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Rubrique Culture

Naoufal Brahimi El-Mili Le «Bouteflexit» est plus compliqué que le «Brexit»

« Les médecins du HUG de Genève ne peuvent donner ni des calmants ni des somnifères aux Algériens même sur ordonnance. Aussi compétents soient-ils, ces médecins ne peuvent soigner la Constitution algérienne mise à mal .»

Le Soir d’Algérie : L’actualité impose ses questions : je ne vous demanderai pas où va l’Algérie, mais qu’est-ce qui pourrait arriver dans les prochains jours, les prochaines semaines ? Pensez-vous que le pouvoir va finir par céder devant les exigences populaires ?

Naoufal Brahimi El-Mili : Le pouvoir ne peut céder immédiatement, à défaut d’idées constructives, il déploie des ruses. J’ose même une comparaison quasi-discutable. Le séjour helvétique médicalisé supposé durer quelques jours visait à provoquer des interrogations tant au sein du gouvernement que de la population. Ainsi, le retour d’Abdelaziz Bouteflika après quinze jours de rumeurs et de supputations avait comme objectif de provoquer un sursaut chez ses partisans, un peu comme celui du général De Gaule à Baden-Baden en 1968. Le lendemain de son retour à Alger, le 11 mars, il apparaît à la télévision, l’image sans le son, pour provoquer un choc et le rappel de ses troupes. 
Il annonce son renoncement à un cinquième mandat, change de Premier ministre, il en nomme deux, deux en un comme certaines publicités de shampoing, et établit une feuille de route qui prolonge de fait son maintien à la tête du pays. Il s’agit de fait d’un quatrième mandat-bis. Cette annonce reprend à peu de choses près l’un des communiqués genevois que l’on lui attribue où il déclare ne pas briguer de sixième mandat s’il est élu et qu’il organisera une présidentielle anticipée. Sans élections prévues (puisque annulées) ni anticipées, il se maintient en douceur au pouvoir.

Avez-vous une hypothèse sur la durée de la transition que le Président se propose de gérer ? Ne pensez-vous pas qu’il y a en jeu ses problèmes de santé, et notamment l’espérance de vie que lui accordent ses médecins ? Une transition à durée définie par les médecins du HUG de Genève, est-ce une idéeabsurde ?
Droit dans ses bottes, si j’ose l’expression, le Président n’est plus candidat mais il reste au pouvoir pour une durée indéterminée. Seulement, la détermination des rues algériennes va rendre le « bouteflexit » plus compliqué que le « brexit ». L’espérance du peuple algérien est totalement déconnectée de l’espérance de vie du Président. 
Les médecins du HUG de Genève ne peuvent donner ni des calmants ni des somnifères aux Algériens même sur ordonnance. Aussi compétents soient-ils, ces médecins ne peuvent soigner la Constitution algérienne mise à mal suite à un viol collectif.

Le rôle de la France, puisque c’est la matière de votre livre : beaucoup d’internautes algériens ont stigmatisé la déclaration de Macron saluant l’initiative de Bouteflika, ils y voient comme un encouragement à persister dans une voie sans issue. Que conseilleriez-vous à Macron, comme initiative pour lui éviter d’avoir à choisir un Président contre son peuple ?
Mieux qu’un conseil, je salue l’une des œuvres du talentueux caricaturiste algérien Ali Dilem où il présente un homme politique sous les traits d’Emmanuel Macron se présentant : « Abdelaziz Macron .» En une image tout est dit.

Revenons au deuxième tome de votre livre sur les 50 ans d’histoires secrètes entre la France et l’Algérie, qui vient de paraître: outre les livres que vous avez lus, on voit que vous avez rencontré de nombreux acteurs de ce quart de siècle de relations plus ou moins tumultueuses. Avez-vous publié tous les témoignages ou bien vous a-t-on livré certaines confidences sous le sceau du secret ?
La protection des sources va de soi. En effet, à une exception près, aucun des témoins n’a été nommé mais leurs propos recoupés ont été en grande partie publiés. Le service juridique de Fayard m’a fait retirer des noms (risque de diffamation), non pas de témoins que j’ai interrogés mais celui de personnages troubles. A titre d’exemple, j’ai repris le témoignage, sous procès-verbal en présence du juge Trévidic, du général français François Buchwalter, retraité mais ancien attaché militaire à l’ambassade de France à Alger. Ce dernier affirme qu’un de ses anciens amis général algérien à la retraite lui avait affirmé que les moines avaient été tués suite à une bavure de l’aviation algérienne, il tient ce témoignage de son frère officier pilote des forces héliportées. 
Or, j’ai retrouvé le nom de cet officier supérieur algérien (décédé depuis suite à un arrêt cardiaque). Il avait été radié de l’armée en 1981, date à laquelle le grade de général n’existait pas. En plus, cet officier retraité, ancien élève de Saint-Cyr, était proche de la mouvance du FFS, fer de lance du « qui-tue-qui ?». 
De là, j’ai émis l’hypothèse d’une opération d’intoxication des autorités françaises. En plus, son jeune frère capitaine venait d’être radié de l’aviation pour faute technique. Autant de motivations pour lancer un « fake news » et qui nourrit le « qui-tue-qui ?». D’ailleurs, suite à cette fausse révélation, l’enquête est ouverte en France et aussi le film « Des hommes et des Dieux » est devenu bancable. Tout ce passage était supprimé. Bien entendu, je ne donnerai pas le nom de cet officier algérien. Je remercie de nouveau l’ancien préfet du Var, Jean-Charles Marchiani, qui m’avait autorisé à le citer. 
Son témoignage et ses révélations situent la tragédie des moines de Tibhirine au niveau d’un cafouillage franco-français. Pour lui, aucun doute, les moines ont été tués par le GIA où il avait une taupe (Hocine) à l’intérieur.

Et l’histoire ahurissante de ce sous-officier des services algériens, en poste dans un consulat en France, qui a voulu devenir consul à la place du consul.
Il s’agit plutôt d’une mentalité d’un sous-officier mythomane, mégalomane qui, fort de son passage dans la fédération de France du FLN, voulait participer à un niveau élevé dans la direction des événements. J’ai raconté cette anecdote véridique pour illustrer une certaine confusion chez quelques esprits peu éclairés.

Vous consacrez aussi un long chapitre à l’arrivée tonitruante de Bouteflika sur la scène franc-algérienne, et il me semble avoir senti une certaine indulgence, non ?
En évoquant l’arrivée au pouvoir de Bouteflika, je n’ai commis aucune indulgence. Je me suis limité au sujet de mon livre qui porte essentiellement sur les relations franco-algériennes. Abdelaziz Bouteflika a reconstruit avec la France des relations plus apaisées notamment grâce au retour de la paix civile et à la manne pétrolière qui a remis l’Algérie sur les radars internationaux. 
Son talent a fait le reste surtout sur le traité d’amitié franco-algérien mais qui n’a pas vu le jour du fait des Français rétifs à toute forme de repentance. 
Bien entendu, je ne pouvais ni imaginer encore moins anticipé les récents événements où le soutien de la France au pouvoir actuel n’est pas déconnecté du travail de fond réalisé depuis de nombreuses années par l’actuel président de la République algérienne. 
A. H.

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