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Rubrique Culture

France-Algérie De l’Histoire mais que d’histoires

Par Ahmed Halli
Les relations entre la France et l’Algérie sont compliquées, aiment à dire les commentateurs parisiens, à tort, semble-t-il puisque Naoufal Brahimi El-Mili nous montre d’autres facettes d’une relation plutôt aigre-douce, si ce n’est passionnée, par endroits.

En saluant l’initiative de Bouteflika de ne pas solliciter un cinquième mandat, mais de le rallonger en violation de la Constitution, le Président Macron a encore réveillé la blessure. Sauf que cette fois-ci, ce n’est plus le système qui réagit, en brandissant l’antienne des souffrances occasionnées par la colonisation et ravivées par des ingérences intermittentes. Il se trouve, et Macron n’est pas censé l’ignorer, que le pouvoir et le peuple ne sont plus sur la même longueur d’onde : le premier est ravi de ce soutien inattendu, le second est indigné. 
Et cette indignation, qui courait déjà sur tous les réseaux sociaux, a vu son apogée vendredi 15 mars avec les gigantesques manifestations en Algérie. Pour la première fois, nous avons vu émerger du flot de messages au pouvoir des slogans inédits, à la limite injurieux, et pas seulement du genre « Macron, casse-toi ! ». Et voilà comment un chef d’Etat français, traditionnellement soucieux, voire sourcilleux, s’agissant des institutions, dérape à partir de Nairobi et heurte de plein fouet les foules. Vendredi dernier, on a vu de quelle manière ferme, parfois irrespectueuse, le peuple algérien réagit quand des étrangers, et le mot n’est pas trop fort concernant la France, choisissent l’autre camp. De fait, les Algériens ont de la mémoire, et ils se souviennent d’une France qui n’a pas toujours été empressée à réagir et à venir à la rescousse au nom d’idéaux démocratiques.
C’est justement ce que le politologue Naoufal Brahimi El-Mili s’emploie à nous rappeler dans le deuxième tome, comme dans le premier, de son : France-Algérie : 50 ans d’histoires secrètes.(*) Ce second volet traite de la période qui va de 1992, année de l’annulation du scrutin législatif, entre ses deux tours, à 2017, la cinquième année des silences présidentiels algériens. Sur ce, l’auteur nous appelle à ne pas trop croire au caractère spontané de la déclaration controversée de Macron et à éviter de crier trop hâtivement à l’ingérence, dans ce cas d’espèce. 
Pour illustrer le propos, l’auteur cite quelques exemples concrets et marquants dans l’histoire des relations entre les deux pays, qui prouvent que la France et l’Algérie n’ont pas eu que des histoires. On découvrira ainsi en parcourant les pages traitant de l’arrêt du processus électoral que la perfidie n’est pas l’apanage d’Albion, mais qu’elle est aussi bien française et «mitterrandienne». Pourquoi Mitterrand et pas Chirac, Sarkozy, ou Hollande (tiens, on l’a peu vu celui-là avec son alacrité), parce que le Président défunt correspond bien à ce profil de Janus. D’abord, Mitterrand et son Parti socialiste encouragent en sous-main, de façon quasi officielle par médias interposés, les islamistes algériens.
Ceci, tout en s’inquiétant de l’éventuelle arrivée des islamistes du FIS qui n’ont jamais caché leur volonté d’instaurer le califat en Algérie, tout comme celui de Daesh à Mossoul (Irak). Réaction symptomatique : la France a poussé des cris d’orfraie, protestant contre l’arrêt du processus électoral, dont le FIS était annoncé vainqueur et dénonçant le « coup d’Etat » contre Chadli. 
Comme première réaction, que la France regrettera par la suite, le gouvernement socialiste accueille à tour de bras les islamistes, en mission et demandeurs d’asile politique. Ce qui annonce une première vague de froid entre les deux pays et des échanges acerbes, le plus souvent via les médias, et avec les rappels d’usage sur la nuit coloniale française. 
« En réalité, nous dit le politologue en introduction, et en dépit des soupçons, le dialogue entre les deux pays ne sera jamais interrompu, même si l’Elysée mime parfois de faire la sourde oreille au pouvoir algérien. Le départ moyennement volontaire de Chadli Bendjedid de la présidence froisse son « ami » François Mitterrand ». Et de préciser plus loin  : « Entre les deux rives de la Méditerranée, les ponts ne peuvent être coupés.» Et quand cela ne passe pas directement par la politique, cela se joue dans l’ombre, entre les maîtres-espions.

Promesses de Pasqua à Boudiaf
« La part secrète des relations franco-algériennes, pour ces dernières décennies, est primordiale .» C’est ainsi que l’on écarte aussi les soupçons et les accusations d’ingérence, puisqu’il s’agit de contacts, de collaborations qui ignorent la collusion, et d’échanges de bons procédés. En atteste la visite discrète de Charles Pasqua, en février 1993, à Alger, où il rencontre le Président Boudiaf, à la veille des élections législatives françaises que la droite est assurée de gagner. Lors de cet entretien, il promet au Président « une coopération sécuritaire et un appui politique dès que la droite arrivera au pouvoir dans un an ». De fait, la promesse sera tenue, et Pasqua, devenu ministre de l’Intérieur, en fera l’éclatante démonstration immédiatement (opérations coups-de-poing contre les islamistes). « Informé de l’entretien secret, François Mitterrand se décide finalement pour une visite de travail au grand jour », nous dit Naoufal Brahimi. France Télévisions déploie les grands moyens, en prélude à cette visite, qui n’est pas encore annoncée, mais surtout pour faire découvrir Boudiaf aux Français, sur La Marche du siècle. C’est un long chapitre, intitulé « Le retour du militant prodigue», que l’auteur consacre au retour de Boudiaf en Algérie, à ses initiatives, et à son assassinat par Boumarafi. 
Il revient d’ailleurs sur l’existence, rapidement évoquée lors de l’enquête, mais trop vite écartée par les conclusions de l’enquête officielle, d’un deuxième tireur lors de l’attentat.
Retenons surtout ces quelques passages sur les goûts simples et austères de Boudiaf que Naoufal Brahimi illustre par l’évocation de ces deux anecdotes qui restent attachées à la personnalité du personnage : concernant la villa de Zeralda, actuelle résidence d’Etat de Bouteflika, qui lui avait été proposée et où il se rend en visite exploratrice. L’auteur cite Ali Haroun : « Elle n’est pas du tout à son goût, exagérément luxueuse. Etait-il nécessaire d’y investir autant d’argent ? Il y trouve des tables de bridge, des tables de jeu, des tables de télévision, mais pas de tables de travail ». 
Evidemment, Boudiaf refuse de s’installer dans ce logement au luxe ostentatoire, et il opte pour la villa « Aziza » sur les hauteurs d’Alger. De même qu’il instaurera un menu unique pour les repas servis à la présidence, rompant ainsi avec la tradition des menus haut de gamme pour privilégiés et simplifiés pour le personnel. Où l’on reparle encore de Smalto, le tailleur sans doute très cher, et cher à Chadli Bendjedid, qui n’a pas beaucoup apprécié l’arrivée de Boudiaf à la présidence. Ce n’est pas évident pour un grand tailleur renommé de se voir évincé par un modeste faiseur de Bordj-al-Bahri.

Putsch raté au consulat
C’est une histoire vraie, survenue après l’arrêt du processus électoral, que rapporte l’écrivain, sans citer de noms, la voici telle que : « Dans un consulat algérien en France, le lendemain, en un rien de temps, et sans justification aucune, une idée lumineuse traverse l’esprit d’un sous-officier de la DDSE (Direction de la documentation et de la sécurité extérieure), équivalent algérien de la DGSE. Il quitte soudainement son bureau au premier étage de l’immeuble. Jugé trop lent, l’ascenseur est superbement ignoré. Il enjambe les marches à pas rapides et allongés. 
Arrivé au dernier étage, il frappe à une porte et ouvre sans attendre l’autorisation. Il entre dans le vaste bureau du consul général et lui annonce sur un ton qui ne prête à aucune discussion : « L’armée est au pouvoir en Algérie, et donc, désormais, nous prenons les commandes du consulat, ici en France .» Fût-il sous-officier, l’homme initie un mini-putsch depuis l’hexagone aux dépens de l’autorité consulaire. Démence passagère ou bien analyse erronée d’une situation exceptionnelle ? Le « consul général furtivement autoproclamé est rappelé à Alger. Fin de sa carrière .»
Naoufal Brahimi revient aussi sur le détournement sanglant de l’avion d’Air France, investi par un groupe terroriste sur l’aéroport d’Alger et détourné sur Marseille où a eu lieu l’épilogue. Il remet l’évènement dans son contexte franco-français, avec en toile de fond des préoccupations électoralistes et des querelles de services, sans compter la tension entre Paris et Alger. Tractations secrètes, encore : près d’un quart de siècle plus tard, l’ancien préfet homme de confiance de Pasqua, Jean-Charles Marchiani, confesse qu’il a rencontré Rabah Kebir en Belgique. Il a rassuré le représentant du FIS en affirmant que la France « n’a aucune intention belliqueuse envers des islamistes qui ne s’adonnent pas à la violence. Résultat : la France livre à l’Algérie neuf hélicoptères Ecureuil, officiellement à usage civil, mais qui peuvent être équipés d’armements que la France fournit séparément. 
D’autres nuages viendront encore assombrir le ciel franco-algérien, comme l’assassinat des moines de Tibhirine par les islamistes, mais l’embellie semble être revenue. L’arrivée de Bouteflika sur la scène franco-algérienne a aidé à apaiser les relations entre les deux pays, comme le rappelle Naoufal Brahimi El-Mili. Mais avec les dernières déclarations de Macron, il faudra plus de temps et sans doute plus d’un Président pour que les Algériens parlent de relations apaisées avec la France officielle.
A. H.

Naoufal Brahimi El-Mili – France-Algérie : 50 ans d’histoires secrètes-Tome 2 (Fayard 2019).

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