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Réunion du Néguev : le mirage politique du désert

Par Mostefa Zeghlache, ancien diplomate
Alors que la question palestinienne semble avoir disparu du radar des préoccupations israélo-américano-arabes depuis longtemps, notamment depuis 2020, année de signature des premiers accords d’Abraham, l’Administration Biden tente de faire passer auprès de ses alliés, d’abord israélien et subsidiairement arabes, la «pilule» d’un accord américano-iranien sur le programme nucléaire iranien, obsession permanente d’Israël et hantise des pays arabes du Golfe auxquels s’ajoutent l’Égypte et le Maroc. Rassurer Israël et ses alliés arabes et les maintenir dans le sillage de la stratégie américaine développée lors des entretiens indirects à Vienne (via l’Union européenne) avec l’Iran constituent les points forts de la présence de Blinken à la réunion ministérielle qui s’est déroulée à huis clos dans un kibboutz, au Néguev, en mars 2022.
C’est dans cette perspective qu’est intervenue la récente tournée du secrétaire d’État américain au Moyen-Orient, et c’est à l’initiative de l’Administration US que s’est tenue, les 27 et 28 mars 2022, au kibboutz Sde Boker, au Néguev, un haut lieu du sionisme, une réunion, qualifiée, à tort, par une certaine presse, de «sommet», alors qu’il s’agit d’une réunion ministérielle. Elle a rassemblé le secrétaire d’État américain et les ministres des Affaires étrangères bahreïni, émirati, marocain, égyptien et israélien.
Ignorant la question palestinienne, la rencontre était consacrée au programme nucléaire iranien et «ses conséquences sur la région» et «les retombées économiques et énergétiques de la guerre en Ukraine».
En fait, l’ordre du jour de la réunion reposait essentiellement sur les préoccupations israélo-arabes sur la perspective d’un nouvel accord sur la relance du programme nucléaire iranien dans le cadre du Plan d’action global conjoint (JCPOA en anglais) de 2015 qui devrait permettre une levée progressive des sanctions américaines et autres à l’encontre de l’Iran et renforcer les contrôles de l’AIEA du processus d’enrichissement de l’uranium par l’Iran, afin de ne pas permettre à ce pays de se doter de l’arme nucléaire.
La Maison-Blanche est convaincue que le retrait américain de l’accord de 2015, décidé par Trump, a été contre-productif et a plutôt rapproché Téhéran plus que jamais auparavant de l’«arme nucléaire» et que les sanctions ont, certes, perturbé le pouvoir à cause des retombées économiques et sociales sur le peuple iranien, mais l’ont finalement renforcé. L’Administration Biden est persuadée que «l’échec à conclure l’accord sur le nucléaire conduira très probablement à une escalade imprévisible et possiblement incontrôlable, et presque certainement à une flambée des prix du pétrole et du gaz».
Le régime sioniste n’a jamais caché sa haine du pouvoir iranien et la question du nucléaire n’est qu’un alibi pour contrer Téhéran. Mais le retour aux négociations irano-américaines sur ce programme par la voie indirecte et la perspective d’un accord à ce sujet perturbent la stratégie israélienne dans la région. Cependant, si la nouvelle équipe dirigeante à Tel-Aviv semble aujourd’hui faire contre mauvaise fortune, bon cœur en acceptant, à demi-mot, le processus en cours à Vienne, ce n’est rien d’autre que pour engranger des gains autant politiques que financiers et militaires que devront lui «apporter» les Occidentaux, États-Unis en tête, et les «nouveaux alliés» arabes. C’est dans ce contexte que se situe cette réunion du Néguev.
À l’ouverture des travaux de la conférence le 27 mars, le MAE israélien, parlant de la «raison d’être» de la nouvelle alliance tripartite (américano-israélo-arabe) qui se forge autour de cette conférence, a déclaré : «Nous écrivons ici l'histoire, bâtissons une nouvelle architecture basée sur le progrès, la technologie, la tolérance religieuse, la sécurité et le renseignement (...) Cela intimide, dissuade nos ennemis communs, en premier lieu l'Iran.» Un discours révélateur des intentions du pays hôte.
À l’issue de la réunion, le 28 mars, une conférence de presse a été organisée, durant laquelle les participants ont fait le bilan des travaux et évoqué un nouveau cadre de coopération, notamment sécuritaire, orientée vers l’endiguement de la puissance iranienne, la marginalisation de la question palestinienne et le renforcement de l’hégémonie israélo-américaine sur la région.
À cette occasion, usant de la mystique et cherchant visiblement à marquer l’imaginaire de ses hôtes, le MAE israélien leur déclare : «Nous travaillons ensemble pour vaincre les forces des ténèbres et construire un nouvel avenir.»
Pour sa part, dans son allocution, le MAE émirati a fait part de ses regrets pour le temps «perdu» depuis l'accord de paix entre Israël et l'Égypte, soit 43 ans. Pour ne pas se singulariser de la stratégie va-t-en-guerre en vogue chez les autres participants, le ministre conclut : «Nous voulons barrer la route à la haine et au terrorisme, et nous gagnerons sans aucun doute.»
Quant au MAE égyptien, il a rappelé l’engagement de son pays «à combattre l'extrémisme et le terrorisme et assurer la paix et la sécurité dans notre région». Il a réitéré son soutien au processus de paix palestino-israélien qui, selon lui, vise à «préserver la crédibilité de la solution à deux États, sur la base des frontières de 1967, avec Jérusalem-Est capitale de l'État palestinien».
Le ministre marocain des AE lui a fait écho en déclarant que son pays soutenait lui aussi «une solution à deux États… vivant côte à côte et Jérusalem-Est étant la capitale des Palestiniens».
Pour le MAE bahreïni, cette rencontre «vient à point nommé pour s'appuyer sur l'histoire et la réalisation des accords d'Abraham, pour mener la prospérité dans la région». Il énumère les «défis» à relever, à savoir les «attaques des Houthis, la menace du Hezbollah» et le dossier nucléaire iranien.
Paradoxalement, le secrétaire d’Etat américain a été le seul à évoquer clairement la question palestinienne en avertissant les autres ministres que «ces accords de paix régionaux ne remplacent pas le processus de paix entre Palestiniens et Israéliens». Bien au contraire, il a précisé que «l'une des questions dont nous avons discuté aujourd'hui était de savoir comment les pays impliqués dans les accords d'Abraham et la normalisation, ainsi que ceux qui entretiennent des relations diplomatiques de longue date avec Israël peuvent soutenir concrètement l'Autorité palestinienne et le peuple palestinien et avoir un impact positif sur la vie quotidienne des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza». Ce sont ces propos qu’il avait tenus devant le Président de l’Autorité palestinienne auquel il avait rendu visite la veille, à Ramallah.
Cependant, le discours du ministre israélien qui fait référence à une alliance contre les «ennemis communs» fait néanmoins la distinction nette entre l’«amitié» avec les Etats-Unis et le «voisinage» avec les pays arabes représentés à la conférence. «En tant que voisins et, dans le cas des états-Unis, en tant qu'amis, nous travaillerons ensemble pour faire face aux défis communs et aux menaces auxquels nous sommes confrontés, y compris en provenance de l'Iran et des milices soutenues par Téhéran dans plusieurs pays de la région», a-t-il précisé.
Le 27 mars et avant de se rendre à la réunion du Néguev, le MAE américain s’était rendu à Ramallah pour rencontrer le Président palestinien Mahmoud Abbas et lui réaffirmer l’engagement américain en faveur de la solution de deux Etats. Pour sa part, le Président palestinien a critiqué la politique de «deux poids, deux mesures» des Occidentaux qui imposent des sanctions à la Russie au nom de la légalité internationale, mais oublient d’en faire autant contre «Israël pour ses crimes contre les Palestiniens».
Au moment où la conférence s’achevait, le roi Abdallah II de Jordanie effectuait, lui aussi, une visite de 2 heures à Ramallah, en Cisjordanie occupée, pour rencontrer le président palestinien. Pour la presse, la visite était destinée à «éviter de nouvelles tensions au moment du Ramadhan», sauf que le roi a tenu, dans sa déclaration, surtout à réaffirmer le soutien de la Jordanie aux Palestiniens, non conviés à la réunion du Néguev.
À cette occasion, le roi a déclaré que «la région ne peut pas jouir de sécurité ou de stabilité sans une solution juste et globale à la question palestinienne, sur la base d'une solution à deux États». Il a ajouté : «Nous sommes ici pour vous entendre, pour savoir ce qu'il est nécessaire que la Jordanie fasse pour atténuer les défis et les obstacles auxquels vous faites face.»
Un évènement est survenu pour dissiper l’apparente sérénité affichée lors de la rencontre et rappeler les participants à la réunion du Néguev à la réalité. Deux policiers israéliens ont été abattus par un résistant palestinien à Hadera, le jour même où débutait la réunion en question. À cet effet, le MAE israélien s’est empressé de déclarer que «tous les ministres des Affaires étrangères ont condamné l'attaque et demandé d'adresser leurs condoléances aux familles et leurs meilleurs vœux pour le rétablissement des blessés». Usant du seul langage guerrier que connaissent les dirigeants israéliens, il a ajouté qu’Israël est «un pays fort qui ne se soumettra pas au terrorisme». Ce qui apparemment a inspiré le MAE marocain pour déclarer, «notre présence ici est la meilleure réponse à cette attaque», appelant à ce que «fleurisse un esprit du Néguev, celui de la coexistence».
En accueillant cette conférence, en principe consacrée à un thème d’actualité, le programme nucléaire iranien, les organisateurs ont voulu «faire fructifier l’évènement à leur intérêt exclusif».
La décision de structurer cette rencontre qualifiée par le MAE israélien de «percée historique» devrait se matérialiser par une sorte de forum permanent basé sur les «capacités conjointes» des pays membres et destiné, selon lui, à «intimider et dissuader nos ennemis communs, en premier lieu l'Iran et ses mandataires».
Néanmoins, il n’omet pas de tenir compte de l’approche américaine qui persiste à faire le lien entre les accords dits d’Abraham et la résolution de la question palestinienne.
Le ministre israélien conclut qu’«en coopération avec notre ami le plus proche, les États-Unis, nous ouvrons aujourd'hui la porte à tous les peuples de la région, y compris les Palestiniens, en leur proposant de délaisser la voie de la terreur et de la destruction pour un avenir partagé de progrès et de succès». il n’est, encore une fois, nullement question d’état palestinien libre, comme l’ont exprimé les autres participants à la rencontre du Néguev.
Comme à l’accoutumée, la violence qui a coûté la vie à 13 Israéliens et à nettement plus de vies palestiniennes dont des femmes dès la veille du Ramadhan et de la Pessah, la Pâque juive, n’incite nullement les colonisateurs sionistes à reconnaître l’échec de la voie militaire qui ne mène jamais à la paix à laquelle aspirent tous les peuples de la région. Mais l’obsession israélienne pour la violence est devenue une nature, comme l’atteste l’appel du Premier ministre israélien, le 30 mars, aux «détenteurs de permis d'armes à feu à les porter sur eux».
Pour sa part, la droite extrémiste israélienne «réclame des mesures extraordinaires» contre le peuple palestinien. L’armée a fait appel aux réservistes et lance, avec les services de sécurité, une vaste opération de répression «Waive breaker» (Brise lame) pour réprimer la résistance palestinienne et cerner l’ensemble des territoires palestiniens, notamment la Mosquée d’El Aqsa.
La présence des ministres arabes à cette réunion est un indice clair que certains pays arabes, jadis ennemis d’Israël, sont entrés dans le jeu de cette dernière consistant en la normalisation sans céder sur la négation des droits légitimes du peuple palestinien tels qu’ils lui sont reconnus par la communauté internationale.
Loin de plier devant la répression, la résistance palestinienne, notamment les manifestations populaires, connaissent actuellement un regain de vivacité malgré le nombre élevé, continu et quotidien de martyrs.
La propagande sioniste cherche à tout prix à discréditer les actes de résistance palestinienne en les assimilant à des actes terroristes et djihadistes. Elle se réfère à une prétendue revendication par l’organisation de l’état islamique (Daesh) de la revendication des deux actions menées les 22 et 27 mars dans le Néguev et à Hadera. La presse israélienne conclut que ces attaques sont d’ordre djihadiste mais pas nationaliste, une façon comme une autre de dire qu’elles sont d’ordre terroriste.
Du côté palestinien, si à Ramallah le Fatah a condamné «l’assassinat de civils palestiniens et israéliens (qui) ne fait que mener à plus de violence», le Hamas a plutôt félicité les assaillants estimant que cette situation est la «conséquence naturelle des crimes de l’occupation».
Ainsi, malgré les représailles politiques, militaires, sécuritaires, économiques, financières… que la force d’occupation fait subir au peuple palestinien, notamment dans l’enclave de Gaza, la résistance nationale ne fléchit jamais. Les pierres de l’Intifada n’ayant apparemment pas dissuadé l’occupant, la jeunesse palestinienne a recours à de simples ustensiles de cuisine pour rappeler à quiconque voudrait l’oublier que le peuple palestinien est une réalité incontournable et vivante sans laquelle aucune initiative de paix n’est possible et réalisable au Moyen- Orient.
Pour revenir à la réunion du Néguev que la presse israélienne qualifie de «succès diplomatique», est-il nécessaire de souligner qu’elle s’est tenue «comme par hasard» le jour même du 20e anniversaire de l’Initiative de paix de la Ligue arabe ? En pareille circonstance politique, il n’y a pas de place pour le hasard. C’est une manière subreptice de rappeler aux «hôtes arabes» l’échec de leur initiative de paix de 2002.
Pourtant, un bref détour vers cette initiative du sommet arabe de Beyrouth en 2002, confirmée au sommet de Riyad de 2007, nous rappelle qu’elle avait «pour objectif de résoudre le conflit israélo-arabe en améliorant les relations entre Israël et le monde arabe, en échange du retrait total des Territoires occupés et d’une solution viable pour les réfugiés palestiniens…», avec la perspective de «signer un accord de paix avec Israël et instaurer la paix pour tous les États de la région» (Wikipédia). Une concession de taille historique avait été faite par les états arabes en faveur de la paix. Néanmoins, elle fut rejetée par les autorités israéliennes qui ne se sont même pas donné la peine de la faire examiner par la Knesset, avant de la rejeter.
L’Administration américaine qui avait applaudi à l’initiative a dû faire marche arrière, son allié lui ayant indiqué cette direction. Bien d’autres opportunités de paix (Madrid 1991, Oslo 1993, Wye Plantation 1995, Camp David 2000…) ont échoué à cause du refus de la force d’occupation de s’engager dans un réel processus de paix pour toute la région.
La conférence du Néguev fut, en fin de compte, «une réunion d’affaires» où chaque participant a tenté de faire valoir ses intérêts strictement nationaux sur le compte de la question centrale de la Palestine. À l’alliance américano-israélienne, le leadership et la coalition contre l’Iran ; au Maroc, la «marocanité» du Sahara Occidental ; au Bahreïn, la condamnation des Houthis et des chiites nationaux ; aux émiratis arabes unis, les affaires et le tourisme (300 000 Israéliens ont visité les EAU depuis l’accord, selon le MAE), et aux Égyptiens l’assistance économique et militaire américaine et des pays arabes du Golfe. La Palestine demeure oubliée, mais le peuple palestinien résiste. La situation qui prévaut dans les territoires occupés de Palestine en est la preuve.
Parler de sécurité et de stabilité de la région en se cachant derrière des questions comme le programme nucléaire iranien ou les conséquences de la crise ukrainienne ne peut voiler la réalité : en dehors d’une solution juste et durable de la question palestinienne, toute tentative d’établir la paix et la sécurité au Moyen-Orient n’est, en fin de compte, qu’un… mirage comme on en rencontre souvent dans le désert, y compris celui du Néguev.
M. Z. 

1- https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/ 20220328-le-roi-jordanien-abdallah-ii-rencontre-abbas-en-cisjordanie-occupee
2- https://www.liberation.fr/international/dans-le-desert-israelien-un-sommet-pour-lesprit-du-neguev-20220328_TF6PF4U5HFF73MMG2NWWWTOHZA/
3- https:/ /www. aa.com. tr/fr/monde/ isra%C3%ABl-le-sommet-du-neguev-devient-un-forum-annuel/2548134
4-https://www.la-croix.com/Monde/desert-Neguev-nouvelle-alliance-moyen-orientale-veut-contrer-lIran-2022-03-27-1201207297
5- http:// www.crif. org/fr/content/ israel-operation-wave-breaker-tsahal-et-les-forces-de-securite-visent-a-endiguer-la-montee

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