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Rubrique Culture

AÏN-SÉFRA Grand hommage au père de la psychiatrie algérienne, le Pr Khaled Benmiloud

Le 25 juillet 2003, nous quittait à jamais le Pr Khaled Benmiloud, père de la psychiatrie algérienne. Une journée d’étude devait être organisée sur cette personnalité par une association, mais elle a été reportée à une date ultérieure, pour cause notamment de prolifération de la Covid-19 et de la non-disponibilité des services de la santé accaparés par la lutte contre la pandémie et la généralisation de la vaccination, a indiqué un membre de cette association.
Le défunt Pr Khaled Benmiloud est issu d’une lignée de notables de l’oasis de Tiout, sise à 18 km à l’est de Aïn-Séfra, descendant du saint Sidi Ahmed Benyoucef El-Miliani. II est natif de la ville de Aïn-Séfra en 1930 et est décédé un vendredi 25 juillet 2003. Il fut le premier psychiatre de l'Algérie indépendante dès 1962 et prend le nom du père de la psychiatrie algérienne. Dix-huit ans après sa disparition, ce fils de paysan, comme il aimait souvent à le répéter à ses pairs, était l’un des pionniers de la médecine algérienne post-indépendance et le doyen des psychiatres algériens.
Les souvenirs d’enfance, qui revenaient souvent dans son esprit et ses propos, étaient les interminables vacances d’été passées dans son village natal Tiout, en tenue traditionnelle,  cheveux coupés à ras (boule à zéro). Après avoir étudié au lycée d’Oran, période marquée par une scolarité perturbée par la colonisation, c’est à Paris qu’il poursuivit ses études en médecine. Ensuite en Suisse pour suivre sa formation de psychiatre, à la clinique Bel Air de Genève, sous la houlette du professeur J. de Ajuriaguerra, tout en étant secrètement affilié au FLN. Ami d’artistes, tels Issiakhem le peintre ou Malek Haddad le poète, ses compagnons d’infortune. Les camarades d’études, dont il parlait souvent et avec lesquels il était lié par une amitié sans faille qui durera toute sa vie, étaient Omar Boudjellab, Mohamed Redjimi et Saddek Bedali-Amor, tous trois futurs professeurs en médecine de l’Algérie indépendante. 
En été 1962, après un exil dur et forcé mais fécond, alors lauréat, fraîchement promu, promis à un avenir radieux, il rentrait au pays, ramenant avec lui la science quêtée en terre d’Occident. Il était le premier psychiatre algérien. Chef de service des urgences psychiatriques du CHU Mustapha à Alger-Centre qu’il créera pratiquement, il était également médecin-chef de l’hôpital Drid-Hocine de 1967 à 1976, et depuis médecin-directeur jusqu’au début de l’année 1984, régnant ainsi en despote éclairé sur toute la psychiatrie de l’Algérois. Il était secondé par son fidèle complice et ami de toujours, le professeur Pierre Laborde, Bordelais de naissance, algérois d’adoption et Algérien de cœur, décédé peu de temps avant celui qu’il considérait toujours comme son maître, bien que son cadet de deux ans.  Durant cette période, outre qu’il avait mis en place toutes les modalités fonctionnelles du dispositif psychiatrique de l’Algérois, avec son intersecteur comprenant un service d’urgence, un hôpital avec son centre de jour et ses dispensaires à la rue Horace-Vernet au boulevard Victor-Hugo, à Alger-Centre, à El-Biar, à Oued Ouchaïah, à Kouba et à la Haute-Casbah, mais également deux services de dégagement aux deux points cardinaux de la wilaya, à Thénia et à Koléa, pour les longs séjours en post-cure. Il avait reconstruit pour cela Drid-Hocine de fond en comble en l’agrandissant et en le réaménageant totalement pour le rendre conforme aux exigences de son modèle de fonctionnement idéal. 
De la modeste clinique l’Ermitage, petit établissement colonial privé, il avait fait un grand hôpital universitaire, l’institution-mère et le premier centre de formation psychiatrique de la jeune République algérienne. Lui, l’élève de J. de Ajuriaguerra, grand maître de la pédopsychiatrie, il avait créé le premier service d’hospitalisation à temps plein pour les enfants, à Drid-Hocine, avant de se raviser et de transférer ses activités dans une structure de jour, à temps partiel. Dans cette tâche gigantesque, il sera aidé par son ami de toujours, le professeur Omar Boudjellab, promu au rang de ministre de la Santé et qui s’avérera être un authentique bienfaiteur de la psychiatrie et de la santé mentale. Il bénéficiera également des conseils avisés et du soutien d’un de ses autres amis, Tahar Hocine, ex-directeur du CHU Mustapha. On lui doit, de la même façon, la création de la clinique de Chéraga sur les décombres d’une ancienne clinique de pneumophtisiologie dynamitée par l’OAS, et qui a longtemps fonctionné comme centre de cure psychiatrique et de repos de la Casoral. 
De la même façon également, c’est à lui que revient le mérite d’avoir conçu et inspiré l’institutionnalisation du premier CES de psychiatrie, à la Faculté de médecine d’Alger en 1969, en s’inspirant de l’exemple français après les événements de mai 1968 et la scission entre neurologie et psychiatrie. C’était en ces temps-là qu’il recevait régulièrement le philosophe français Francis Jeanson, de ses amis, qui animait un séminaire sur la réhabilitation des patients en milieu urbain, selon une approche transdiciplinaire, ainsi que maints autres conférenciers de renom. 
Par ailleurs, une des caractéristiques essentielles de cette personnalité attachante et fidèle en amitié était cette érudition incommensurable qui portait, à peu près, sur tout ce que l’esprit humain était en mesure d’embrasser. Critique d’art pictural à l’occasion, fin connaisseur et collectionneur lui-même, il savait, le cas échéant, conseiller ses amis artistes. De la même façon, à l’improviste, il était capable de réciter de mémoire des tirades entières de la chanson du Mal-aimé d’Apollinaire ou du Cimetière marin de Valéry, ainsi que des pages entières du Quai aux fleurs ne répond plus de son ami Malek Haddad, ainsi que de tant d’autres, modernes et classiques. 
Dans un registre voisin, il lui arrivait d’écrire assez fréquemment des articles dans la presse. Il passait alors, avec un égal bonheur, du langage des fleurs et de ses subtiles significations dans les règles du savoir-vivre à la prodigieuse épopée de la mystique musulmane, le tassawûf, de sa première aurore et de son envol originel à son essor universel actuel, en passant par une étude de l’intellectuel algérien, de sa fonction sociale et de ses rapports à la culture, l’idéologie et l’ordre sociopolitique, un de ses premiers écrits journalistiques. À un moment, fortement impressionné par le film de Luchino Visconti Le Guépard, et m’en étant ouvert à lui, il me parla longuement de l’œuvre de Tomaso Di Lampeduzza, lui-même authentique prince de rang, qui avait servi à l’adaptation cinématographique, de la dynastie normande des princes de Sicile, qu’ils prirent aux Arabes au XIIe siècle. Il savait être, par moments, un génial improvisateur, capable de fulgurations d’esprit éblouissantes et de réparties cinglantes. 
Une fois, invité par son maître à Genève en 1973, à l’occasion d’un congrès de psychiatrie légale, et ayant eu à exposer ses positions doctrinales et sa praxis sociale sur les mesures d’internement et la défense sociale, il fut vivement pris à partie par Franco Basaglia, de l’hôpital Gorizia de Trieste, le célèbre chef de file du courant politichiatrique de l’antipsychiatrie. Le débat qui s’ensuivit fut, semble-t-il, un moment d’une rare densité intellectuelle. On lui doit également une œuvre de la maturité, conçue après son départ à la retraite, la raison paramagique, qui peut être considérée tout simplement comme un traité d’histoire de la philosophie naturelle de l’esprit, d’admirable facture et donnant la pleine mesure de sa parfaite connaissance des grands classiques. On ne saurait terminer sans évoquer K. Benmiloud, l’auteur du scénario du film d’Akiki, l’Olivier de Boulhilet, sorte de conte populaire moderne se basant sur une réalité sociologique, culturellement et historiquement déterminée, animée d’un lyrisme exalté et mystique, en faisant une œuvre d’une souveraine beauté ; ou encore l’édition de son ouvrage La raison paramagique. Sous-développement et mentalités (Éditions Dahleb, Alger 1993) ; le livre est un ouvrage de rationalité dominant chez les peuples du tiers-monde. 
Ses caractéristiques montrent et expliquent son inefficience sur la connaissance du monde, aussi bien que sur l'action dans ce monde. Avec elle, les croyances et les valeurs morales constituent l'essentiel d'une mentalité, ou de mentalités particulières. « … Produit du sous-développement, ces mentalités en sont aussi une cause majeure parmi les autres. La lutte contre le sous-développement exige donc en préalable une autre action sur ces mentalités, que seule l'éducation morale est en mesure de réaliser… » (Extraits de textes du Pr Benmiloud, «L'esprit humain, psychisme en relation»). 
Que dire d’autre sinon que le professeur K. Benmiloud est mort deux fois. Il est d’abord mort prématurément à la psychiatrie à l’âge de 53 ans, lors de son départ forcé à la retraite anticipée, à la suite d’un sérieux différend l’opposant au ministre de la Santé de l’époque, et alors que son sens de l’honneur ne lui permettait pas de rester en fonction. Il est mort également, mais pour de vrai cette fois-ci, ce triste jour de vendredi 25 juillet  2003, alors que rien ne le laissait présager, fermant ainsi une double parenthèse, celle de sa vie ouverte 72 ans plus tôt et celle de la maturité professionnelle après son retour d’exil, ouverte 40 ans plus tôt, et qui n’aura pas tenu toutes ses promesses. Il était parti comme il avait vécu, dans la discrétion la plus pudique et la résignation la plus stoïque, en essayant, comme toujours, de ne déranger personne. 
Artiste, philosophe, poète et mystique, le médecin-psychiatre ne se prenait jamais vraiment au sérieux, et qui, à la fin de sa vie, portait sur le monde ce regard à la fois lourd d’insistance et perçant d’application, d’une lucidité sans complaisance, mais avec une sympathie pleine d’indulgence, dénuée de toute amertume et rancœur, qui l’avait amené à cette sérénité intérieure et à cet apaisement extérieur, et qui lui faisait envisager la perspective de sa propre finitude, sans angoisse ni désespoir métaphysique. « …Personnalité puissante, esprit clair, mais connu et redouté aussi pour sa fermeté et son courage lorsqu'il s'agissait de ne pas concéder une parcelle de son honneur ; il l'a démontré au ministre de la Santé de l'époque, avec une démission extrêmement prématurée. Il rejoint sa ville natale Aïn-Séfra, pour une vie intellecto-pastorale et trouver le repos dans ce désert qui le fascinait », témoignaient ses élèves.
B. Henine

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