre le racisme. Des Algériens la célèbrent à leur manière. Comme conséquence attendue du reportage de la TV privée, nous voici avec une fièvre raciste qui s’empare des réseaux sociaux. Cette catégorie d’Algériens tire à boulets rouges sur ces réfugiés subsahariens — y compris par des appels à la violence meurtrière. Des mensonges haineux sont publiés, les accusant, à tort, de tous ces maux «made in chez nous» et que notre société produits depuis longtemps. Du genre : «ils nous ramènent le sida» ; «ils volent et violent» ; «ils vendent du haschich» ; «ils font dans le charlatanisme et la prostitution»... Cette minorité d’enragés demande que ces «damnés de la terre» soient chassés du pays. Ah ! la belle solidarité en ce mois béni de Ramadhan 2017.1
Après l’inquisition linguistique de triste mémoire et l’inquisition religieuse (qui continue de nos jours), voilà l’inquisition raciale. Après les noirs de peau, à qui le tour ? Aux jaunes de peau ? Aux juifs ou ce qui en reste ? Aux chrétiens ? Aux handicapés ? Aux musulmans non pratiquants ? Aux artistes, intellectuels et autres scientifiques — déjà poussés à l’exil depuis belle lurette ? Voilà le pays de Larbi Ben M’hidi et de nos millions de chouhada devenu la proie de nazillons en herbe fortement médiatisés pour devenir demain des monstres. Il est vrai qu’ils n’ont pas été nourris comme il se doit aux valeurs de la tolérance, de l’ouverture d’esprit, du respect des autres cultures et des autres religions.
Savent-ils qu’au XIXe siècle, l’Emir Abdelkader avait sauvé et protégé dans sa demeure de Damas des milliers de chrétiens pourchassés par des fanatiques wahhabistes ? Tenez, en parlant des chouhada, il est bizarre que des chaînes TV privées se soient murées dans un mutisme énigmatique devant l’insulte proférée contre notre glorieuse révolution par l’émir d’Echarkya (Emirats arabes unis), il y a de cela quelques mois. Juste un brin d’information pour sauver la face. Alors que certaines d’entre elles (ces TV) ont l’habitude de mener des lynchages médiatiques contre d’honnêtes Algériens — et des jours durant.
On sait que le racisme a toujours existé dans les pays dits développés : les Maghrébins d’Europe en ont fait les frais, assassinés pour certains. Aux États-Unis, Martin Luther King l’a payé de sa vie. Mais qui aurait pu penser retrouver ce fléau triomphant auprès d’une minorité de la population des pays arabes et d’Algérie ? Des pays qui, pourtant, se revendiquent d’une religion de tolérance et de paix.

Racisme arabe
Il y a de cela une année, la TV France 24 arabophone a organisé une table ronde autour du thème : «Les Arabes sont-ils racistes ?» Sur le plateau, un Marocain, un Mauritanien, un Soudanais et une Tunisienne militante des droits de l’Homme dans son pays. Des critiques et des accusations documentées sont lancées contre leurs sociétés. Certains d’entre eux ont vécu dans leur chair les sarcasmes, le rejet et l’indifférence. Nous apprenons qu’en Mauritanie, République islamique de surcroît, l’esclavagisme est toujours pratiqué par une minorité de familles arabes dites «nobles». Et ce, malgré une loi l’interdisant et une mobilisation permanente de la frange éclairée de la société. L’intervenant marocain a pointé du doigt l’exclusion des femmes et des hommes de couleur dans les médias, les écrans de TV notamment, et dans la représentation politique, gouvernement et APN, ainsi que leur dévalorisation dans les films et les productions télévisées. Il dira plein de dépit : «comme quoi, il subsiste toujours chez les Arabes le syndrome holywoodien qui confine les Non-Blancs dans des rôles de ‘’méchants’’ ou de ‘‘servantes’’.»
Quant au Soudanais, il fera porter le chapeau aux systèmes éducatifs de ces pays : «les concepteurs des programmes et des manuels scolaires irriguent les esprits juvéniles de l’idéologie wahhabiste faite d’intolérance et de rejet de l’autre (ce sont ses termes).». Il est vrai que dans certaines disciplines scolaires, les programmes de certains pays véhiculent des idées wahhabistes, contraires à la lettre et à l’esprit de la citoyenneté universelle. Se contentant non d’éduquer mais de dresser les esprits à des fins d’endoctrinement idéologique. N’est-ce pas que des générations d’élèves algériens ont ingurgité cette «pédagogie noire» pendant des décennies ? Ne pas l’oublier ! Effet boomerang : ces derniers temps, au pays du wahhabisme triomphant ( Arabie Saoudite), des voix s’élèvent pour supprimer cette discipline scolaire pompeusement appelée «éducation islamique». Invitée en duplex à partir de Tunis, la militante tunisienne lancera un appel aux sociétés civiles des pays arabes pour qu’elles pèsent sur leurs régimes politiques afin de promulguer des textes criminalisant le racisme, l’esclavagisme et toute manifestation d’intolérance. Comme c’est le cas dans les pays occidentaux. Et d’ajouter : «L’Islam est une religion de paix et de tolérance qui a interdit le racisme et l’esclavagisme tout en célébrant l’humanisme.» De même que les Constitutions de nombreux pays arabes stipulent clairement le rejet et l’interdiction de ces fléaux générés par l’être humain quand il s’investit — pour des raisons idéologiques souvent — dans la barbarie et la sauvagerie. Mais il reste à élaborer des textes d’application de ces dispositions constitutionnelles.
Toujours au sujet de racisme aggravé, c’est de Bruxelles, en Belgique, que nous vient une information inédite. En juin 2017, le parquet de cette ville a condamné huit princesses des Emirats arabes unis pour faits d’esclavagisme et de mauvais traitements. Les plaignantes/victimes sont des servantes et femmes de chambre qui étaient à leur service dans le luxueux hôtel réquisitionné pour un séjour touristique dans la capitale de la bière et des moules frites.
Une piètre image de leur pays et de leur religion est ainsi offerte au monde entier par ces irresponsables princesses. Des caprices de prince(esse), il y en a à gogo. Au Qatar, pour ne citer que ce pays, les passeports des petites mains africaines et asiatiques (Bengladaises, Népalaises, Philippines) et… Maghrébines sont confisqués dès leur recrutement au service des riches familles autochtones. Exemple parlant : le scandale des ouvriers des chantiers affectés à la construction des infrastructures programmées pour la Coupe du monde de football de 2022 à Doha. Des conditions de vie et de travail inhumaines dénoncées depuis longtemps par des ONG et qui ont entraîné de nombreux morts parmi les malheureux ouvriers. Quant aux cadres et dirigeants étrangers de ces sociétés européennes et américaines en charge des réalisations, ils sont chouchoutés dans de luxueux hôtels. Il est vrai que la couleur de leurs passeports et de leur peau sert de visa. Dans ce pays, même les footballeurs professionnels originaires d’Afrique ne sont pas épargnés. En font foi les déclarations de Abdeslam Ouaddou, footballeur marocain malmené au Qatar : «Au Qatar, j’ai été traité comme un esclave.» Toujours sur le même thème, un pavé vient d’être jeté dans la mare des pays de la péninsule Arabique. Il s’agit d’un livre paru en mai 2017, L’appel de la lune, écrit par Tidiane N’daye, anthropologue et historien africain.
Il relate la souffrance des peuplades noires d’Afrique de l’Est (Somalie, Tanzanie, Zanzibar...) soumises à l’esclavagisme pendant des siècles par les marchands et négociants arabes. Par devoir de mémoire, l’auteur rappelle ces douloureux épisodes historiques pour les associer à de similaires orchestrés en Afrique de l’Ouest par la barbarie colonialiste (Amérique, France…). Il citera Ibn Khaldoun, contemporain de ces marchands d’hommes et de femmes. Selon l’auteur du livre, l’illustre sociologue n’avait pas dénoncé cet infâme commerce dans ses écrits, pour la simple raison que l’esclavagisme était incrusté dans les mœurs culturelles de l’époque.
Ces faits avérés nous interpellent. Il ne s’agit pas de culpabiliser outre mesure. Bien sûr que les racistes et les intolérants sont dans nos murs. Ils sont la minorité… bruyante et dangereuse car puissamment soutenue médiatiquement. La société a une grande responsabilité. Son élite, les médias, les politiques (pouvoir et opposition) doivent se questionner : que s’est-il passé dans notre société, connue pour son hospitalité légendaire, pour que le racisme et l’intolérance se déclarent de la sorte ? La pauvreté rampante ? Le chômage et l’injustice sociale ? L’impact, sur le moyen et le long termes, induit par des programmes et des manuels scolaires infestés d’intolérance et de rejet de l’autre et qui ont nourri des générations d’élèves ? Les dérives de prêches enflammés délivrés dans certaines mosquées, sur les réseaux sociaux et par des pseudo-imams «hyper médiatisés» ? Le refus de la modernité couplé au charlatanisme ? La noyade, corps et âme, de notre société dans le wahhabisme, idéologie politique qui se sert de la religion comme paravent ? La réponse est à chercher dans toutes ces questions.
Quant aux racistes et intolérants invétérés que les pays arabes et l’Algérie ont enfantés, ils traduisent la face la plus laide de l’hypocrisie sociale. Ils aiment dénoncer les «ratonnades» des ultra-droites européennes, les traitant de kouffar, tout en faisant pire chez eux. A chacun son bouc émissaire : les Maghrébins et les musulmans là-bas, et les Subsahariens et d’autres compatriotes ici en Algérie. Toute honte bue, ces Arabes et ces Algériens — heureusement minoritaires — affichent leur hypocrisie. D’un côté, ils se revendiquent de cet Islam de paix qui, le premier, a affranchi les esclaves, et de l’autre, ils commettent des actes et des pratiques quotidiens contraires aux prescriptions de leur religion «faussement adorée».
Elle est pertinente cette proposition récemment avancée par Amin Zaoui et un groupe d’écrivains : une loi — qui ne serait que conforme à notre Constitution — doit être votée afin de sévir contre ces pratiques bestiales. Il est aussi indispensable de revoir de fond en comble et le discours religieux officiel et les contenus de certaines matières scolaires : une urgence signalée par des intellectuels et spécialistes arabes de renom. Ne sont-ils pas les mieux placés pour situer l’origine de ce fléau (le racisme) qui gangrène notre société ?
A. T.

 

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