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Rubrique Contribution

Situation au Sahel : l’imbroglio (2e partie)

Par Mostefa Zeghlache
Finalement, on s’interroge si la multiplication des interventions militaires extra-africaines dotées de moyens militaires lourds et sophistiqués, alors que la tension ne cesse de croître avec son lot quotidien de victimes militaires et civiles tant dans les pays du G5S que dans des pays voisins comme le Nigeria où sévit Boko Haram, ne répond pas à un agenda autre que celui de parvenir à une paix durable au Sahel. C’est la question fondamentale qui se pose sur la politique poursuivie actuellement au Sahel par la France et ses alliés occidentaux.
D’abord, il y a lieu de souligner que les autorités comme certains analystes français mettent l’action sur la «jeunesse et la fraîcheur politique» de Macron qui n’est pas de la génération de l’ère coloniale, pour dire que la politique africaine est tout sauf liée au mythe néocolonial de la Françafrique. Et pourtant, les faits, surtout en Afrique francophone, démentent cela. Et c’est toujours à Bamako au sommet extraordinaire du G5S en 2017 que Macron a déclaré : «Mon prédécesseur a fait le choix courageux de venir en défense du Sahel, j’ai décidé de poursuivre cet engagement, de le confirmer et de le conformer.»(15) Qui a dit que la France a profondément changé de politique avec l’Afrique ? Sûrement pas le président Macron.
La stratégie française avec l’Afrique ne peut pas changer parce que Macron s’est montré «sympa» avec les étudiants à Ouagadougou en raillant leur président. Cela n’est pas de l’ouverture d’esprit, c’est toute une mentalité bien ancrée chez les dirigeants français, quels que soient l’époque, le lieu et… l’âge de ses dirigeants. Car «la France se croit investie d’une mission naturelle, voire divine de sauveur de l’Afrique francophone».(16)
Les intérêts géostratégiques et économiques de la France au Sahel sont importants. La société Areva en est le symbole le plus évident. Elle constitue un Etat dans l’Etat au Niger dont le président a reconnu, le 3 février 2013, que ce sont les forces spéciales françaises qui gardent le site d’exploitation d’uranium qui alimente les centrales nucléaires françaises et dont le Niger est le 4e producteur mondial.
Certains pensent, à tort, que la France soutient l’économie des pays du Sahel, notamment à travers l’aide publique au développement. Qu’on en juge : ce ne sont certainement pas les modestes 80 millions d’euros par an d’aide au développement octroyée à l’ensemble des 5 pays du G5S, auxquels se réfère le rapport de 2012 de la commission des affaires étrangères et de défense du Sénat, qui impressionnent, surtout comparés aux 650 à 700 millions par an que coûte l’opération Barkhane. Cette aide représentait en 2016 seulement 0,38% du revenu national brut de la France. Macron s’est engagé, en février 2018, à la porter à 0,55% en… 2022.
D’une manière générale, la France de Macron entend consacrer une part de l’aide publique au développement aux pays éligibles au renforcement de «politiques migratoires adaptées à leur situation».
En clair, il s’agit de promouvoir la politique de contrôle de l’émigration à la source ! Tout comme le fait, par exemple, la banque allemande de développement KfW qui finance des projets liés à l’émigration afin de «permettre aux migrants de rester chez eux». C’est le sens qu’accordent les pays occidentaux, la France en tête, à leur «solidarité» avec les pays du Sahel.
L’aide au développement occidentale s’identifie à de la charité qui est paradoxalement destinée plus à «engraisser» les responsables africains qu’à assister les citoyens à créer les condition d’un développement endogène et pérenne. La corruption, le clientélisme et la gabegie de la classe politique locale, majoritairement corrompue, sont encouragés par les puissances occidentales. Ces facteurs favorisent la marginalisation et la violence qui ont pris des proportions qui dépassent les capacités de résilience de ces Etats. La mauvaise gouvernance, l’autoritarisme des dirigeants et le refus du dialogue font le reste. Les interventions armées occidentales au Sahel comme partout ailleurs dans le monde ne constituent pas une solution aux problèmes des pays concernés, mais une manière de compliquer une situation qui l’est déjà, et pas seulement au plan sécuritaire. Telle semble être la conviction des autorités algériennes qui maintiennent leur armée hors du champ de bataille dès que celui-ci se situe hors des frontières nationales.
Pour cette raison et bien d’autres, les différentes tentatives françaises de faire participer l’Algérie au G5S ont toutes buté sur un refus catégorique. C’est le langage qui avait été tenu au président français lors de sa courte visite en Algérie le 7 décembre 2017. Il avait également reçu, en marge de sa visite, le vice-ministre de la Défense et chef d’état-major algérien pour la même raison et ce dernier, selon la presse, lui a rappelé la position algérienne à ce sujet.
Quels sont les arguments, déclarés ou non, qui fondent cette position ? Il y a d’abord les arguments officiels.
En effet, si l’on croit le site algérien d’information électronique TSA (17), le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, aurait déclaré à Paris, à l’issue de la tenue, en décembre 2017, du Comité algéro-français de haut niveau, que «l’Algérie a une barrière constitutionnelle qui fait que ses forces ne sortent jamais au-delà de ses propres frontières».
A notre connaissance, une telle disposition ne figure pas dans la Constitution (amendée) de 2016. Par contre, son article 28 stipule que l’ANP «est chargée d’assurer la défense de l’unité et de l’intégrité territoriale du pays, ainsi que la protection de son espace terrestre, de son espace aérien et des différentes zones de son domaine maritime». Donc l’article en question précise le champ d’action de l’ANP, mais n’interdit pas explicitement son étendue hors des frontières nationales, si besoin est. On est un peu surpris par l’interprétation restrictive d’une disposition constitutionnelle par un si haut responsable de l’Etat algérien.
De son côté, le ministre des Affaires étrangères se veut plus «souple» en parlant de «doctrine» pouvant désigner des «affirmations de principes» (doctrine Monroe, par exemple). En marge se sa participation au sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba, en janvier 2018, le ministre a déclaré : « Notre armée a une vocation de défense nationale.
C’est constitutionnel, c’est historique, c’est culturel…, les enfants de l’Algérie défendent leur pays…, on ne va pas dans d’autres pays…, c’est notre doctrine.»(18) Néanmoins, il faut être prudent avec ces concepts et dans ce cas précis, il serait plus approprié de parler de pratique établie que de disposition constitutionnelle ou de doctrine.
Pour rappel, les deux exceptions où l’Algérie a envoyé des troupes à l’extérieur des frontières nationales ont eu lieu lors des guerres arabo-israéliennes de juin 1967 et d’octobre 1973, dans le cadre du Traité de défense commune et de coopération internationale du 13 avril 1950, de la Ligue des Etats arabes à laquelle l’Algérie avait adhéré à l’indépendance, en 1962.
Il est utile d’ajouter que l’Algérie n’a pas fait et ne fait pas partie des coalitions militaires telles celles constituées lors des deux guerres en Irak, ou en Syrie par les Etats-Unis, ou par l’Arabie Saoudite au Yémen et pour lutter contre le terrorisme (28 novembre 2017)... Faut-il rappeler aussi que depuis l’évacuation de la base navale de Mers El Kebir par les Français en février 1968, il n’y a plus de base militaires étrangères en Algérie ? Et enfin, lorsque le survol du territoire national avait été accordé en 2013 à des avions militaires français, l’information avait soulevé l’indignation de l’opinion publique algérienne.
S’agissant du G5S, d’autres éléments sont à prendre en considération pour comprendre la position algérienne.
Dans ce contexte, et eu égard au poids du passé colonial, les relations algéro-françaises sont souvent empreintes de méfiance, surtout lorsqu’il est question de souveraineté dont la sécurité en est un élément essentiel. A Alger, on est conscient que «l’initiative du G5S, qui émane des pays concernés, a très clairement un tuteur français».
Par conséquent, les 5 pays du Groupe cherchent à bâtir une alliance militaire pilotée par l’ancien colonisateur» qui tend «à rendre durable la présence de troupes étrangères»(19) aux frontières algériennes longues de plus de 6 000 km avec six pays du Sahel. Une telle attitude ne correspond pas, selon Alger, à un signe de reconnaissance minimale pour les efforts politiques, économiques et militaires que l’Algérie consacre à ses voisins du Sud.
Pour preuve, le Premier ministre comme le MAE algériens ont tous deux rappelé lors du dernier sommet de l’UA et l’UE, en novembre 2017, que l’Algérie a octroyé 100 millions de dollars d’aide à 5 pays du Sahel, «sur 7 ou 8 ans». Le ministre des Affaires étrangères, M. Messahel, avait ajouté : «Nous aidons au renforcement des capacités (militaires) du Niger et du Mali. Nous formons des troupes d’élite au Mali, au Niger et dans d’autres pays de la région. Il s’agit de troupes spéciales formées à la lutte antiterroriste en territoire saharien.» L’assistance algérienne n’est pas que militaire. L’Algérie a aussi formé dans ses universités et grandes écoles plus de 65 000 cadres d’Afrique subsaharienne, majoritairement du Sahel. L’aide humanitaire en cas de catastrophe naturelle vers ces pays est régulière et importante. La zone frontalière avec le Mali qui partage 1 360 km de frontière avec l’Algérie est mise en valeur par un comité bilatéral frontalier qui réunit les walis d’Adrar et Tamanrasset et des gouverneurs des villes maliennes frontalières.
Par ailleurs, à un G5S extraverti par une tutelle extrarégionale, Alger aurait sans doute souhaité que l’initiative soit africaine, dans le cadre, par exemple, du Processus de Nouakchott, à condition que les moyens nécessaires, surtout financiers, soient réunis pour une telle mission. Car pour les autorités algériennes, comme le déclarait l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères, M. Lamamra, ce «processus promoteur constitue un élément central de la sécurité régionale».
En effet, qu’est-ce qui incite les responsables sahéliens à négliger ce cadre africain comme a été négligé le Comité d’état-major opérationnel conjoint (Cémoc) créé par l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger le 21 avril 2010 à Tamanrasset, pour «mener des opérations de localisation et de destruction des groupes terroristes» ? Cette négligence est-elle vraiment le reflet d’un choix souverain des Etats sahéliens, hors de toute influence extra-africaine ? Car si certains pensent que le Cémoc «n’a pas montré de résultats concluants»(20) ou est «une coquille vide» qui aurait favorisé la «création de nouvelles structures» comme le G5S (21) ou même a «entraîné l’intervention militaire française au Mali»(22), peu d’arguments sont développés pour expliquer cet «échec».
Aujourd’hui, la réalité est qu’à travers le Cémoc, c’est la politique algérienne au Sahel qui est la cible de critiques orientées de la part de certaines officines des pays du G5S comme ce site malien qui écrit que «le Cémoc n’est ni plus ni moins qu’un instrument au service exclusif de l’Algérie au détriment des autres pays membres qui servent soit de complice (la Mauritanie), soit de victime secondaire (le Niger) ou carrément la cible visée (le Mali).(23) Encore une fois, cette marque d’ingratitude envers l’Algérie est on ne peut plus insidieuse. Un autre site parlant de la prolifération de groupes terroristes dans la bande sahélo-saharienne écrit que «certains d’entre eux sont parrainés par Alger qui n’a pas levé le petit doigt (en janvier 2012) lorsque le Mali avait besoin de son aide pour stopper la progression des djihadistes».(24)
Les auteurs de ces assertions devraient plutôt inciter leurs responsables à s’inquiéter du sort de leurs concitoyens dont une grande partie se trouve en errance en Afrique du Nord, notamment en Algérie, où elle a fait de la mendicité un moyen de subsistance malgré sa prise en charge par les institutions algériennes compétentes.
La question de l’intervention ou pas de l’ANP hors du pays est importante pour la politique extérieure du pays. Elle transcende le seul aspect militaro-sécuritaire. Près de 56 ans après l’indépendance, il serait temps qu’elle soit examinée et débattue dans des cercles compétents de niveau universitaire entre experts civils et militaires afin de dégager une véritable doctrine qui ne soit pas dogmatique et qui prenne en considération les intérêts du pays qui évoluent avec le temps et les circonstances.
Cette question pourrait être débattue aussi au sein de l’Assemblée populaire nationale, si tant est que cette Assemblée peu représentative, car mal élue (taux officiel de participation : 38%) et majoritairement acquise à l’Exécutif, ait une quelconque disposition à vouloir en débattre sérieusement.
Car l’Algérie a besoin d’une vision plus claire et dynamique pour sa politique au Sahel et au sujet de sa participation limitée aux seuls observateurs et au soutien logistique aux forces de maintien de la paix ou d’interposition de l’ONU et de l’UA. Car il est pour le moins difficile de soutenir avec conviction son adhésion à la défense de la paix et la sécurité internationales et s’abstenir de contribuer à l’effort collectif de maintien de la paix dans le monde par l’envoi de troupes.
Au plan politique, la diplomatie algérienne a de tout temps pris en charge l’accompagnement des voisins du Sahel, en particulier le Mali, dans leur quête de la paix et du développement. Cette région constitue le prolongement naturel du pays par le Grand Sud. De plus, les remous qui secouent de temps à autre le Sahel risquent d’avoir une répercussion sur la stabilité et la sécurité d’une partie stratégique du territoire national.
L’épisode sanglant de l’attaque du complexe gazier de Tiguentourine, au Sud, en janvier 2013, rappelle à quel point cette région névralgique est devenue un terrain sensible pour l’expansion du terrorisme.
Parmi les nombreux jalons du déploiement de la diplomatie algérienne en faveur du Sahel signalons les accords concernant le nord du Mali, celui de Tamanrasset en 1991, le Pacte national en 1992 et les accords d’Alger de 2006 et de 2015. Malgré l’engagement ferme d’Alger et de la communauté internationale en faveur de leur mise en œuvre, ces tentatives d’instaurer la paix n’ont pas abouti. Pourquoi ? Pour y répondre, limitons-nous au dernier accord en date, celui qui a été signé à Bamako les 15 mai et 20 juin 2015, dans le cadre du processus de paix d’Alger qui avait commencé en juillet 2014 et dont l’Algérie préside le comité de suivi. Le constat est sans appel. Près de deux ans après sa signature, la crise demeure. Elle a même empiré à cause du terrorisme.
Certains observateurs s’accordent à dire que «le processus de mise en œuvre de l’accord est dans l’impasse», qu’«il se résume finalement à un cessez- le-feu», que «le processus de paix, à force de lenteur, est en train de perdre tout son sens» et que «déjà moribond, l’accord d’Alger risque de ne pas survivre et le Mali de ne pas émerger de sitôt du chaos…».(25)
Le constat paraît sévère, mais il reflète malheureusement la réalité dont ne profitent que les groupes salafistes armés qui agissent tout autant au nord et au centre du Mali qu’ailleurs comme à Ouagadougou.
Cet accord, comme les autres, engage d’abord l’Etat malien. Mais le plus surprenant, c’est qu’en dehors des déclarations de circonstances, les autorités de ce pays ne donnent pas l’impression de se préoccuper outre mesure de la lenteur de sa mise en œuvre. Cette attitude s’explique notamment par des calculs politiques en vue de la prochaine élection présidentielle, en juillet 2018, considérée comme la priorité de l’heure.
Il est connu que la majorité de la population malienne, donc des électeurs, réside au centre et au sud du pays. Or, il ne faut surtout pas s’aliéner le vote de ces régions où la simple évocation du nom de l’Azawad entraîne de «violentes controverses» et où la question de l’autonomie du Nord malien «fait l’objet de violentes discordes».(26)
L’Azawad, qui est la source même de la tension actuelle au Sahel, n’est donc pas la priorité pour la classe politique à Bamako. Pour preuve, le président malien explique le retard de mise en œuvre de l’accord qui prévoyait, au plan institutionnel, une révision constitutionnelle devant aboutir, entre autres, à la création d’un sénat «pour aider l’intégration des institutions traditionnelles et historiques», par «le tollé et le risque de manifestations et de morts» que cette révision aurait provoqués. Il laisse donc entendre que l’Etat a volontairement suspendu la mise en œuvre de l’accord pour répondre aux exigences d’une partie (la plus importante numériquement) du collège électoral opposée à toute concession politique aux populations du nord du pays.
D’ailleurs, le rapport final de la Conférence d’entente nationale de Bamako (27 mars-2 avril 2017) mentionne que «l’Azawad, renvoyant à des réalités culturelles, historiques et géographiques, ne peut – par conséquent — faire l’objet d’aucune revendication.
L’Azawad n’a jamais été une entité territoriale gérée par un organisme politique». Du côté touareg, le discours est autre. Un participant à ladite conférence, Iyad Ag Mohamed, considère que «le vrai problème, c’est qu’il existe des populations qui veulent disposer d’elles-mêmes sur les plans économique et politique parce qu’elles ont été discriminées pendant longtemps». Il ajoute : «Nous avons accepté l’intégrité territoriale, mais nous voulons un statut juridique et politique pour l’Azawad.»(27)
Discrimination et misère sont le lot quotidien dans la vie des Maliens du Nord qui vivent essentiellement de petit élevage et de contrebande. Finalement, face à une situation où l’animosité entre le Nord et le Sud est une dangereuse réalité de toujours, les responsables maliens donnent le sentiment que la réconciliation et l’application de l’accord (de 2015) ne les concernent pas», écrit dans le Monde électronique Bruno Joubert, ancien diplomate français. Il ajoute que «ces responsables ne savent faire ni la guerre ni la paix».
Par ailleurs, il estime, à juste titre, que si l’accord «n’est pas sans ambiguïté ni insuffisances…, un élan de bonne foi imprimé par les autorités maliennes aurait cependant été de nature à restaurer chez les populations du Nord la confiance dans la volonté du gouvernement de rechercher une pacification véritable. Il aurait permis de lancer le processus, même imparfait, permettant d’associer le Nord au pouvoir». Enfin, il estime que la communauté internationale dispose de moyens de pression pour se faire comprendre des autorités maliennes(28). Message reçu à l’ONU. Dans son rapport présenté en janvier au Conseil de Sécurité, le Secrétaire Général des Nations unies a regretté que «les principales dispositions de l’accord n’aient pas été appliquées».(29)
Le Conseil de Sécurité a sommé, le 24 janvier 2018, «les signataires de l’accord d’en relancer l’application, sous peine de sanctions». Un ultimatum (fin mars 2018) a été donné aux protagonistes pour reprendre le processus d’application de l’accord. Mais il n’y a pas que le Conseil de Sécurité qui soit irrité. Plus nuancé, le MAE algérien a tenté de faire comprendre aux dirigeants sahéliens la nécessité de compter sur eux-mêmes en rappelant que, sur la base de sa propre expérience d’«une décennie noire et après 200 000 morts», l’Algérie a compté sur ses propres forces pour s’en sortir. Il a ajouté que «compter sur soi est un facteur extrêmement important. On ne peut pas faire face au terrorisme…, s’il n’y a pas de véritable mobilisation à l’interne».(30)
Dans un entretien avec un journaliste de RFI, en janvier 2018, le ministre a souligné que le problème (du Mali) concerne d’abord les Maliens, c'est-à-dire toutes les parties signataires. Il faut que les Maliens s’approprient le processus de mise en œuvre des engagements qu’ils ont pris», a-t-il ajouté(31).
L’appel aux protagonistes pour respecter leurs engagements s’adresse surtout aux autorités maliennes et, derrière elles, à la France. Celle-ci, à travers le G5S, «prête trop d’attention à l’aspect militaire contre les djihadistes et pas assez au terreau qui les alimente», déclare Corinne Dufka, directrice-adjointe pour le Programme Afrique de Human Rights Watch(32).
Or, la vision d’Alger repose sur le dialogue inclusif entre nationaux avec un soutien international, particulièrement africain, dans un processus qui lie problématique de développement et sécurité. Selon Denia Chebli, de Paris I Panthéon et membre du programme européen «Social Dynamics of Civil Wars», «du point de vue des habitants du Nord- Mali, la présence des forces internationales a multiplié les tensions».(33)
Tandis qu’Aurélien Tobie, chercheur et chargé de mission pour l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm pense que «l’opinion malienne a changé vis-à-vis des troupes françaises» et que «les habitants ont le sentiment que la France collaborait avec des ennemis comme le MNLA».
Par ailleurs, selon une étude publiée en 2017 par la Fondation Friedrich-Ebert au Mali, seulement 48,6% des sondés déclarent leur satisfaction de l’opération Barkhane. Enfin, selon le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, «une opinion répandue au Niger et au Mali ou au Burkina Faso est que la France masque ses véritables objectifs au Sahel. De nombreux habitants accusent même Paris d’avoir volontairement déstabilisé le Sahel en renversant en Libye le colonel Kadhafi…
La France ne penserait qu’à ses propres intérêts et son intervention militaire ne répondrait pas aux causes profondes de la déstabilisation du Sahel et contribuerait à le maintenir dans le sous-développement».
L’étude ajoute que «Français et Américains mentiraient sur les raisons de leur présence allant jusqu’à entretenir la violence servant leurs intérêts».(34)
Voilà qui est on ne peut plus clair et auquel les responsables sahéliens et leurs alliés occidentaux, France en tête, devraient réfléchir. Si les responsables sahéliens misent constamment sur l’assistance étrangère, notamment française, ils risquent de perdre non seulement leur crédibilité envers leurs peuples, mais également la solidarité africaine. Les opérations militaires, mêmes sophistiquées, prouvent, chaque jour, leurs limites et la présence armée occidentale est contestée par les populations. A l’exaspération de la population répond la division des dirigeants sahéliens.
Interrogé sur la possibilité d’un dialogue avec Aqmi, le président I. B. Keita répond catégorique : «Ma réponse est un non ferme !» Et sur celle d’un dialogue avec Iyad Ag Ghali, il répond : «Pas question !»(35) Par contre, son homologue nigérien déclare qu’au Sahel «notre priorité est de restaurer l’autorité de l’Etat malien sur son territoire et de faire que cet Etat reste laïc. Au Niger, nous privilégions des approches complémentaires et je crois qu’il faut promouvoir des négociations quand on le peut»(36). La différence est de taille. Le dialogue entre les dirigeants sahéliens et leurs concitoyens du nord de la région, y compris ceux qui ont pris les armes, en excluant ceux qui cherchent à mettre en pratique des projets antinationaux au service d’intérêts et d’idéologies étrangers, doit reprendre pour aboutir à une paix permanente et consacrer le potentiel humain et économique de la région au service des seuls citoyens sahéliens. Car c’est bien l’échec des négociations au Mali qui avait permis la radicalisation de la rébellion touaregue par le passé. Concernant ce pays, en particulier, les responsables politiques devraient faire un bilan de leur gestion passée et actuelle de la crise multidimensionnelle qui secoue leur pays pour «en mesurer les acquis et surtout les limites. Et, à la place du tout-sécuritaire, une stratégie fondamentalement politique et assumée sur le long terme pourrait être mise en œuvre.
Elle nécessitera l’établissement d’un nouveau rapport de forces obligeant les hommes en armes à des négociations sérieuses, et permettra à la société civile de s’exprimer, de légitimer des institutions étatiques adaptées et d’élaborer un nouveau contrat social».(37)
La situation actuelle de blocage du processus politique de dialogue et de réconciliation et le choix porté sur l’action militaire peuvent mener à la perpétuation de l’instabilité régionale et à au maintien du Sahel dans le sous-développement.
M. Z.

Bibliographie

16- «La Françafrique, c’est du passé, dites-vous ? Pas si sûr ! Le cas centrafricain», notre contribution publiée dans Le Soir d’Algérie du 26 janvier 2014.
17- http://-tsa-algerie.com/adhesion-de-lalgerie-au-g5-sahel-ouyahia-evoque-une-barriere-constitutionnelle
18- http://m.rfi.fr/emissiion.20180126-algerie-mali-abdelkader-messahel-ministre-des-affaires-etrangeres-g5-sahel?ref=tw
19- http:// www. algerie- focus. com/2017/07/analyse-g5-sahel- role-lalgerie
20- http://www.tsa-algerie.com/une-guerre-contre-le-terrorisme-aux-portes-de-lalgerie-mais-sans-lalgerie
21- http://www.lematindz.net/news/25200-messahel-la-diplomatie-algerienne-et-la-strategie-de-la-france-au-sahel-fin.html
22-http://www.lematindalgerie.com/faut-il-dissoudre-le-comite-detat-major-operationnel-conjoint-cemoc
23- http://koulouba.com/politique/cooperaation/cemoc-de-qui-seèmoque-t-on
24-http://maliactu.net/mali-g5-sahel-la-derniere-cartouche
25- http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/accord-dalger-limpossible-application-2738814.html
26-27- http://www. tamoudre. org/touaregs/territoire/mali-tabou-nomme-azawad
28- http://www.tamoudre.org/touaregs/politique/responsables-maliens-donnent-sentiment-reconciliation-ne-les-concerne-pas
29- http://www.tsa-algerie.com/messahel-explique-de-nouveau-pourquoi-lalgerie-nengage-pas-ses-troupes-au-sahel
30- 31- http://www.rfi.fremission/20180126-algerie-mali-abdelkader-messahel-ministre-affaires-etrangeres-g5-sahel
32- http://www. lexpress. fr/actualite/ monde/afrique/au-mali-la-france-prete-trop-d-attention-au-militaire-pas-assez-au-terreau-du-djihadisme-_1909927.html
33- Dina Chebli : «L’échec de l’intervention française au Mali» in Libération du 27 juin 2017
34- Cité dans «Au Sahel, la colère sourde des populations contre les troupes françaises» par C. Belsœur et A. Tagan in Slate du 17.08.2017
35- http:/ /www. lemonde . fr/afrique/article/2018/02/22/ibrahim-boubakar-keita-pas-question-de-negocier-avec-les-djihadistes_5260800
36- http://www. tamoudre.org/geostratégie/president-niger-terrorisme-ne-peut-etre-vaincu-par-les-armes
37- http: //www. lemonde. fr/afrique/article/2017/12/08/le-mali-doit-redecouvrir-la-decision-democratique_5226891_3212.html

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