Placeholder

Rubrique Culture

9e FESTIVAL INTERNATIONAL DE THÉÂTRE DE BÉJAÏA Le cri des Trois veuves

De Béjaïa, Arezki Metref
La deuxième soirée du 9e Festival international du théâtre de Béjaïa a été tunisienne. Un spectacle d’une grande intensité a été proposé par une troupe de nos voisins de l’est. La pièce s’intitule Les trois veuves. Le texte est d’Ereel Dorfman et la mise en scène de Wafaa Taboubi. Trois comédiennes, Nadra Touni, Nadra Sassi et Faten Shawaybi campent les trois veuves qui, sur une scène complètement dénuée de décors, vêtues d’une robe noire et portant un châle blanc, sont réunies sur une plage hostile. Chacune d’entre elles attend le corps d’un proche disparu. Chacune scrute qu’un corps vienne flotter à la surface de l’eau. Chaque drame est différent des auteurs mais la même douleur faite aussi d’incompréhension étreint chacune des veuves éplorées. Dans le bruit comminatoire des flots et dans le crépitement des armes de guerre qui vient rappeler un fait d’actualité, l’attentat djihadiste de Sfax, elles égrènent leurs histoires, un mélange attristant de négation de la femme, et l’échec d’une société qui croit pouvoir avancer en se mutilant de sa moitié. Hommes morts ou disparus, avalés par l’appétit insatiable des profondeurs marines ou fauchés par les mitrailleurs de la haine ! Veuves sentinelles de la douleur et du questionnement sur les fondements même de cette douleur. Dans une communion pathétique, les trois veuves vont s’ériger face à la béance périlleuse de la mer en concentré géologique d’une vieille patience douloureuse des femmes faite de strates diverses par rapport au ressac du destin puis, petit à petit, cette douleur se transforme en force unie capable de fonder une unité de sort et de frappe par rapport à l’injustice et la tyrannie. La prise de conscience, forgée dans l’attente que la douleur passe puis dans le combat pour la faire passer, transforme la revendication de pouvoir enterrer leurs défunts respectifs, en signal pour la construction d’une nation solide, solidaire, inébranlable. Dans le sort de ces veuves contraintes de transcender leur souffrance pour en faire un combustible pour des changements radicaux dans la société, on entend, feutré, à peine perceptible, l’écho des troubles qui perturbent la société tunisienne depuis que, le pouvoir autoritaire de Ben Ali tombé, les démons de l’islamisme se sont mis à travailler le pays d’Afrique du Nord où le statut de la femme est, depuis Bourguiba, le plus enviable. La pièce se meut comme une métaphore subtile de cette plongée brutale dans une forme de chaos et de violence. En gardant ses distances d’avec le discours politique de premier degré, avec le lancement du slogan, Les trois veuves n’en gratte que davantage là où ça démange. Sans en avoir l’air, la pièce fait un procès poétique et politique implacable de nos sociétés paraplégiques. A la sortie de la représentation, un jeune comédien algérien nous dit avoir reçu une leçon de cette troupe tunisienne quant à la facon de faire un théatre intéressant, esthétique et efficace, sans moyens, sans décors, uniquement à la performance d’acteur. On peut ajouter à ce compliment celui de reconnaître la hauteur de teneur symbolique du propos. On peut dénoncer les travers de la société sans forcément tomber dans la satire et l’humour approximatif. La force de cette pièce est son intensité basée sur le jeu économe et fort des comédiennes, sur un texte robuste, la musique de Salah Al Sharqi, les costumes de Wafaa Taboubi et l’éclairage de Shawki Mashaki.
A. M.

Placeholder

Multimédia

Plus

Placeholder