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Rubrique Culture

Exposition «Une bougie, une vie» de Kamel Belhocine Du voyage chromatique à l’exploration de soi

L’artiste, expert de ses mains, a une façon originale de rendre l’art accessible à tous. Car kamel Belhocine décline l’art contemporain sur des objets du quotidien : les bougies. Ses œuvres, particulièrement belles, suscitent un véritable coup de cœur.
Le public a l’occasion de découvrir cet art particulier et bluffant au niveau de la Galerie d’art Mustapha-Kateb (5, rue Didouche-Mourad, Alger), et ce, jusqu’au 11 décembre 2019.
kamel Belhocine y expose une vingtaine d’œuvres (23 en tout) et qu’il appelle tout simplement des «bougies artistiques». Le visiteur va être ravi par la collection ainsi présentée, surtout qu’il a droit à du «trois-en-un» (si on peut dire). En effet, l’artiste a valorisé sa créativité en couplant les bougies proprement dites à des photographies et des textes de sa création. Autrement dit, chaque œuvre est accompagnée d’un tableau (la photo de l’œuvre) et d’une légende qui lui donne un sens, voire diverses interprétations. Comme le roi Midas, tout ce que touche Kamel Belhocine se transforme en or, lui qui a exécuté ces assemblages et ces combinaisons à la manière d’une mosaïque. L’univers de cette collection évoque un monde poétique, une vie métaphorique insufflée à des objets  inanimés par essence et qui, comme par enchantement, invitent à voyager entre le réel et l’imaginaire. Il faut dire que l’artiste excelle dans les représentations abstraites et romantiques, les formes oniriques et l’aventure dans la jungle de l’imagination. Cocktail détonant que ce mélange protéiforme et artistique dont chaque œuvre est empreinte. Bougies de différentes formes, car moulées, démoulées, retaillées puis peintes et décorées. Bougies au chromatisme arc-en-ciel, aux dégradés parfois plus minimalistes, aux éclats colorés ou, encore, aux tons chauds et joyeux, aux tendres couleurs pastels et aux couleurs douces d’une aquarelle… La plupart de ces bougies forment comme des mini-sculptures chargées de motifs variés et peints eux aussi : motifs végétaux et même aquatiques (algues séchées), petits objets d’ornementation, mèches de bougies, bouts de ficelle, etc. Le visiteur a ainsi droit à la bougie artistique proprement dite, exposée à même le sol, à sa photographie accrochée à la cimaise et au texte d’accompagnement (la légende). Original et inédit !
Kamel Belhocine se trouve dans la galerie, entouré de ses bougies. L’artiste est du genre affable, modeste, discret, paraissant timide, mais ne tarissant pas de mots lorsqu’il s’agit d’expliquer au visiteur tout ce qu’il ne comprend pas encore, pour mieux le faire pénétrer dans le monde merveilleux des «bougies artistiques» et de l’art en général. Il nous parle de son travail : «Je suis artiste autodidacte, pharmacien de formation et de profession. J’ai une école de pharmacie à Constantine, j’y enseigne en même temps. Ces bougies ont été réalisées durant les deux dernières années, certaines sont récentes. Je les ai moulées en différentes proportions puis peintes et décorées comme des mini-sculptures avec les éléments que j’avais sous la main. Parmi les éléments disparates ajoutés, des mèches, des feuilles et bouts de plantes séchées, des algues…»
Kamel Belhocine, malgré son talent, est resté dans l’ombre.
Certes, il n’a pas besoin de vivre de son art, mais il n’a jamais été médiatisé ni fait connaître un tout petit peu au public. 
«En fait, explique-t-il, j’ai fait de la peinture et j’ai déjà exposé à Constantine et Sétif notamment. C’était à la fin des années 1980 début des années 1990. C’était de l’abstrait, de la peinture à l’huile. En réalité, je n’ai pas arrêté de peindre. Il y a quinze ans, j’ai fait une exposition de tableaux et de bougies au centre paramédical de Constantine. 
J’espère donc reprendre la peinture sur toile, moi qui ai la particularité de n’avoir jamais cherché à vendre un seul de mes tableaux.» Et cette idée d’exposer des photos légendée ? «C’est venu à la suite d’un projet de livre d’art qui intégrerait les photos des bougies et les textes qui vont avec. Les photos sont de Abdouldjalil Djarri, le jeune photographe à qui j’ai soumis l’idée et le projet de collaboration pour réaliser l’ouvrage.» Comme beaucoup d’autres artistes, Kamel Belhocine fait confiance à son imagination, voyageant dans la création sans idée et plan préétablis.
En partant d’une idée imprécise, il crée dans le désordre, s’abandonnant à ses fantasmes et à une force inconnue. «Je commence d’abord à façonner. C’est au milieu de la réalisation de l’œuvre que l’idée apparaît très nettement, que le thème surgit et que la structure de l’œuvre s’impose au fur et à mesure. La création se situe généralement juste après la première ébauche, lorsque je travaille le pied de la bougie. Après quoi, les couleurs, les formes, les motifs s’imposent», explique le créateur.
L’artiste invente et découvre son propre style. Sa «patte». Il crée simplement pour le plaisir d’exprimer des sensations neuves à travers la beauté plastique de ses œuvres. Il écrit, dans «L’art est l’expression de soi» (le titre d’une œuvre et d’un texte), «l’art est une discipline récréative, de recherche de soi, de l’autre, de l’inconnu, du beau, du laid aussi, de l’énigmatique».
Dans ce passionnant «voyage chromatique», Kamel Belhocine propose au visiteur une vingtaine d’escales fleuries et fraîches, parfois empreintes de l’identité culturelle algérienne. 
Des bougies évoquent notamment le 
«Tassili : parois parlantes» (titre) : «Sur ce plateau sculpté par le vent et le soleil, baigné de vie et de lumière vivaient les hommes bleus aussi rudes et fragiles que leur mère nourricière.» L’âme du poète, de l’explorateur de la vie intérieure se lit aussi dans les légendes des photos.
Ainsi, dans «Frissons» : «Une blessure béante traversa les champs de coquelicots endormis par une douce brise matinale et embauma la nature d’une odeur suave inexpressive, le ciel s’éclaira d’un rouge pourpre  aveuglant, Mère terre expulsa dans un gémissement sourd des frissons.»
Le créateur vibre aux frissons de la terre, ce corps vivant. Alors, de sa palette «les bleus émergent discrètement pour épouser les verts rutilants afin de faire éclater les limites de l’immobilisme et de l’inertie et nous guider vers le sanctuaire de l’infiniment beau, de l’unité, de la folie chromatique». Cet art libérateur porté par l’esprit, les mains, les couleurs et les objets peut être représenté par ces mots-clés : quête, sentiments, libération, folie, orgie, énergie, chaleur, naissance, vie, floraison, bouillonnement, identité, tourbillon, joie, pureté, amour. 
Chez l’artiste, la bougie est, naturellement, un puissant symbole. Elle est l’âme des anniversaires, certes, mais elle est surtout symbole d’énergie (le feu), de lumière, de purification, d’offrande, du lien entre le monde réel et le monde invisible de l’imaginaire.
«L’homme mérite qu’il se soucie de lui-même car il porte dans son âme les germes de son devenir», disait Jung.
Cette petite phrase à méditer éclaire certains côtés de l’œuvre de Kamel Belhocine. Dans «Le labyrinthe de la vie» (le titre d’une autre bougie légendée), ne disait-il pas qu’il fallait justement «s’affranchir de la peur de soi, cette dette insupportable »? Le voyage chromatique entraîne aussi dans des espaces cosmiques insoupçonnés.
Hocine Tamou

 

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