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Rubrique Culture

ALGER LA MYSTIQUE DE NOURREDDINE LOUHAL Sur les traces des mille et une fontaines de jouvence

Un périple autour des fontaines d’Alger, pour la plupart disparues et effacées des mémoires ! Ce ne pouvait être qu’un pèlerinage empreint de dévotion, de nostalgie, de redécouverte et de peintures intimes. Avec Alger la mystique chantée par ses fontaines, Nourreddine Louhal s’est transformé en mosaïste et en puisatier pour se fendre d’un ouvrage de la plus belle eau. 

«Encensée autrefois lorsqu’elle pourvoyait aux besoins des ménages en eau, la fontaine était idolâtrée pour le flot d’aisance qu’elle offrait aux ‘’ouast-eddiour’’ de ‘’douerat’’ ; ou encore la fontaine était l’aubaine d’autant providentielle où ‘’s’allaitaient’’  les Casbadjis de sa sève d’opulence», rappelle l’auteur des  Chroniques algéroises, les jeux de notre enfance. En faisant revivre Alger par ses fontaines, le fils de la séculaire médina a voulu creuser profond et partout, tout au long d’une grande randonnée pédestre, ne voulant pas se contenter de «trois fontaines et puis s’en vont !» (sic) mais chercher à établir un inventaire détaillé, un recensement général des fontaines encore existantes ou disparues. Les belles choses étant difficiles, il fallait avoir l’esprit chercheur, être un fureteur de bibliothèques, d’archives et de livres, avoir l’art du sourcier et du rhabdomancien... 
Nourreddine Louhal, heureusement, est riche de connaissances et d’expériences et, qualité singulière, il a gardé la curiosité, l’enthousiasme, la gaieté et l’imagination créative de sa jeunesse. Le résultat, cet autre ouvrage fouillé, bien documenté où il laisse encore libre cours à sa verve intarissable et endiablée pour entraîner le lecteur à la découverte des richesses insoupçonnables d’Alger. Car, de l’eau «il y en a, à ‘‘en veux-tu en voilà’’ dans l’épaisseur des pages dédaliques qui content l’Alger d’autrefois qui n’était pas aussi barbaresque que ça» (préambule). Et dans cette histoire de fontaines, il y a surtout le côté flâneur méthodique de l’auteur. Celui-ci, à travers un périple (qu’il qualifie de «pharaonique») dans et autour d’Alger, s’est transformé pour la circonstance en reporter de terrain. Rien de mieux que de raconter des choses vues et entendues, d’empreindre de vie et de sentiments vrais le pèlerinage (‘‘ziyarate’’) aux fontaines. «La fontaine ? Je suis tombé dedans étant petit !» avertit l’auteur dans l’avant-propos. Le lieu où prend source son écriture est précisément la fontaine de Bir Djebah, à La Casbah d’Alger : «Déjà tout petit, j’aimais accompagner ma sœur aînée Lila lorsqu’elle allait puiser de l’eau à l’aïn Bir Djebah qui ruisselle encore de nos jours sur l’esplanade de Houmat Bir Djebah (ou le puits de la ruche). Baptisée également Zenqat J’raba (venelle des boutiquiers originaires de l’île de Djerba en Tunisie), aïn Bir Djebah est de notoriété publique depuis l’an 1818.» Et pourquoi ce toponyme ? «Parce qu’en ce lieu, l’abeille s’offrait une dégustation de nectar de ‘’miellat’’ que distillaient les fleurs de leurs nectaires qui poussaient dans les pots qui enjolivaient les jardins suspendus des «s’tah» (terrasses) de La Casbah, d’où l’appellation du puits de l’apiculteur.»
L’auteur précise encore, dans l’avant-propos : «Bir Djebah, c’était aussi le Bir du ‘‘Ch’bah’’, où se cultivait la culture du beau, disent d’anciens Casbadjis.» Et c’est ainsi que la fontaine est restée, chez Nourreddine Louhal, une source et un principe ontologiques («Une fontaine toujours jaillissante de séductions irrésistibles», dirait Théophile Gautier). Le dépilage de ce souvenir ancien (l’aïn Bir Djebah de la petite enfance) va constituer la première marche, le premier pas de la «ziyarate autour des fontaines» (sous-titre du livre) et qui sera fondée sur une fluctuation permanente entre l’histoire et l’autobiographie, entre référentialité et autoréférentialité. Car le texte, tout en questionnant évènements et personnages historiques, apports de l’historiographie contemporaine et témoignages de la culture orale, est doté d’une trame autoréférentielle.
Le résultat en est une poétique de la trace (l’écriture de l’histoire comme acte esthétique et éthique) indissociable d’une écriture discontinue, fragmentaire et dont la composition met en œuvre tout un arsenal de techniques : les fondamentaux du conteur, le métier du reporter, les sources référencées de l’historien, les bons mots (proverbes, adages, dictons, aphorismes), le recueil de témoignages, l’évocation de souvenirs  personnels, le récit court qui juxtapose toutes les traces.
Nourreddine Louhal est un auteur qui aime combiner toutes ces choses à sa guise. Ilo écrit au gré de sa plume, de son imagination, de sa fantaisie créatrice et de ses pérégrinations. Un exemple parmi des dizaines, relatif à la fontaine du jardin d’hiver : «Du talent ? Il y en a  à fleurs des remparts qui offrent l’idéal saut au-dessus d’El Djazaïr, sa baie et sa jetée Kheir-Eddine. Si tant et d’épatante vue que l’on effleure d’une œillade l’univers érotisé du ‘’moucharabieh’’ ou le harem sultanien qui est situé à un clin d’œil d’un kiosque qui fut découvert en 1997. Et, à l’issue de l’extraction des déblais opérée en 2009, le kiosque a révélé l’existence d’un bassin dans le jardin d’hiver. Donc, autant recourir aux conseils du laboureur à ses enfants : ‘’Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place où la main ne passe et repasse’’ pour déterrer d’autres fontaines, à l’instar de la salle du «diwan» sous lequel il y a un ‘’d’jeb’’, a-t-on su». Autre fontaine que l’on peut puiser dans ce répertoire  merveilleusement interprété par l’auteur : «El Hamma, la source du marabout Sidi Bou-Hamma.» Nourreddine Louhal écrit à ce sujet : «Au XVIIe siècle, il  y avait un lot de dix-huit fontaines authentifiées sur la carte cadastrale d’El Djazaïr qui ravitaillaient l’Alger d’alors, grâce à la reconstruction de l’aqueduc d’El-Hamma en 1759. Certes qu’il y en a eu des inventaires, sans qu’ils soient corroborés de l’exactitude de lieux. Toutefois, il en ressort qu’on en dénombrait en l’an 1982  trente-deux fontaines publiques, dûment recensées à bled Sidi-Abderrahmane Ethâalibi. Dans le lot est inclue également la source d’El-Hamma, qui fut classée le 13 mai 1905 et localisée également sous le numéro identifiant 16-046 des services de la wilaya d’Alger.
Glorieuse pour avoir étanché la soif de ‘’liberté’’ des manifestants du 11 décembre 1960 qui affluaient de l’ancien Clos-Salembier (l’actuelle El-Madania) pour se joindre aux révoltés de l’autre ancien Belcourt, la fontaine dite du «marabout guérisseur de la fièvre» au lieudit ‘’Les Platanes’’ est ‘’géolocalisée’’ en terme d’ouvrage hydraulique dans le quartier d’El-Annasser (Belouizdad) par les services de la wilaya d’Alger.» 
On le voit, l’auteur s’inscrit dans un contexte référentiel précis : La Casbah, où il a grandi, constitue le cadre spatial à partir duquel partent les histoires racontées dans ses livres ; comme un faisceau lumineux homocentrique, dont tous les rayons passent par un même point. Des histoires qui disent un rapport personnel à l’histoire, au patrimoine, à l’art, à la culture et à l’humain.
Le tout traduit l’engagement de l’écrivain à établir un lien vivant avec son environnement et à se réapproprier un capital mémoriel d’une valeur inestimable. En privilégiant une structure textuelle éclatée, Nourreddine Louhal veut surtout retenir l’attention du lecteur, comme s’il invitait ce dernier à recomposer les pièces d’un puzzle et, dans ce jeu de patience, l’amener à s’interroger sur son propre rapport à la mémoire collective. Pas de longs discours donc, ni de démonstrations, mais des représentations fragmentaires qui produisent l’effet de l’éclair et s’impriment dans la mémoire. Le monde éclaté de Nourreddine Louhal a la forme d’une mosaïque sans cesse recomposable ; c’est une mosaïque textuelle qui se donne à lire comme une reconstruction réparatrice. Cette manière de penser et d’écrire en fragment a un puissant pouvoir d’évocation, de suggestion, de communication émotionnelle, voire de nostalgie (l’humain et le beau de la vie d’antan). 
Grâce au fragment, l’auteur parvient à aiguiser son écriture, aidé en cela par la connaissance du répertoire des histoires traditionnelles et par la mise en œuvre de techniques scripturaires modernes (le reportage contribue à une belle cueillette de mots et de sensations en extérieur). Cela donne un prodigieux enchevêtrement de traces réelles, effacées ou que l’auteur finit par retrouver dans son imagination. Mais, avant de s’engager un peu plus dans les dédales d’Alger la mystique, dans cette visite guidée, faisons une petite pause à la fontaine de Sidi Ramdane. Sage initiative de l’auteur : «Haletant et le souffle court, on arrive en haut des escaliers baptisés au nom du saint Sidi Ramdane, où ruisselle sa fontaine tout près de la mosquée du saint homme qui est postérieure au XVIe siècle. Et de là, quoi de plus agréable que se laisser glisser jusqu’à la rue Patrice-Emery Lumumba (1925-1961) qui est attenante à la Basse-Casbah, pour se désaltérer à la source du saint Ali Zouaoui.» 
Le lecteur peut maintenant repartir régénéré, sachant aussi qu’il sera transporté par l’extase mystique tout au long de ce pèlerinage. Le périple est organisé en six étapes (chapitres) : les fontaines de la Casbah d’Alger ; les métiers de l’eau ; les fontaines de la qaria (campagne) d’Alger ; les fontaines de Ness el Fah’s ; les fontaines de légende ; revue de presse. Avant ce tour d’horizon complet et comme un istikhbar que l’on joue pour se mettre dans le ton, l’auteur propose une suite de six notes pour créer un premier lien de connivence avec le lecteur et le mettre vite dans l’ambiance. Ces fragments préliminaires font notamment référence aux «timbres-poste à l’effigie des quatre fontaines les plus connues de la Casbah d’Alger» et au «lexique du robinet et de la fontaine dans le parler algérien». 
à partir  du chapitre premier, Nourreddine Louhal se transforme en guide professionnel, étalant son érudition et sa sagacité, faisant entendre un récital d’anecdotes historiques, découvrant des traces réelles, s’amusant à écrire un passionnant palimpseste de la mémoire tant et plus («le journaliste de l’instant que je suis») pour saisir la réalité immédiate avec un regard un peu décalé.
Le lecteur a alors droit à mille et une histoires d’«eau miraculeuse, douce et régénératrice», de la qualité qui réunit l’Orient et le lustre de l’eau d’une perle. Car les légendes, les mythes, les rites et l’histoire, tout autant que la convivialité, l’art de vivre, la signification symbolique et spirituelle qui entourent ces sources font beaucoup rêver. Par exemple, la fontaine de L’la Khedaouedj El Âamia, «posée dans la posture d’un top modèle», ou les «deux fontaines toutes auréolées de carreaux de faïence» au mausolée de Sidi Abderrahmane Ethâalibi.
Partir à la découverte des fontaines d’Alger, c’est aussi remonter dans le temps.
 

Principalement au temps de la venue des Morisques, «expulsés le 22 septembre 1609 vers les rives de l’Afrique du Nord par le roi Phillip III d’Espagne».
Parmi les Morisques qui affluaient par vagues, de 1609 à 1614, il y avait «du beau monde, dont des médecins, des hommes d’arts et de lettres ! Mais surtout des artisans-fontainiers qui n’avaient pour seul bagage que le savoir-faire inhérent au captage de l’eau potable et aux retenues collinaires pour le stockage de ce précieux liquide». L’auteur précise que «c’est en réalité l’Andalou Ousta Moussa qui enraya, en l’an 1611, l’obsession de la disette en eau. (...) Aidé de son fils et affublé du titre de ‘‘M’âallam Moussa’’ (patron Moussa), le duo de sourciers avait raccordé la médina de Sidi Abderrahmane Ethaâlibi à d’opulentes sources (...), au moyen d’un réseau de conduites d’eau des plus sophistiquées à l’époque». Depuis, la médina d’Alger s’est auréolée d’un «diadème de perles d’eau», quelque chose comme 150 fontaines (le parc de fontaines était estimé entre 100 et 150, selon les auteurs).
Nourreddine Louhal est allé sur les traces de ces fontaines dont il ne reste souvent que des vestiges ou qui ont complètement disparu, pour les arracher à l’oubli et les faire revivre dans la mémoire des hommes. Toutes ces fontaines «orphelines d’épitaphes et de localisation» redeviennent des choses vivantes, colorées, comme en état d’activité, sous la plume d’un auteur qui sait insuffler une vie métaphorique aux objets inanimés ou imaginés, surtout lorsqu’il s’agit d’évoquer l’œuvre d’art que constitue la fontaine dans l’histoire d’Alger. Et puis, quel merveilleux voyage dans les anciennes traditions, le culte des saints, le mysticisme fervent et la dévotion intuitive.
Un voyage au cœur d’une brillante civilisation, portée notamment par «des souverains ‘’avertis’ et à l’esprit éclairé, dont Baba Ali, dit Bou Sebaa («l’homme au doigt») ou Baba Ali Neksis qui fut dey d’Alger de 1754 à 1766». Le lecteur ira aussi à la rencontre du Bistri («ce porteur d’eau») et des «Gueraba» («les ‘‘apaiseurs’’ de soif»). Il lui sera raconté les belles histoires d’eau des jardins «de ‘‘Ness El Fah’s’’ qui verdoyaient la  ‘‘qaria’’ d’El Djazaïr», et comment «la bataille de l’or bleu avait commencé en 1830». Le périple «pharaonique» s’achève avec un pèlerinage aux deux fontaines de légende que sont Aïn El Fouara de Sétif et Aïn Tagouraït. Enfin, non ! Car Nourreddine Louhal exécute une dernière pirouette en faisant naître, par la grâce d’un autre saint, une énième sorce : «Aïn El Djedj», ou la fontaine des poules. «L’imaginaire fertile des petites gens d’El Djazaïr» aimait croire aux miracles. Crédulité ? Plutôt une façon d’être optimiste.
Hocine Tamou

Nourreddine Louhal, Alger la mystique. Ziyarate autour des fontaines, éditions Tafat et Alframed 2018, 202 pages, 600 DA.

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