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Rubrique Culture

Nulle autre voix de Maïssa Bey Descente aux enfers et rédemption par les mots

Le dernier roman de l’écrivaine algérienne Maïssa Bey Nulle autre voix (Editions Barzakh, 2018) raconte l’enfer intime d’une femme devenue meurtrière qui, au contact des mots écrits, apprend à décortiquer sa vie faite de renoncements et de maltraitances.  
Neuvième roman d’une écrivaine connue pour ses thématiques centrées sur la condition féminine, Nulle autre voix se présente comme les confessions intimes d’une femme qui, après avoir enduré pendant des années le sadisme de son mari, finit par le tuer. Elle purgera quinze ans de prison et mènera, après sa sortie, une existence recluse et ascétique jusqu’à la rencontre avec une écrivaine désireuse d’écrire son histoire. Le parti pris de Maïssa Bey de confier la narration à la femme et non au personnage de l’auteure se révèle judicieux et riche en possibilités formelles. 
Le lecteur a ainsi accès à la psyché tourmentée d’une femme que rien ne prédestinait à commettre un crime de sang-froid. 
Personnage banal et effacé, l’héroïne raconte la résignation et le fatalisme avec lesquels elle avait subi pendant des années les maltraitances multiples (psychologique, physique et sexuelle) de son mari. Déjà marquée par les séquelles indélébiles d’une mère autoritaire, incapable d’affection et quasi-toxique, et convaincue qu’il est tout à fait naturel pour une femme de se soumettre à son conjoint, la protagoniste se plie donc sans opposer la moindre résistance au sadisme pathologique de cet homme qui semble lui aussi s’adonner à une pratique banale de la vie conjugale : mater et briser cette créature impure et corruptrice qu’est la femme ! 
Au fil d’une narration corsée et rythmée par une froideur chirurgicale, le lecteur découvre un enfer secret dont l’intensité est d’autant plus pénétrante que le ton est rarement entaché de sensiblerie ou de pathos. Le personnage principal ne surligne pas, ne pleurniche jamais et tient à une espèce de sobriété qui, paradoxalement, accentue l’horreur du récit. Allant de son passé de femme battue et humiliée à ses entretiens de plus en plus addictifs avec l’écrivaine, en passant par son séjour en prison, c’est un drame multiple que Maïssa Bey nous donne à voir sans jamais forcer le trait mais en exaltant une écriture psychologique, dense et dépouillée qui entraîne sans difficulté le lecteur dans cet univers de violence et de patriarcat criminel. Le mérite de Nulle autre voix consiste sans doute par ailleurs en ce pari réussi de mettre en écho l’histoire d’une femme martyre et sa rédemption par l’écriture. 
Les rencontres avec Farida l’écrivaine la pousseront en effet à coucher ses idées et ses états d’âme chaque soir sur le papier, aussi bien pour se familiariser avec cet univers étrange et fascinant des faiseurs d’histoires que pour explorer son propre monde intérieur. On assiste alors à la transformation, grâce à l’écriture, d’un personnage anodin et plat en un être complexe et ombrageux. 
En approchant de la fin du roman, les lignes commencent à se brouiller et cette femme, d’abord perçue comme le parfait archétype de la victime poussée à un meurtre de légitime défense, échappe peu à peu aux visions binaires et fragilise les certitudes du lecteur quant à son personnage. Maïssa Bey aura en tout cas réussi à faire vivre côte à côte à un ton fermement engagé contre les violences faites aux femmes et une ambition littéraire exigeante et raffinée.  
S. H. 

 

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