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Rubrique Culture

MARCHER ! OUVRAGE COLLECTIF SOUS LA DIRECTION D’AMIN KHAN La mobilisation pacifique vue sous toutes ses facettes

Le cinquième volume de la série Nous autres est un vrai passeport pour l’imaginaire, en plus d’offrir au lecteur des éclairages et des images qui bousculeront son conformisme. Trente nuances de libération d’énergie y sont visibles.

Le lecteur saura apprécier la gamme des sentiments, des sensations, des idées, des opinions et des capacités créatives que recèle ce nouveau recueil collectif réalisé sous la direction de Amin Khan. Car Marcher ! est tout à la fois un florilège de pensées et de réflexions, un condensé d’émotions, un photogramme de la vie et une fresque d’art contemporain. Ils sont cette fois-ci trente auteurs à «marcher» ensemble à l’occasion de la cinquième étape de l’aventure humaine et intellectuelle entamée en novembre 2016. Parmi les contributeurs, des universitaires, des écrivains, des journalistes, des poètes, des photographes, des hommes et des femmes de la diaspora, une éditrice, un jeune chômeur qui écrit de la poésie populaire, des pharmaciens, des professeurs en médecine, des juristes... Ils s’expriment, dans leur diversité, sur les évènements en cours et auxquels ils parviennent à donner une profondeur saisissante. Trente marcheurs attentifs et qui illuminent de leurs textes, leur poésie, leurs photographies ou leurs images jubilatoires les moments importants que vit un peuple redevenu acteur de son histoire. Comme le précise Amin Khan dans l’introduction, «ce livre (...) regroupe de nombreux acteurs et témoins de la révolution en cours», et donc des contributeurs bénévoles qui s’expriment simplement pour le plaisir de faire partager des sensations neuves et des idées nouvelles.
A l’exemple «des photographes, qui aujourd’hui constituent une avant-garde visuelle et documentaire du peuple en mouvement. Sabri Benalycherif, Ramzy Bensaadi, Houari Bouchenak, Youcef Krache, Khadidja Markemal, Fethi Sahraoui, Lydia Saïdi, Arezki Tahar, Hocine Zaourar, nous donnent ici un aperçu de leur ample et constant travail de capture des vérités fugaces d’un évènement sismique, d’une société en ébullition révolutionnaire. Leur apport est essentiel car ils mettent à jour, chacun avec son talent propre, la dimension esthétique du mouvement populaire» (introduction).
Les photographies de ce cinquième volume sont un roman. Elles racontent le mouvement populaire, les foules unies, la jeunesse, les femmes, les enfants, l’amour, les drapeaux, les slogans, les pancartes, les rues, les couleurs... Des images qui communiquent une émotion collective à laquelle s’ajoute comme une petite musique et qui est la parole la plus profonde de l’âme algérienne. La poésie n’est pas en reste, qui, elle aussi, réfléchit toutes les beautés de «la marche souveraine» (Amin Khan) : «La poésie, qui est d’une certaine façon au cœur même de Nous autres et de notre démarche morale, politique et intellectuelle, transparaît à travers tout l’ouvrage, mais elle s’affirme en tant que telle, à la fois éclatante et subtile, dans les textes de Salah Badis, de Meryem Belkaïd, de Ryme Khene et de Mustapha Benfodil.» Autre signe principal de richesse et de diversité : la langue. Ceux qui ont collaboré, par leurs textes, s’expriment ici «dans  leurs différentes langues originales d’écriture, française, arabe, derja ou anglaise».
Tous ces beaux textes, en fait, expriment par les mots, les idées, les couleurs, les sons et les rythmes (on revient encore et toujours à la poésie !) les affections vives et profondes de leurs auteurs. Depuis son lointain exil à Saint-Joseph, île de la Réunion, Sami Benmehidi raconte la double expérience qu’il a vécue et qu’il vit encore : «C’est une histoire d’équation, à deux termes : l’exil et les réseaux sociaux, et particulièrement Facebook qui en est le chef d’orchestre». Il raconte l’avant et l’après-22 février, lui qui, il y a quelques mois, se trouvait en Algérie. Surtout pour «faire le plein de sensations, avant de retourner à l’état d’exilé, jusqu’au prochain voyage parfois long et onéreux, mais nécessaire, comme l’est un pèlerinage revivifiant et qui rend alors l’exil moins radical».
En Algérie, il avait constaté «un début de nihilisme qui fait peur». Il se demande «d’où vient ce désespoir rageur, ce désir d’autodestruction, qui font que l’espace public est si moche, les administrations publiques si corrompues, les cœurs si opaques ? Rien n’est simple, tout est insaisissable...» A la Réunion, l’histoire de Sami Benmehidi se résume donc en une équation dont le sens oxymorien s’est révélé avec éclat depuis le 22 février : «Hirak et exil» (le titre de sa contribution rédigée le 30 mars 2019).
Un Hirak «facebookien» en quelque sorte, exil oblige, et qui autorise une distanciation et des questionnements. Des doutes aussi : «Les révolutions sont souvent cruelles et décevantes. Mais non ! On se dit que rien ne sera comme avant. Et surtout, on se dit qu’un peuple nouveau est né, et qu’il n’a pas fini de nous étonner, nous autres les vieux. Et c’est tant mieux. A chaque vendredi suffit sa peine, on verra bien pour la suite...» Dans son même exil, à Paris, Akram Belkaïd se souvient des marches des années 1990 en Algérie, auxquelles il avait participé. Il évoque en des termes justes et émouvants «le peuple qui n’a jamais cessé de marcher» (c’est le titre de son article). Après cette brève rétrospective, «retour au printemps 2019». Pour Akram Belkaïd, «les choses ont changé. Le monde a changé. Le nombre des manifestants est leur force. Les peuples ont de la mémoire et ils apprennent. Face à un système qui se nourrit de la violence exercée contre lui pour se régénérer, l’action pacifique est imparable. L’optimisme est là, l’espoir aussi. La route sera encore longue mais rien ne sera plus comme avant. Le système qui empêche le pays d’être ce qu’il devrait être — riche, développé et moderne — tombera. Que Dieu préserve l’Algérie et son peuple qui nous rend si fier».
Mohamed Magani fait découvrir au lecteur des choses vues et entendues «au fil des marches» (le titre de sa contribution), façon de mettre en scène de la matière vivante grâce aux techniques du reportage. Lui préfère donner à voir, prenant plaisir à raconter les marches auxquelles il a participé. Il est en contact permanent avec la réalité immédiate, une réalité qu’il observe avec un regard presque hyperréaliste pour bien la saisir. Sous sa belle plume se dévoile la vie sous toutes ses facettes, les petites scènes et les micro-évènements quotidiens que le guetteur de vie a observés et notés patiemment. Avant de raconter ces marches, l’écrivain donne à lire quelques réflexions, notes et images métaphoriques rapides. Entre autres celle-ci : «Une pratique du Barbaricum ancien hante nos esprits. Les Tartares réservaient un traitement autant singulier que monstrueux à leurs prisonniers. Ils attachaient chaque captif à un cadavre, face contre face, ventre contre ventre, jusqu’à ce que le mort ait mangé le vivant. Quand un régime cadavéreux exhale les relents mortifères de ses membres, minorité qui s’accroche au pouvoir sans lâcher prise, un soubresaut et l’effort collectifs de se libérer des corps éteints donnent naissance à un puissant souffle de vie. Avec un ressaisissement aigu et une appréhension lucide des maux qui rongent la société et l’ont profondément désorientée, le soulèvement pacifique de millions d’Algériens, manisfestants de jour et marcheurs de la nuit, donne une idée très précise du rejet du régime moribond.» De son côté, Saïd Djaâfer a été de toutes les marches, il n’a raté aucun vendredi. La seule chose qu’il a ratée, c’est l’image «de ce vieux monsieur mis en communion avec la rue par un chant improvisé des jeunes qui marchent pour se libérer et nous libérer de ce long état d’indignité imposé au pays de Novembre» («La photo que j’ai ratée»). Les jeunes, c’est surtout l’excellent article de Lynda Abbou, consacré à «Ouled El Bahdja» (l’intitulé de sa contribution), «un groupe de supporters fanatiques du club de foot, l’Union sportive de la Médina d’Alger (USMA). A lire absolument pour connaître l’histoire du groupe mais aussi la genèse de «la chanson, ‘‘La Casa d’El Mouradia’’, qui est devenue l’hymne du mouvement populaire du 22 février en Algérie.» 
Pour compléter toute cette matière vivante, l’ouvrage s’est naturellement enrichi de l’apport de celles et ceux qui ont apporté des éléments de réflexion, d’analyse et d’intelligence prospective. Notamment Idris Terranti («Du rêve à la réalité») et qui se pose la question de savoir «comment donc des idées et des valeurs qui incarnent le meilleur ont-elles pu survivre au naufrage, être transmises et ressurgir en projet partagé ?» Quant à Feriel Aït-Ouyahia, elle développe une réflexion sur la légitimité, une question à la fois éminemment politique et juridique (par le droit et au-delà du droit).
Adoptant un autre angle d’attaque, Mouanis Bekari s’interroge sue «la situation de la Constitution algérienne» et sur le symbolisme qui fonde sa légitimité. Et de rappeler «une vérité autrement puissante : si la légalité vient d’en haut, la légitimité vient d’en bas. Et les Algériens ne consentent à être gouvernés que si le droit de juger de la conduite de ceux qui les gouvernent leur est reconnu. C’est le message qu’ils répètent...»
 Dans la contribution qui suit juste après, Mouloud Boumghar approfondit la question, expliquant en quoi l’application de l’article 102 est «une fraude à la Constitution, dangereuse pour la cohésion nationale». Pour lui, «le recours à l’article 102 vise en réalité deux objectifs : il permet d’empêcher le changement de régime tout en gardant les apparences du respect de la Constitution». Autre contribution pleine d’enseignements : «Paix sociale et tyrannie de la mémoire», dans laquelle Farid Chaoui souligne que la question de la mémoire s’imposera inévitablement aux nouveaux gouvernants, dans le futur.
«Elle s’imposera de nouveau dans le débat politique et risque de devenir un vrai défi sociétal à surmonter dès que le mur du silence, imposé par les lois dites de la ‘‘Réconciliation’’, s’écroulera avec le système qui les a imposées.» Enfin, et sans oublier tous les autres contributeurs, il y a ce texte de Tin Hinan El Kadi : «Silmiya ou l’insoutenable puissance de la résistance pacifique.»
L’éclat de la jeunesse et de l’intelligence vive rayonne dans cet article. Pour la jeune universitaire, «la force de notre révolution est dans sa sophistication. Dans sa sérénité. Dans sa grandeur majestueuse». Se basant sur des recherches et des études parues dans le monde, elle fait remarquer que les révoltes civiles, non violentes, ont plus de chance de réussir que les résistances violentes. Les statistiques le montrent... La force de la mobilisation pacifique est assurément la marque d’une vraie révolution.
Hocine Tamou

Sous la direction de Amin Khan, Marcher !, éditions Chihab, Alger 2019, 186 pages, 1000 DA

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