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Rubrique Culture

IVAVA INOUVA Le cri de la montagne, l'appel de la terre...

Un air venu des saisons fécondes où la forêt fourmillait de fables et de promesses. L'olive étincelante sera cueillie comme un magnifique désir. Et la ballade étoilée court comme une traînée de lumière au-dessus du Djurdjura. Un air qui brise la quiétude de la nuit, à l'heure où les êtres maléfiques avancent dans la brume. Une savoureuse voix féminine monte comme une plainte, du plus profond de la terre ancestrale. Le son d'une guitare. Le murmure des arbres cajolés par les vents de montagne. La musique réchauffe les cœurs et dit l'attachement au sol, à l'origine, à l'identité.
«Je crains l'ogre de la forêt père Inouba
- O fille Ghriba je le crains aussi.»
Une complainte sortie des entrailles de l'obscurité pour éclairer la maisonnée et semer l'espoir dans le regard limpide des enfants apeurés. La chanson monte crescendo, douce complainte, portée par la voie de cette «Ghriba» aussi secrète que la forêt. La neige tombe et parsème de blanc les maisons et le bois sans fin qui monte vers le sommet. La cheminée crache le feu et la chaleur se répand dans les corps et les cœurs.
«La bûche de chêne remplace les claies
La famille rassemblée Prête l'oreille au conte.»
Quelle admirable représentation de la famille kabyle réunie autour du feu, attendant le maigre repas du jour, dans l'une de ces demeures en pierres qui se succèdent de part et d'autre des rues pittoresques des villages de montagne ! Quelle gracieuse poésie exprimant la vie d'autrefois, avant la télé, les smartphones et les confinements sans cheminée ! 
La musique est saisissante et les paroles chargées d'authenticité et d'inspiration. La poésie, titillée par l'éclat du décor enneigé et l'ambiance chaleureuse du milieu familial sent la terre mouillée et le feu de bois. Jamais peut-être on n'a décrit, en chanson, une veillée familiale kabyle comme l'a fait le poète Ben Mohammed dans le tube mondial Ivava Inouva. Certes, les grands auteurs de la région nous ont gavés de chroniques baignant dans l'atmosphère particulière des grands froids du Djurdjura ou incrustées dans l'intimité des veillées familiales, mais cette poésie, servie par une guitare magistrale, a donné une dimension universelle à la chanson kabyle.
Idir a quitté cette terre il y a longtemps. Il a gagné tous les galons de la célébrité mais son regard s'habillait parfois de grisaille ; c'est le regard des gens qui n'oublient pas la maman devant son faitout accroché au-dessus de la cheminée, ni le burnous du vieux papa au visage buriné par l'indigence, ni l'irréelle beauté de la voisine dans sa robe chatoyante, ni la «tadjmaât», ni la neige, ni les veillées tardives des étés sentant le pin et mille autres parfums de la nature. Celui qui ne connaît pas la Kabylie, qui ne s'est pas mêlé à ses gens, humbles, authentiques et justes, ne sait pas de quoi je parle.
Idir est parti mais sa musique continuera de hanter les bois et les cieux du Djurdjura, pour dire à ceux qui restent qu'il faut préserver le message d'amour et de partage qui jaillit de ses paroles. Idir voulait se mêler à cette terre des origines mais cela semble impossible. Est-ce si difficile de faire traverser la Méditerranée à cet être si attaché à sa terre, pour que les cheminées continuent de fumer et pour dire aussi à la «Ghriba» que les portes finissent toujours par s'ouvrir...
Le hasard a voulu que cette terrible disparition de notre icône nationale arrive le jour même où j'étais en train de revoir un vieux texte destiné à servir de préface au livre d'un ami, amoureux fou de Léo Ferré. 
Jean Lapierre fait partie de ces artistes dépités par les tendances actuelles de la musique et qui restent attachés aux grands poètes d'antan. Son livre porte un titre évocateur : Les guetteurs de la nuit - la chanson parisienne».
Voici un passage de cette préface qui sied bien à la personnalité d'Idir :
«Je parle des vrais artistes, ceux qui ne placent jamais l’argent au centre de leurs préoccupations. Je parle de ceux qui prennent la route, la guitare sur les épaules, prêts à chanter pour les badauds des placettes ombragées ou les retardataires d’un bistrot sans prestige… Prêts à déclamer leurs poèmes sous les lunes blafardes des petits matins d’amour et de fraternité, prêts à repartir, toujours repartir, pour ne pas trahir ceux qui attendent, là-bas, sur les quais d’une gare aux rails bouffés par les ronces ou les gais lurons d’une fête de campagne.
«Toujours prêts à prendre le verre de l’au revoir pour dire que l’on reviendra, que les liens sont plus forts que l’oubli, que la musique réunit autour de ce qu’il y a de meilleur dans l’homme.
«Jean, en écrivant ces mots, je pense à toi, à ton imper, à ton chapeau, à ta barbe, à ta guitare, aux amis qui t’entourent dans ces balades du souvenir, à la recherche du temps perdu, dans ces quartiers mythiques où vivaient des géants qui trimaient, souffraient, aimaient, comme des hommes, loin de l’image édulcorée de ces stars surveillées par les graphiques des ventes, sous l’œil inhumain des Big Brothers médiatiques !»
M. F.

 

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