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Rubrique Culture

En librairie / Derrière les larmes de ma grand-mère de Ferroudja Ousmer Récit autobiographique

C’est un récit autobiographique et le premier pas de Ferroudja Ousmer vers l’écriture. Derrière les larmes de ma grand-mère a été publié aux éditions Koukou.
La préface de cet ouvrage est signée par Daho Djerbal. C’est lui qui a encouragé Ferroudja Ousmer à raconter son histoire. C’était en avril 2013, lors du Salon du livre de Boudjima (Tizi-Ouzou). L’historien et écrivain y donnait une conférence sur la lutte armée du FLN en France, sujet de son dernier livre. Ferroudja, alias Lolodj, est née une année après le déclenchement de la guerre de libération nationale. Elle avait à cœur de transmettre l’histoire de son village des Aït Larbaâ à Ath Yenni et celle de sa famille. Son père et ses oncles ont participé à la guerre.
Un passé qu’elle voulait oublier, mais qui a ressurgi avec force lors de cette conférence à Boudjima. Une sorte de déclic est alors survenu. L’écrivaine utilise la troisième personne du singulier pour parler d’elle. «Elle est parvenue, enfin, à vaincre ses démons intérieurs. Elle décide à ce moment-là, oui, à ce moment-là, de faire la paix avec le passé et de regarder l’avenir avec beaucoup plus de sérénité... Elle prend conscience que la guerre d’Algérie fut longtemps le monopole des témoins et des historiens français, ceux qui nous ont légué notre propre histoire et dont il est temps de décoloniser l’écriture.» Lolodj nous livre un portrait attendrissant de Yaya, sa grand-mère.
«Ce bout de femme pas plus haute que trois pommes, si petite, si blanche qu’on était tenté de la rouler entre les deux paumes jointes de la main comme pour confectionner un congolais... Port de tête altier de femme racée, son lot de misère n’avait pas altéré son pedigree... Les blessures abominables que lui avait infligées la vie n’avaient pas apposé leurs sceaux sur sa bouille... De ses yeux lacérés par les torrents de larmes, un regard vide dans lequel se lisait un passé douloureux, qui se passait de mots.»
Ferroudja Ousmer rend hommage à son oncle paternel «Dda Mamou», dit Papa Ous. Réquisitionné au Moyen- Orient pendant la Seconde Guerre mondiale, en Syrie, puis au Liban, il fut démobilisé en 1944. Il occupa de hautes responsabilités au sein de la DST. Quand la guerre de libération se déclencha, l’inspecteur Ousmer choisit son camp en participant à l’opération «L’oiseau bleu» qui arma clandestinement plus d’un millier de moudjahidine. Le 7 février 1957, le pot aux roses est découvert par la DST. Ousmer est arrêté puis emprisonné. Il restera derrière les barreaux jusqu’à l’indépendance.
L’autrice écrit : «Bien avant son implication dans l’affaire «L’oiseau bleu», conscient du mal-être de ses concitoyens, il eut l’occasion de se révolter. En octobre 1956, lors de l’arraisonnement, par l’armée française, de l’avion qui transportait les chefs historiques du FLN, les responsables de la DST avaient demandé à «Dda Mamou», inspecteur en poste, de menotter Hocine Aït Ahmed.
«Je ne me permettrai jamais un tel geste envers le descendant de Cheikh Mohand Ou l’Hocine, le vénéré saint patron de ma région», répliqua-t-il. Aveuglés par la confiance placée en celui qu’ils considéraient comme un de leurs meilleurs éléments, les responsables de la DST ne se doutaient pas que Papa Ous était l’hébergeur attitré des principaux chefs de la Révolution (Krim, Ben M’hidi, Benkhedda...) par le biais d’une agence immobilière et de ses relais à Alger. Ferroudja Ousmer rend également hommage à son père Chavane et à son oncle Dda Hmimi. «Lorsque la guerre de libération éclata, les deux frères, portés par un élan de patriotisme, furent au premier rang pour apporter leur soutien financier aux moudjahidine. En plus des cotisations auxquelles tous les habitants d’Aït-Larbaâ étaient assujettis, les deux frères contribuèrent au ravitaillement des maquis... Leurs commerces florissants firent d’eux les principaux suspects auprès de l’armée française.»
Lolodj est âgée de 5 ans à peine lorsque son père décède d’une crise cardiaque. C’est son frère aîné qui prendra le destin de la famille à bras-le- corps, devenant ainsi le père de substitution de la fillette.
En grandissant, la jeune fille est confrontée à une avalanche d’interdits imposés par ses frères. «écouter, obéir, se plier, baisser les yeux, faire des concessions, suivre les concessions avec docilité est le b.a.-ba de la bonne conduite...». Sa mère veillait sur son éducation comme on surveille le lait sur le feu. «La peur est l’arme que les mamans kabyles utilisent pour faire respecter les règles élémentaires de bienséance. «Ha !» disait-elle. «Joignant le geste à la parole, elle tirait sa paupière inférieure vers le bas avec son index. Manière typiquement kabyle de mettre en garde ses filles contre tout dérapage... Cette éducation castratrice restreignait l’espace de liberté... Tout rêve et tout désir devaient être ensevelis pour ne pas mettre en danger l’équilibre familial.»
Le poids de la société n’était pas en reste. L’autrice trempe sa plume dans l’humour pour décrire cet «œil de Moscou» qui pesait sur elle. «L’éducation de la fille était l’affaire de tous : les copains des frères, les voisins, le marchand de légumes, le boulanger, le marchand de sardines, les chômeurs qui, du matin au soir, étaient aux coins des rues de chaque quartier à draguer les sœurs des autres. Tous ces ‘paparazzis’ devaient veiller à ce que la fille ne sorte pas des sentiers qu’ils avaient balisés pour elle.» Ce récit autobiographique convoque la mémoire individuelle et collective avec en toile de fond l’histoire d’une jeune fille tiraillée entre traditions et modernité.
Née en 1955 à Ath Yenni, en Kabylie, Ferroudja Ousmer a enseigné l’économie au lycée Amirouche de Tizi-Ouzou pendant 25 ans, avant de rejoindre l’Institut international de management comme enseignante et consultante. Membre de Racont’art durant une douzaine d’années et du Comité d’organisation du Salon du livre de Boudjima, elle a animé de nombreux ateliers d’écriture pour adultes et enfants.
Derrière les larmes de ma grand-mère est son premier livre.
Soraya Naili

Derrière les larmes de ma grand-mère. Ferroudja Ousmer. Koukou Éditions. 2021. 123 p. 600 DA.

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