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Rubrique Culture

LES SIX CHEFS HISTORIQUES DE LA GUERRE D’ALGÉRIE DE KHALFA MAMERI Pourquoi eux et à ce moment précis de l’histoire ?

Déjà auteur de 26 livres — dont 11 livrets d’histoire pour enfants d’Algérie —, Khalfa Mameri poursuit un inlassable travail d’écriture de l’histoire. Une histoire principalement éducative et au service du citoyen algérien.
Son dernier ouvrage, Premier Novembre 1954, les six chefs historiques de la guerre d’Algérie, est un livre passionnant et surtout une étude fouillée, riche de sens et d’enseignements. Ce livre épais (560 pages), bien construit et bien documenté, est l’œuvre d’un esprit rationnel, critique et didactique. Khalfa Mameri a basé sa démarche intellectuelle sur le raisonnement, les preuves, les arguments, le questionnement, la démonstration, voire le doute. Et comme l’auteur est un praticien à plusieurs casquettes (il a été universitaire, maître de conférences, haut cadre de l’Etat, ambassadeur, délégué algérien à l’ONU, député...), il a su tirer de son long et riche parcours une pédagogie de la lisibilité qui fait que ses textes sont synonymes de confort de lecture. L’art d’écrire lisible, chez Khalfa Mameri, rend l’histoire une source inépuisable de données empiriques, en ce qu’elle permet de réinterroger le passé et de l’interpréter à l’aune de la pédagogie moderne. La connaissance de l’histoire peut ainsi orienter la compréhension du présent, elle apporte un éclairage utile pour identifier et comprendre les mutations sociétales passées et actuelles. Pour dire que ce dernier livre s’adresse naturellement au grand public, au jeune lectorat en premier.
Dès l’entame de l’introduction, l’auteur invite à l’essentiel, à découvrir l’intérêt humain du texte aussi : «Regardons bien les visages qui sont reproduits sur la couverture de ce livre : ce sont ceux des six hommes, six seulement, qui ont pris la décision inimaginable, incroyable, inouïe de déclencher une guerre de Libération nationale contre la quatrième puissance mondiale le 1er Novembre 1954 à zéro heure pour libérer l’Algérie de la colonisation française (...).
Pourquoi eux ? Pourquoi pas d’autres ? Pourquoi seulement à ce moment-là et pas à un autre ; avant, après ? Nul ne peut répondre avec assurance à des questions aussi lancinantes, aussi obsédantes. Nul ne pourra jamais entrer dans le subconscient de ces six hommes pour dire vraiment ce qu’il s’est passé dans leur tête. Séparément ? Collectivement ? Qui en a été l’initiateur ? Qui en a eu l’idée, la détermination ? Je sais bien qu’on peut supputer, proposer, supposer, imputer. Mais personne ne peut trancher. D’autant plus qu’aucun de ces six hommes n’a laissé ni écrit, ni mémoires, ni témoignages. Plus encore, il aurait fallu qu’ils disent quels ont été les éléments déclencheurs.» Des questions qui, aujourd’hui encore, restent sans réponse. Pour l’auteur, il y a, certes, des facteurs «déclencheurs» (massacres du 8 mai 1945, implosion du MTLD, guerre d’Indochine, débarquement anglo-américain en novembre 1942...), mais il faut prendre également en considération «d’autres facteurs liés au parcours des six hommes, à la situation en Algérie, à l’état du monde extérieur». Tous ces éléments et d’autres encore pourraient aider à comprendre les motivations profondes des six chefs historiques, selon l’auteur. Certains points communs méritent déjà d’être rappelés : la jeunesse ; l’appartenance au MTLD ; une scolarité relativement courte ; une faible expérience du monde du travail ; l’origine sociale («Tous issus de milieux modestes, ils vivaient la condition misérable des populations» indigènes).
Toutes les questions soulevées dans l’introduction seront analysées, expliquées, éclaircies, confrontées et débattues dans le livre, y compris dans la deuxième partie où l’auteur consacre un chapitre à chacun des six chefs historiques. Pour rendre une telle monographie aussi complète et aussi claire que possible, Khalfa Mameri a jugé nécessaire de la faire précéder d’une vue panoramique, «une toile de fond». De sorte que le lecteur «puisse se faire une idée assez précise des forces, des tensions et des idéologies en présence et même, si possible, de cette atmosphère ou du climat politique du moment».
Pour l’auteur, il fallait évoquer le contexte général de l’époque. Cela offre au lecteur l’opportunité de démêler l’écheveau des relations internationales, de mieux comprendre les enjeux, les différents acteurs et l’évolution du monde. Intitulée «Brefs rappels historiques», cette première partie de l’ouvrage est structurée en cinq chapitres traitant respectivement de l’état du monde en 1954, l’état du «monde arabe», l’état de l’Afrique, l’état de la France et l’état de l’Algérie. Pareil tableau explicatif aide à «éclairer un peu plus le caractère audacieux, courageux, exceptionnel de la décision ultime et sublime prise par les six chefs historiques concernés», estime l’auteur. Une connaissance conforme au réel permet, par exemple, de dire la réalité du monde arabe en 1954. Une réalité qui était bien loin des mythes, des inventions, des mensonges, des illusions, des contre-vérités assénées par les idéologues et les politiciens retors.
Le monde arabe était confronté à des problèmes, il vivait des situations instables et dangereuses. La première guerre israélo-arabe (14 mai 1948-7 janvier 1949) était encore fraîche dans les mémoires, car «une humiliation historique pour les armées arabes», pour l’Egypte surtout. L’autre problème de taille, ce sont les implications extérieures de la révolution égyptienne du 23 juillet 1952. Ses effets sur les pays arabes seront fâcheux, parfois dévastateurs comme va le démontrer l’auteur. «Présents au Caire bien des années avant le coup d’Etat des ‘‘officiers libres’’ (...), les deux futurs premiers présidents de la République algérienne, Ahmed Ben Bella et Houari Boumediène, vont reproduire en Algérie à s’y méprendre les méthodes et les thèmes du ‘‘raïs’’ égyptien», relève Khalfa Mameri. D’autres rappels importants permettent «de montrer en quoi l’interventionnisme et l’hégémonisme nassériens ont été particulièrement néfastes à la stabilité et au progrès des pays arabes».
En Afrique du Nord, des évènements se déroulaient depuis 1952 en Tunisie et 1953 au Maroc. Cela a débouché sur l’indépendance des deux protectorats français (le 2 mars 1956 pour le Maroc, le 15 juin 1956 pour la Tunisie). Là encore, l’auteur rappelle certaines vérités historiques : l’illusion d’une lutte commune entre les trois pays du Maghreb n’avait d’égal que la rupture de l’engagement des nationalistes tunisiens et marocains au profit de «la double acceptation d’une autonomie interne d’un côté et d’une indépendance dans l’interdépendance de l’autre, factices toutes les deux».
Cette politique de chacun pour soi «ne pouvait avoir pour conséquence que de laisser seul le peuple algérien se battre pour une réelle indépendance de tous». De même que pour la fantasmatique aide escomptée des «frères arabes», la défection des Tunisiens et des Marocains ne semble pas avoir été prise en considération par les six chefs historiques. La situation de l’Afrique n’est pas en reste, elle explique elle aussi à quel point les Algériens ont eu «à souffrir de leur combat solitaire et inégal contre le colonialisme». Quant à l’état de la France, il n’était guère reluisant au sortir de la Seconde Guerre mondiale, surtout psychologiquement et politiquement.
A cela va s’ajouter l’humiliation de Dien-Bien-Phu au Vietnam (7 mai 1954). Néanmoins, la France va connaître un redressement économique spectaculaire. En 1954, elle était la troisième puissance économique du monde. Elle faisait partie des «quatre grands», était membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, était forte de son rayonnement culturel. Après ces rappels historiques aussi détaillés que possible, «nous arrivons au cœur du problème», le dernier chapitre introductif à la plus grosse partie de l’ouvrage.
Dans cet «état de l’Algérie», Khalfa Mameri présente un intéressant triptyque composé des volets suivants : «L’Algérie, deux sociétés inégales et séparées» ; «Partis politiques algériens : dogmatisme et sectarisme» ; «L’éclatement du MTLD». L’auteur brosse un tableau contrasté, saisissant de la situation démographique, économique, sociale, éducative et psychologique de l’Algérie en 1954. Il en ressort qu’il était exclu que «les Européens et les indigènes eussent un jour pu former une seule communauté. Manifestement les origines, les valeurs, les comportements étaient si différents, si contraires qu’il eût été impossible de former un seul peuple, une seule nation». Les partis politiques algériens ? «Aucun d’eux n’était prêt ni même peut-être déterminé à engager réellement le combat pour l’indépendance du pays.» Plus explicite encore, le tableau consacré à la crise du MTLD.
Khalfa Mameri se réfère notamment à un document que lui a remis Abderrahmane Kiouane, un ancien membre de la direction du MTLD, en novembre 1984, pour livrer certains détails inédits et relatifs «aux causes profondes, presque intimes, qui ont provoqué la crise de septembre 1953». Tous ces faits sont la meilleure démonstration que «le MTLD, tous dirigeants confondus, messalistes comme centralistes, était loin d’être prêt à faire le saut du combat idéologique, admis, autorisé par le système colonial, vers la lutte armée». D’où ce principe d’action, cette idée-force : «Il semble bien que la crise du MTLD ouverte par Messali en septembre 1953 soit la cause directe ou, si l’on préfère, le détonateur ou le facteur déclencheur de la guerre de Libération nationale.»  Tous les éléments sont maintenant en place (toile de fond, ambiance, décor...) pour que les «six hommes qui ont pris la responsabilité inouïe de déclencher le combat libérateur» entrent en scène, à tour de rôle, tel le soleil émergeant d’une nuit sombre. C’est l’histoire de six héros rendus vivants, émouvants, humains par la plume de Khalfa Mameri. Des hommes jeunes, au destin tragique pour cinq d’entre eux, et qui avaient pour idéal une vision flamboyante de la liberté.
(Mostefa Ben Boulaïd (1917-1956), Larbi Ben M’hidi (1923-1957), Rabah Bitat (1925-2000), Mohamed Boudiaf (1919-1992), Didouche Mourad (1927-1955) et Krim Belkacem (1922-1970), tels que revisités par Khalfa Mameri, irradient d’une lumière nouvelle. En plus de contribuer à  approfondir la connaissance historique, l’auteur porte sur chacun  des six chefs historiques un regard, une sensibilité et un jugement qui lui sont propres, mais sans chercher à ornementer quoi que ce soit. Chacun des six fondateurs du Front de libération nationale se voit consacrer un gros chapitre avec, à chaque fois, un maximum d’informations nouvelles sur des faits et des événements souvent occultés, sur des épisodes relativement méconnus ou alors «arrangés» et instrumentalisés.
à chacun son parcours, réinscrit dans le cours de l’histoire pour être mieux connu et reconnu, mais une recherche biographique qui ne fige pas les acteurs dans le rôle de héros pétrifiés, stéréotypés à l’usage de lecteurs débutants ou peu enthousiastes. Khalfa Mameri a su faire en sorte de rétablir des faits, de les préciser, apportant un nouvel éclairage, mentionnant des détails en apparence anodins et qui prennent toute leur importance après lecture. Nombre d’éléments particuliers rendent d’ailleurs les six chefs historiques chacun un personnage unique, réellement différent des personnages de son genre. «Le lecteur averti sait déjà que l’histoire de l’Algérie, comme toute  autre histoire, ne peut être acceptée, respectée, admirée et même aimée que si elle est vraie. Donc il ne sert à rien de chercher à l’embellir, à l’enjoliver, pis encore à la fausser car tôt ou tard la vérité se venge. C’est pourquoi nous tâcherons de retracer tous les épisodes de la vie d’un homme, même si quelque légende peut être écornée, abîmée», prévient l’auteur quant à son droit de reconstruire et de réinventer l’histoire.
Par exemple, lorsqu’il s’agit de se pencher sur l’attrait du nationalisme chez Mostefa Ben Boulaïd : «à 28 ans, en 1945, Mostefa Ben Boulaïd avait déjà réussi sa vie. Il avait tout pour être heureux : propriétaire terrien, riche et gros commerçant, père d’une nombreuse famille déjà, sorti indemne, surtout vivant et glorieux, d’une terrible guerre même faite pour les autres, il aurait pu vivre et couler des jours tranquilles. Non il avait l’amour de son pays.»
L’auteur va donc se hasarder «à fouiller les ferments ou les motivations profondes, intimes de l’engagement» tout en revenant sur les principaux événements qui ont marqué la période 1945-1954 : la montée en puissance du MTLD, l’impasse électorale, la dernière chance donnée à Messali, le démantèlement de l’OS (Organisation spéciale) en mars 1950,  la création du Crua en mars 1954 (et son auto-dissolution fin juin 1954), le refus de Messali, la réunion du groupe des 22 (ou 21), le choix des six chefs historiques...
Retour ensuite sur le maquis des Aurès et les dures réalités de la guerre (insuffisance des moyens en armes, les promesses égyptiennes jamais tenues, l’arrestation de Ben Boulaïd le 11 février 1955 en Tunisie puis son évasion de la prison El Koudiat de Constantine le 4 novembre 1955). Vint, ensuite, «la mort, incontestablement glorieuse, de Mostefa Ben Boulaïd le soir du 27 mars 1956». L’auteur s’attarde quelque peu sur cette mort mystérieuse, notamment les zones d’ombre, évoquant même «la piste égyptienne», estimant qu’il est tout de même temps «que l’Algérie, chercheurs comme institutions  officielles, s’interrogent sur les circonstances exactes de sa disparition». En rendant hommage à «Larbi Ben M’hidi qui n’avait même pas goûté aux délices de la vie», car mort à 34 ans, en martyr, Khalfa Mameri souligne que l’un des grands mérites du natif de Aïn M’lila «c’est d’avoir permis à une région comme l’Oranie, dépourvue de hautes montagnes mais surtout peuplée de beaucoup d’Européens qui étaient des soutiens de l’armée française, de prendre sa part dans la libération du pays». Larbi Ben M’hidi avait présidé le Congrès de la Soummam (20 août au 10 septembre 1956), «mais ce qu’on doit le plus à Ben M’hidi c’est d’avoir voulu provoquer et organiser une longue grève en Algérie» (la grève dite des huit jours, commencée le 28 janvier 1957). Le sinistre général Aussaresses, son assassin, laisse penser, dans son livre paru en 2001, que «Ben M’hidi aurait été arrêté bien plus tôt que le 25 février, exactement le 16 ou le 17 février 1957 ; mais que  sa capture n’a été révélée qu’une semaine plus tard, le temps nécessaire pour arrêter, espérait-il, d’autres dirigeants de la Révolution, cachés à Alger».
Rabah Bitat, lui, est arrêté «moins de cinq mois après le premier Novembre 1954». Le lecteur a droit au récit des circonstances de cette arrestation, un «épisode qui aurait pu avoir des conséquences probablement fatales sur la guerre d’Algérie». Le piège avait été tendu par les renseignements généraux français et «Krim, Ouamrane et Abane Ramdane qui venait de s’installer à Alger depuis quelques jours, auraient pu, eux aussi, tomber dans la souricière». Pour Rabah Bitat, la guerre est finie depuis le 16 mars 1955.
«à cause d’une imprudence stupide». Le 18 mars 1962, Bitat est libéré de la prison du château d’Aulnoy.
«Un autre destin» l’attend... Quant à Mohamed Boudiaf, le lecteur saura un peu plus pourquoi et comment «le mois de juin est particulièrement important» dans sa vie, car «il en marque des étapes cruciales comme sa naissance, sa mort, et bien d’autres encore». Ce qu’il faut notamment retenir, c’est qu’il a été le créateur du Crua, le co-rédacteur (avec Didouche) de la Proclamation du Premier Novembre 1954. Et «on peut dire, sans excès, que c’est grâce à lui que le courant nationaliste algérien, le plus radical, est sorti de sa terrible crise en 1953 pour déclencher la guerre de Libération nationale. 
Aucun autre leader algérien ne semble avoir joué dans ces moments brefs et décisifs un rôle aussi capital. Qu’on le veuille  ou non ce rôle historique lui sera acquis à jamais». Pourtant, Boudiaf allait être arrêté après l’indépendance, torturé dans le Sud, condamné à s’exiler, enfin assassiné en direct le lundi 29 juin 1992 à Annaba. Didouche Mourad aurait dit : «Si nous venons à mourir, défendez nos mémoires.» Pour lui aussi, mort au champ d’honneur, les armes à la main, le 17 janvier 1955, le «combat est autant une leçon de morale, qu’une leçon d’histoire».
Didouche «a préféré livrer combat et mourir à 28 ans».
Que dire d’autre ? Il reste Krim. Le sixième et dernier portrait, à la fois sublime, pathétique, tragique. C’est Maurice Chapelan qui disait : «Le scénario des révolutions se répète : des prophètes les rêvent, des apôtres les font, des fripons les défont. Du vent, du sang, du gang...» Le signataire des accords de paix d’Evian (18 mars 1962) est assassiné à Francfort le 18 octobre 1970. Krim Belkacem faisait-il peur à ce point ? En conclusion de cet ouvrage, l’auteur s’interroge sur les raisons de l’échec qui a suivi la Révolution de Novembre. Des documents historiques en annexes complètent ce remarquable travail de recherche.
Hocine Tamou

Khalfa Mameri, Premier Novembre 1954, les six chefs historiques de la guerre d’Algérie, éditions El Amel, 2017, 560 pages, 1000 DA.

 

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