Placeholder

Rubrique Corruption

Agence gouvernementale anti-corruption Avoir les moyens de sa politique (2e partie et fin)

Dans la 1re partie (publiée le lundi 10 septembre 2018), nous nous étions interrogés, «faut-il avoir recours à une agence de lutte contre la corruption ?». Dans cette 2e et dernière partie, nous énumérerons les moyens et la marge de manœuvre dont devraient disposer une agence pour être utile et efficace.

Le modèle auquel on se réfère habituellement est la Commission indépendante de lutte contre la corruption de Hong-Kong (Icac). Cette commission peut, non seulement, enquêter sur des allégations de corruption, mais aussi mener des campagnes de sensibilisation du public et faire l’audit des systèmes individuels de management des organismes et ministères gouvernementaux. L’agence de lutte contre la corruption est généralement établie dans les cas où la corruption devient incontrôlable. Elle devra statuer sur de nombreux cas non résolus et un besoin pressant de réformes au niveau des pratiques et des procédures officielles se fera sentir. Elle subira aussi le scepticisme d’un public doutant de la sincérité de ses efforts de lutte contre la corruption. Dans de telles circonstances, il est probable que la nouvelle institution sera vite débordée par l’étude des anciens cas et donnera alors l’impression d’être un organe inefficace.

Comment peut-on éviter de telles dérives ?
Les difficultés de la tâche
Il serait erroné d’attendre qu’une agence puisse combattre la corruption en faisant cavalier seul. Elle doit avoir le soutien de tous les secteurs de la société, y compris le secteur public. Les ministères et autres agences publiques, y compris la police, doivent apporter l’assistance nécessaire. L’agence doit poursuivre de manière coordonnée trois approches : la prévention, l’investigation et l’éducation civique. La société civile et le secteur public doivent se rallier à ce combat et s’entraider. Les employés de l’agence doivent développer des compétences spéciales pour pouvoir enquêter et découvrir les paiements illégaux. La nomination des responsables de l’agence est une étape critique et il faut également s’assurer de garantir la sécurité de leur emploi pour faire en sorte que ceux en qui le public a confiance restent en place ; cependant, tout comme l’agence peut être manipulée par le gouvernement, elle peut également être utilisée comme une arme pour persécuter les opposants politiques.

De la nomination du chef d’agence
Dès le début, la forme et l’indépendance d’une agence contre la corruption  peuvent être déterminées par la façon dont un responsable est nommé ou limogé. Le mécanisme de nomination doit garantir la présence d’un consensus sur le choix d’un candidat au sein du Parlement, plutôt que du gouvernement. Si un mécanisme de responsabilité est mis en place en dehors du gouvernement, par exemple sous la forme de comités parlementaires dans lesquels les partis les plus importants sont représentés, la marge de manœuvre pour les abus de pouvoir sera alors limitée. La législation peut prévoir que le chef de l’agence soit nommé par les chefs des partis politiques au gouvernement et dans l’opposition, de la même manière qu’un juge d’une Cour suprême. Il peut aussi être prévu que les nominations soient confirmées par le pouvoir législatif. Un défaut de la plupart des systèmes législatifs est de donner au chef de l’Etat ou à une autre personnalité politique un pouvoir énorme de nomination ou de contrôle sur l’exercice des activités d’une agence contre la corruption.  Finalement, le président est le chef de l’exécutif et les membres de l’exécutif peuvent aussi succomber à la tentation. Cela peut placer le président dans la position impossible de décider si, oui ou non, ses collègues doivent être poursuivis en justice. Il est donc important que les procédures de nomination reconnaissent que la tâche du responsable de l’agence sera de surveiller le pouvoir exécutif et le parti politique au pouvoir. Si le pouvoir exécutif ou le parti au pouvoir sont impliqués dans la nomination de ce responsable, l’agence ne pourra pas fonctionner de manière efficace et le public n’aura aucune confiance en ses capacités. 
Au mieux, ceux qui seront nommés risquent d’être vus comme les «poulains» du parti au pouvoir. Pour cette raison, les procédures de nomination doivent impliquer une variété d’acteurs et non pas seulement les membres du gouvernement. Les règles précises de nomination varient d’un pays à l’autre. Elles devraient néanmoins toutes tenir compte d’un critère essentiel, la nomination d’une personne impartiale, qui pourra ainsi être à l’abri des pressions du pouvoir. Cette personne doit se voir conférer les mêmes droits que ceux d’un juge d’une cour de grande instance. Son limogeage ne devrait pas être laissé à la discrétion du pouvoir, mais être réglementé et se produire uniquement en cas d’incompétence ou de comportements inappropriés.

Mécanismes de contrôle et contre-pouvoirs
Existe-t-il un moyen de prévoir une procédure particulière dans le cas de la corruption d’un président ? Bien que cette possibilité soit limitée, les législateurs doivent parer à toute éventualité. Ils doivent réfléchir à la question de la confiance du public si l’agence ne prend pas en compte les abus présidentiels.
 Une disposition exceptionnelle montrera au public que le gouvernement et le Parlement mènent sérieusement leurs efforts de lutte contre la corruption et que personne n’est épargné par la loi. La perception que le public a de l’agence justifie à elle seule qu’une telle disposition soit introduite. Le président ne peut pas être poursuivi pendant qu’il est au pouvoir car il jouit de l’immunité présidentielle établie par la Constitution. Le processus de mise en accusation du président pourrait relever normalement de la responsabilité du Parlement et le président de l’Assemblée parlementaire présiderait les sessions d’interrogatoire. Le chef de l’agence aurait ainsi en principe le droit d’informer le président de l’Assemblée parlementaire des pratiques de corruption du président et cela dans les cas où : 
• il y a des preuves de violation de la loi par le président, et ; 
• il y a une évidence indéniable que ces preuves seraient acceptées dans un tribunal statuant sur la base du droit. Ensuite, il revient au président de l’Assemblée d’agir selon la législation en vigueur. Une alternative par exemple serait de nommer un procureur spécial. 
Les pouvoirs de limogeage seraient correctement inscrits dans la législation. Dans les cas où il y a des preuves évidentes d’un abus de pouvoir, il est important de suspendre les fonctionnaires pendant la durée des enquêtes. Toutefois, on peut facilement abuser de ce pouvoir. Il est possible d’imaginer un scénario dans lequel le chef de l’agence contre la corruption serait limogé par le président, simplement parce qu’il faisait une enquête sur des allégations embarrassantes sur le plan politique. Un bon système de contrôle s’avère donc nécessaire.  Dans nombre de pays africains, une agence qui enquête sur les allégations de corruption des fonctionnaires doit directement rendre des comptes au président ou à un ministre. Cependant, lorsqu’une agence est rattachée au bureau du président et doit lui rendre des comptes — comme c’est le cas en Algérie pour l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption (ONPLC) —, elle échoue généralement lorsqu’elle s’occupe d’affaires de corruption au plus haut niveau. La relation entre l’agence de lutte contre la corruption et le procureur général est également fondamentale. Quel intérêt y aurait-il à accumuler des preuves si le suspect ne peut être poursuivi ? En principe, un procureur général se voit accorder par la Constitution le suivi de toutes les poursuites et a le pouvoir d’intervenir dans un jugement pénal, même s’il n’est pas à l’origine de la poursuite en question. Cependant, lorsque l’on veut juger de l’indépendance et de l’efficacité potentielle d’une agence contre la corruption, on doit se demander si la Constitution prévoit suffisamment d’indépendance pour le procureur général dans l’exercice de ses pouvoirs discrétionnaires, afin de garantir qu’il n’y ait  pas d’interférences politiques.

De la nécessité pour l’agence d’établir des relations avec les citoyens et l’administration à tous les niveaux
La relation avec le public est également importante pour établir les bases du rôle de prévention des agences. Beaucoup de personnes peuvent être impliquées dans la formulation des politiques de prévention et dans leur application. Ainsi, les personnes impliquées dans le processus de prévention et les institutions dont elles dépendent (au sein du gouvernement et dans le secteur privé) peuvent être mobilisées pour soutenir les efforts de l’agence contre la corruption. Il faut aussi considérer comment l’agence peut concrètement modifier les pratiques corrompues, sans outrepasser les pouvoirs définis dans le cadre de son mandat.
Il serait exagéré de penser que toutes les recommandations qui proviennent d’une agence sont toujours pertinentes et applicables. Il peut alors être contre-productif de conférer à une commission le pouvoir d’exiger que certaines réformes soient effectuées. 
Il serait préférable que le directeur de l’administration concernée dirige les services qui collaborent avec l’agence et que l’agence se mette autour d’une table avec les responsables des ministères en vue d’élaborer des réformes du système, pratiques et acceptables. 
Les solutions, bien qu’élaborées de concert, devraient être mises en application par le ministère. Dans le cas contraire, le ministère devrait s’expliquer auprès des deux institutions, le directeur de l’administration et l’agence.
 Certains pays considèrent que la fonction publique peut ignorer les recommandations d’un organisme luttant contre la corruption.  
Le Parlement peut-il alors être utilisé comme forum devant lequel les administrations, qui n’ont pas collaboré, peuvent être interrogées et certains de leurs membres mis en examen si elles ne cherchent pas à remédier à ce manque de collaboration ? Une autre considération vise à garantir que l’agence ou la commission se voit conférer assez de pouvoir pour accéder à l’information et pour interroger les témoins. 
Dans certains pays, des efforts sont faits pour restreindre l’accès des agences contre la corruption à l’information. Cependant, il n’y a pas de raison, en théorie comme en pratique, qu’une agence n’ait pas les mêmes droits que ceux qui sont reconnus aux législateurs, ainsi qu’un libre accès aux documents officiels et la possibilité d’interroger les fonctionnaires.
Djilali Hadjadj

Placeholder

Multimédia

Plus

Placeholder