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Rubrique Culture

BRAHIM IZRI, LE TROUBADOUR DES TEMPS MODERNES DE ABDELKRIM TAZAROUTE Un hommage à la mesure de l’homme et de l’artiste

Dans ce beau-livre consacré au chanteur et auteur-compositeur-interprète Brahim Izri, Abdelkrim Tazaroute rend un hommage émouvant au talent, au mérite et aux qualités humaines de l’artiste disparu en 2005. Un artiste comme on en fait trop peu.
 

Brahim Izri était un personnage fascinant, lui dont l’éternelle jeunesse créative ne se tarissait jamais. «Même malade et souffrant, Brahim voulait enregistrer un nouvel album. Il était perfectionniste et nous répétions énormément. Je n’oublierai jamais cette période d’intense création et d’intense émotion. Il était heureux comme un gosse et souriait beaucoup», témoigne Kamila Adli, amie et musicienne reprise par l’auteur. Abdelkrim Tazaroute abonde dans ce sens, lorsqu’il explique les motivations qui l’ont poussé à écrire ce livre. Il souligne dans le liminaire : «Une biographie consacrée à Brahim Izri a été durant des années mon objectif. Il fallait rendre hommage à l’ami, cet homme généreux, plutôt solitaire mais ô combien solidaire aux combats de l’identité amazighe et de l’émancipation de la femme. Il fallait rendre surtout hommage à l’artiste, à ce génie de la musique, parti très tôt, des suites d’une longue maladie qui ne l’a pas empêché de se rendre chaque jour au studio enregistrer son dernier opus, treize ans après, toujours inédit. C’est un devoir de mémoire et une reconnaissance de son singulier parcours et d’une œuvre riche qui reste à connaître et à découvrir.» En fait, le parcours de l’artiste et son œuvre méritent, aujourd’hui, d’être revisités et explorés parce que trop peu médiatisés et pas assez appréciés à leur juste valeur. Hamid Lounaouci, autre ami de l’artiste, a eu ces mots d’une remarquable pertinence : «Je pense que dans l’histoire des chanteurs kabyles, Brahim Izri est celui qui avait le plus de sensibilité, de virtuosité et de qualités artistiques.»
Tous ces témoignages recueillis par l’auteur n’offrent-ils pas un tableau exagérément émouvant, peut se demander le lecteur. Non, cela n’a rien d’excessif et les mots de Abdelkrim Tazaroute évoquent avec justesse un Brahim Izri qui avait la particularité d’être né artiste, contrairement à beaucoup d’autres qui le sont devenus (des artistes). Son jeu vertigineux de virtuose n’avait pas vraiment besoin d’inspiration et sans que cela manque jamais d’âme et de profondeur. Il lui restait seulement à trouver un public à sa mesure. C’était un prodigieux instrumentiste, un grand auteur de tradition orale mais résolument tourné vers l’art moderne et contemporain, un maître plutôt qu’un professeur. L’hommage au «troubadour des temps modernes» se devait donc d’être à la dimension du personnage, à commencer par cette parabole que le récit suggère dès le départ : un inlassable retour sur la terre de naissance, l’inépuisable et suprême matrice. La démarche créatrice de Abdelkrim Tazaroute s’est imprégnée de cette profondeur de champ pour laisser découvrir les images nettes d’une aventure humaine à partager avec le lecteur. La narration est hospitalière, ouverte à qui veut emprunter les chemins qui montent, ceux escarpés qui habitent l’artiste et qui sont le déclic qui permet de régénérer la mémoire. Pour empreindre de vie son récit, c’est-à-dire raconter une histoire vraie et surtout agréable à lire, Abdelkrim Tazaroute entame sa biographie par un pèlerinage au lieu de naissance de l’artiste.
A travers ce reportage, il s’agissait de recueillir un maximum d’informations sur la vie des gens au quotidien, leur environnement, leur organisation sociale, leurs gestes et leurs attitudes, ou encore sur l’insolite ou l’original qui ne se dévoilent que si l’on écoute et observe avec attention.
«Il était une fois la zaouïa Hadj Belkacem» : habilement employé, le procédé du conte est un excellent moyen de saisir toute la matière vivante que recèle la mémoire collective et tout ce qui palpite autour de soi. Le reportage commence ainsi : «Quand nous empruntons la route de Tizi-Ouzou ville pour aller vers Ath Yenni, nous pensons forcément à Brahim Izri, cet auteur, compositeur et interprète qui force le respect par sa personnalité et par son œuvre musicale qu’il nous a léguée pour la postérité. Et lorsque nous entamons la route qui mène vers Ath Yenni, sa commune natale, inévitablement, son visage souriant masquant sa légendaire timidité nous accompagne.» L’auteur se montre précis, croquant sur le vif ce qu’il a vu, entendu et ressenti, privilégiant les formules et les images dépouillées. A une dizaine de kilomètres d’Ath Yenni, la zaouïa d’El-Hadj Belkacem... «A l’entrée de cet édifice religieux, une grande cour et un imposant portrait de Brahim Izri peint sur de la faïence nous accueille. L’artiste est en burnous et le tableau qui surplombe la tombe, le montre en train de chanter avec son mandole. Nous n’avons jamais vu cela. C’est assurément une première en Algérie.» Dans le décor fabuleux des montagnes et des villages perchés sur les collines, s’offre enfin Ath Yenni, «niché à 900 mètres d’altitude».
Cette «colline oubliée» (Mammeri) réputée pour ses bijoux, sa propreté et ses maisons «anciennes et à la dimension de l’homme» a vu naître «l’écrivain et anthropologue Mouloud Mammeri, le penseur et essayiste Mohamed Arkoun, l’anthropologue Slimane Hachi, les chanteurs Idir et Brahim Izri, ainsi que les journalistes connus Saliha Aouès et l’écrivain Arezki Metref (...)». 
A Ath Yenni, l’auteur découvre également les portraits de Brahim Izri, des deux frères Amirèche et du chanteur Idir... Le cadre qui va gouverner l’histoire de Brahim Izri étant devenu familier pour le lecteur, l’aventure humaine et artistique peut maintenant commencer.
«Brahim Izri est né le 12 janvier 1954 au village Ath Lahcen dans l’ârch des Ath Yenni dans la wilaya de Tizi-Ouzou», précise l’auteur dans le chapitre premier. Durant l’enfance en Kabylie, «il fréquente la zaouïa de son grand-père paternel, Hadj Belkacem, où il s’imprégna des chants religieux et où il commence à s’initier au bendir, au violon, à la flute et au mandole. C’est là que Brahim a appris à accompagner en musique les chants religieux».
Parcours singulier d’un musicien né qui, au lycée, se transforme en compositeur de talent avec le groupe Igunga. C’était au début des années 70 et le groupe connaît déjà le succès. L’époque est celle du renouveau de la chanson kabyle moderne (chapitre deuxième).
à partir de 1977, Brahmi Izri accompagne Idir dans des tournées en France. «à partir de 1980, Izri se décide enfin à chanter. Il prit des cours de chant et l’aventure commence pour lui, avec succès. Izri enchaîne des compositions et des nouvelles chansons propres à lui. La renommée lui donne des ailes.» Mais, «trois ans après ses tournées triomphales, Izri se permet une pause, une parenthèse bougiote qui fut fatale à sa carrière artistique.» L’auteur donne des détails sur cette «parenthèse bougiote» (chapitre troisième), décortiquant ensuite le «style musical singulier» de l’artiste dans le chapitre suivant. Essentiellement parce qu’«il se démarque par l’originalité de ses propres compositions mais aussi par la façon qu’il a de revisiter des titres et des chansons qui l’ont bercé depuis qu’il a commencé à aimer passionnément la musique».
C’est cette passion pour la musique qui lui avait fait prendre le chemin de l’exil, à 20 ans. Et c’est «la musique (qui) l’aidera à surmonter le froid glacial de Paris». La chanson ne faisant pas vivre son homme (comme il disait), «Brahim, pour joindre les deux bouts, a été alors chauffeur de taxi...» Et il faisait toujours le bon samaritain ! La générosité et l’humilité du personnage (chapitre cinquième) sont d’ailleurs saluées par les témoignages de celles et ceux qui l’ont connu le mieux (Saliha Aouès, Hamid Lounaouci, Meziane Ourad, Amrane Debbi, Kaci Mouloud, Smaïl Dechir, Kamila Adli, Azel Belkadi, Farid Aouameur...). Hélas ! «son cancer du côlon a eu finalement raison de lui et le lundi 3 janvier 2005, la nouvelle tomba comme un couperet pour annoncer la disparition de Brahim». Ce chapitre («Perte d’un pilier de la chanson algérienne») est suivi de textes et chansons de Brahim Izri» (traduits en français). «Tout commence de la zaouïa et tout se termine dans cet univers le jour de sa veillée mortuaire où il fut accompagné par des chants religieux à vous donner la chair de poule», écrivait l’auteur dans le liminaire. Preuve que Abdekrim Tazaroute a ressenti beaucoup d’émotion en écrivant cette biographie. Assurément, le lecteur va ressentir la même émotion, surtout grâce au style de l’auteur (fluidité, variété, clarté, précision et lisibilité le caractérisent) et à la remarquable conception éditoriale et iconographique de l’ouvrage.
Hocine Tamou

Abdelkrim Tazaroute, Brahim Izri, le troubadour des temps modernes,  Editions Rafar (avec le soutien de l’Onda), Alger 2019, 122 pages, 1 000 DA.

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