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Rubrique Contribution

LARBI BEN M'HIDI Une étoile dans la bataille d’Alger

Par Ali Akika, cinéaste 

De nombreux articles de presse ont fait part de leurs inquiétudes et condamnations sur l’intrusion d’un comité nommé par un ministère dans le montage final du film de Bachir Derraïs sur Ben M’hidi. Partout dans le monde, la relation entre le cinéaste et son producteur-financier majoritaire est l’objet d’un contrat en bonne et due forme portant sur tout le processus de la fabrication du film (y compris l’obligation des comédiens à participer à plan média de «publicité»). Mais chez nous, c’est le règne de l’improvisation et de l’à-peu-près où tout le monde a son petit mot à dire, comme si les tribunaux de commerce ou administratifs n’existaient pas. Passons ! Cette intrusion dans le champ de la liberté d'expression et de création en dit long sur les chemins qui restent à parcourir pour que s’épanouisse une vie culturelle et artistique digne de ce nom. Ce que révèle cette énième atteinte à cet arbre nommé liberté d'expression, ce sont les retombées sur les autres branches de l’arbre en question. Forcément, ces branches produiront des fruits rabougris (ou abîmés) si le tronc de l’arbre a été irrigué à la fois d’une eau polluée et orphelin de la lumière de la connaissance. Ces fruits ont pour nom l’Histoire et l’Art. Une histoire orpheline ne manque pas de parrains, les uns pour lui interdire de s’émanciper et de réclamer plus tard des comptes. Les autres pour plaire au Prince et attendre de lui des privilèges. Tout ce beau monde manipule ou ensevelit les faits historiques en racontant des contes de fées qui finissent par lasser les gens. Ceux-ci leur préfèrent les légendes (attention à ne pas confondre avec les rumeurs indigentes et indigestes des ignorants !). Car les légendes reposent sur des sujets historiques hors du commun et chantées par des imaginaires qui s’abreuvent aux sources fraîches et pétillantes de l’Art… Larbi Ben M’hidi est de ces combattants trempés dans de l’acier et dont l’esquisse de sa légende a été peinte par un artiste étranger, Gillo Pontecorvo, un ami de l’Algérie et des causes justes (je pense à son beau film anticolonialiste Queimada en 1969). Admirable et forte séquence de Larbi Ben M’hidi, dans le film la Bataille d’Alger. A ses côtés un colonel de l’armée coloniale engoncé dans sa tenue de parachutiste, Ben M’hidi répond du tac au tac à des journalistes qui l’interrogeaient sur les actes «terroristes» du FLN. Le regard franc et le sourire moqueur, Ben M’hidi lança à l’impertinent journaliste : «Donnez-nous vos bombardiers et on vous offre nos couffins.» Personnellement, je ne sais pas si cette phrase est apocryphe. En revanche, je sais que l’idée contenue dans cette phrase, on la doit à J.-P. Sartre dans sa préface des Damnés de la terre de Frantz Fanon. Et dans la bouche de Sartre, chantre de la philosophie de la Liberté pour qui tout homme exprime sa liberté par tous les moyens quand son oppresseur ne lui laisse aucun droit de faire respecter sa dignité. L’Histoire regorge de phrases qui disent plus de vérités que tous les essais des plus brillants des historiens. Mais pour cela, il faut que l’Histoire ébranle le monde ancien et annonce un autre monde, que les acteurs de ladite Histoire soient à la hauteur des bouleversements engendrés par l’Histoire en question. Jules César dans la Rome antique, Alexandre le Grand de la Grèce d’Homère, la Révolution française avec Robespierre et Napoléon Bonaparte, La révolution russe avec Lénine, Castro/Che Guevara avec Cuba et l’Algérie avec précisément Ben M’hidi dont le pays attend des films, des pièces de théâtre, des œuvres littéraires et artistiques (sculpture, peinture) en hommage à un digne enfant du peuple… Après l’Histoire, arrêtons-nous sur l’Art qui n’est pas prisonnier des poncifs et autres lieux communs mais «obéit» aux règles de la vraisemblance (Aristote). Le cinéma est un enfant de cette vraisemblance car il utilise des matériaux vivants au sens premier du terme, des paysages ruraux ou urbains, des comédiens en chair et en os, de la couleur, des sons, etc. Le réalisateur doit traiter ces matériaux avec son regard nourri d’une vision des choses. Il ne peut, en aucun cas, inventer ou cacher des choses qui dénaturent le rapport à la vérité historique. Comme par exemple faire parler un sujet filmé dans une autre langue (on sait pourquoi) que le sujet historique n’a jamais utilisé. La seule protection (ou «chance») d’un film repose en réalité sur le regard pertinent ou non du réalisateur et de la richesse de sa vision du monde. C’est la qualité de ces deux critères qui permettent de ranger un film dans la catégorie de «navets» fatalement emportés par les nuages du temps qui passe ou bien de faire partie de l’histoire du cinéma comme tant de films qui résistent à l’oubli malgré le tir de barrage de la critique à leur sortie en salle. Comme je n’ai pas vu le film de Bachir Derraïs, je ne peux porter un point de vue sur la qualité du film. Ce que je sais et peux comprendre, il est des secrets dans une guerre ou révolution que le Politique peut et doit protéger, c’est une évidence. En revanche quand l’eau a coulé depuis belle lurette sous tous les ponts d’un pays et que les faits sont aujourd’hui connus et reconnus, il est anormal de continuer à les cadenasser dans des tiroirs. C’est simplement une atteinte à la mémoire du pays et l’expression à la fois d’une peur de la VÉRITÉ et d’un mépris affiché aux yeux de ceux désirant connaître la vérité sur une période qui a produit des effets sur leur présent. Cette soif et ce droit de s’approprier l’Histoire de leur pays, les citoyens l’exigent. Ils veulent légitimement connaître la source de l’heur et des malheurs de leur présent. Dans la confusion des esprits et le règne de l’inculture que le pays traverse aujourd’hui, on confond scénario et film.(1) Les matériaux du scénario sont les mots une abstraction) ; ils ont leur propre rythme et leur propre musique alors que le film fait appel à d’autres matériaux physiques qui sont organisés selon des rapports «intimes», dialectiques qui accouchent de ce qu’on appelle une œuvre cinématographique. La querelle entre le scénario original et le film est souvent une fausse querelle. La seule question qui vaille est celle-ci : le producteur (le «financeur») du film retrouve- t-il ses petits à partir du scénario ? Si le film rencontre les spectateurs et fait courir les foules (qui ne sont pas des «ghachi») et que son écho se répand en dehors des frontières, ledit producteur a toutes les raisons d’être heureux d’avoir engrangé des bénéfices. Quant aux institutions du pays qui aident financièrement et administrativement le film en question, ils ont des raisons de jubiler quand ils apprennent que le film est étudié dans les plus grandes écoles militaires (la Bataille d’Alger) ou bien qu’il a obtenu un oscar (Z de Costa Gavras). Les Américains (bizness is bizness) par exemple ont fait connaître des pans de la culture du pays grâce aux films pour ensuite fourguer leur Coca-Cola, leurs jean’s et autres hamburgers… Pour l’heure, rêvons au jour où nous respirerons enfin dans une ère où dire la vérité n’est plus une obscénité. Attendons donc ce jour-là qui sera le signe d’une maturité d’une société qui sèmerait à tout vent les graines de la liberté. Et cette maturité s’acquiert contre une l’Histoire officielle otage d’une idéologie érigée en dogme théologique. Une maturité fruit d’une conscience historique et sociale nourrie et soutenue par la plume aiguisée des monuments de la philosophie et de la littérature. Aujourd’hui, que saurons-nous de l’aventure et de l’errance poétique de l’Homme sans Homère, de la lutte mortelle pour le pouvoir politique sans Shakespeare, de l’Histoire des luttes de classes sans Karl Marx et du déclin des civilisations qui s'endorment sur leurs lauriers sans Ibn Khaldoun et de la magie sans Apulée, etc. Il faut espérer que cette péripétie à propos de la sortie du film sur Larbi Ben M’hidi ne serve pas de paravent pour évacuer des questions éminemment politiques et poétiques qui expliquent pourquoi nos films ne traversent pas les champs minés du cinéma mondial où de redoutables concurrents sévissent avec des armes qui ne sont pas encore à notre portée. Il faut se demander pourquoi nous sommes peu représentés sur l’international et en chercher les causes réelles et non se raconter des histoires pour masquer les insuffisances techniques et artistiques de nos films.(2) Informer le public, c’est une façon de l’inviter à se joindre aux protestations réduites à l’heure actuelle au cercle restreint de journalistes et d’enseignants. Si le public boude la plupart des films algériens, il y a une raison. Il ne s’identifie pas dans les histoires qu’on lui propose mais surtout ne prend aucun plaisir à la façon de raconter lesdites histoires. Une œuvre d’art procure de la connaissance et du plaisir, ça fait partie de l’essence de l’art. Et quand l’histoire est indigente et le talent artistique absent, le spectateur tourne le dos à ce qu’on appelle méchamment un navet, un légume pourtant plein de saveur dans le couscous…
A. A.


(1) La même confusion existe entre la longueur des films et leur genre. Ainsi un film (à partir de plus d’une heure jusqu’à x heures) est qualifié de long métrage, qu’il soit de fiction, documentaire ou bien tiré d’une bande dessinée. Un court métrage, quel que soit son genre, va grosso modo de 3 minutes à la cinquantaine de minutes. Ces calculs dépendent en réalité des contraintes de la programmation, surtout depuis la naissance de la télévision et donc n’ont rien à voir avec une hiérarchie artistique. Il en est de même pour le scénario important, certes, mais qui ne bénéficie pas du statut d’œuvre littéraire ou artistique. Il est au service du réalisateur qui a le droit de «macérer» l’histoire en fonction des contraintes économiques. Mais aussi en fonction de son talent, il peut donner de la chair et du parfum aux mots du scénario qui habiteront ses images de cinéma. (2) Il faut éviter la position de victime consistant à ne pas mesurer les rapports de force produits d’un contentieux historique. Ceci dit, il est vrai que le film algérien est «regardé» d’une certaine façon et la censure frappe fort en dépit de la qualité du film : le cas de la Bataille d’Alger est symbolique. Le film n’a pas eu accès au Festival de Cannes et sa diffusion presque clandestine des années après en France a prouvé la lourdeur du contentieux historique. Ce n’est pas une raison pour cacher la faiblesse des moyens engagés dans les films algériens ou la non «maturité » cinématographique de leurs auteurs. Ces deux facteurs fournissent des motifs à ceux qui sont pétris de préjugés de fermer la porte d’accès à des films qui mériteraient une certaine notoriété.

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