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Rubrique Haltes Estivales

Ismahane

Bouchegouf... Années 70.
 «Sacré ‘’Che’’ ! Tu m’as manqué, tu sais ! Alors, toujours dans les brigades de volontaires ?
- Plus que jamais ! Car la bourgeoisie compradore ne veut pas lâcher le morceau. Nous sommes de plus en plus nombreux à soutenir les paysans, à leur expliquer les textes de la Révolution agraire, à les aider dans tous les domaines et, même, à mettre la main à la pâte!
- Où sont tes compagnons ?
- Nous avons installé notre camp à la ferme Dagaud située à quelques kilomètres au nord de Bouchegouf. Tu verras, c’est un coin paradisiaque ! Le site domine la grande courbe de l’oued Seybouse qui s’élargit à cet endroit précis, au milieu de vastes vergers d’agrumes, pour former un panorama dont on ne se lasse pas !
- Allons vite découvrir cette merveille.»
Lorsque le taxi clandestin les dépose devant l’immense portail de la ferme Dagaud, Mourad n’en revient pas. Le paysage est sublime et dépasse de loin tout ce qui a été dit par son ami. La bâtisse, en pierres taillées, domine une large vallée verdoyante où serpente, éblouissante sous le soleil estival, la belle rivière Seybouse qui, après un parcours de quelques dizaines de kilomètres, se jette dans la Méditerranée, tout près d’Annaba, à l’est de la ville. Mourad admire longuement le paysage avant de pénétrer dans la cour de la ferme. Sous le préau qui fait face au portail, Mourad distingue une dizaine d’étudiants dont trois jeunes filles. L’une d’elles attire d’emblée l’attention du jeune homme. Habillée d’un jeans et d’un tee-shirt rose, elle est la plus élancée des trois. Fine, élégante, elle semble surgir d’un salon mondain de la capitale et tranche avec l’austérité rupestre des lieux. C’est d’ailleurs elle qui semble animer les débats. Assis par terre, les autres volontaires suivent attentivement ses paroles :
«Ils disent tous que leurs coopératives de production ne sont pas rentables dès les premières années ! C’est l’esprit bourgeois qui parle. Ils veulent différer la collectivisation totale en invoquant des motifs fallacieux, soufflés par les milieux bourgeois et révisionnistes.»
Le jeune aux lunettes qui a la sale habitude de fourrer son doigt dans le nez lorsqu’il parle, n’est pas d’accord avec cet avis :
«Je pense plutôt qu’il faut procéder par étapes. L’erreur a été commise dès 1972 lorsque les responsables locaux, pensant bien faire et heureux d’exhiber leurs chiffres au Président Boumediène, encouragèrent par tous les moyens la création de ces CAPRA, c’est-à-dire les Coopératives de production de la Révolution agraire. Or, cette forme d’organisation est la plus élaborée et demande une certaine organisation ainsi qu’un haut degré de maturité politique. C’est une étape supérieure de la collectivisation et vous connaissez tous l’état d’esprit de la paysannerie algérienne. Il fallait procéder par étapes et les textes de la Révolution agraire offrent une panoplie de formes d’organisation. Il y a d’autres configurations de coopératives qui peuvent très bien accueillir sans problème ces petits paysans et les paysans sans terre. Il fallait passer par ces étapes avant de proposer les CAPRA. Malheureusement, il n’en fut pas ainsi et la démagogie dévora rapidement cette flamme révolutionnaire qui ne résista pas longtemps à la bureaucratie. Au lieu de gagner les agriculteurs en les laissant individuellement propriétaires de leurs lopins et en leur proposant de mettre en commun les moyens de production et d’utiliser collectivement les circuits de distribution, on les a poussés vers une collectivisation obligatoire, donc imposée…
«Toute la wilaya de Guelma, qui s’étend jusqu’au sud de Souk-Ahras, et qui est une région agricole de premier plan, ne compte que des CAPRA. Très rares sont les coopératives de service ou les coopératives d’entraide paysanne… C’est la faute des autorités locales.»
Ismahame relance le débat et taxe l’intervenant de petit bourgeois qui aurait dû rester dans les jupons de sa mère. Les choses tournent au vinaigre et «Che» intervient pour ramener le calme. Il regarde sa montre et rappelle à tout le monde que lorsque la panse est creuse, il faut la remplir et cela quelle que soit la couleur politique de ce ventre !
Le grand blond du fond du préau est d’accord. Tout le monde approuve et Ismahane, qui semble diriger le groupe avec «Che», propose de passer à table. Le repas est servi sous les tonnelles. Quelques paysans s’attablent, mélangés aux étudiants. On a ajouté un couvert pour l’invité. Les présentations sont rapidement faites et tout le monde attaque au diapason un hors-d’œuvre varié. Ismahane est à la droite de Mourad et «Che» à sa gauche. Décontractée, la jeune étudiante grille une blonde mentholée à la fin du premier plat. «Che» est contrarié :
«Tu sais, Ismahane, on n’est pas à Alger ! Ici, les mentalités sont différentes et si nous voulons être respectés et, surtout, écoutés, il ne faut pas choquer les paysans.
- Hypocrisie, quand tu nous tiens ! Si nous voulons transformer les mentalités et imposer une vision révolutionnaire, il faut bannir les idées du passé. La Révolution socialiste n’est pas une œuvre d’art…»
Mourad connaît la suite, une citation très célèbre du leader chinois Mao Tse Toung. Il vient d’identifier politiquement Ismahane. Elle doit faire partie de ces groupuscules maoïstes qui pullulent à la Faculté centrale d’Alger. Le gros des troupes est de tendance marxiste, mais les maoïstes et les trotskistes ne passent pas inaperçus car ils font généralement dans l’agitation.
Mourad a lu dans El Moudjahid que l’un des problèmes qui se posait au niveau des brigades estudiantines de volontariat est cette lutte idéologique qui ne répond pas aux impératifs de l’heure et qui, en divisant les étudiants sur des questions secondaires et superficielles, épuise les énergies et réduit la portée de leur action.
Après un repas pantagruélique – l’ordinaire a été nettement amélioré en l’honneur de Mourad — «Che» propose deux heures de détente. Certains montent dans leurs chambres pour une sieste bien méritée…
 Mourad préfère rester sous la pergola à siroter son deuxième café, tout en lisant un livre que vient de lui refiler «Che». Ismahane, restée pratiquement seule dans la cour, grille cigarette sur cigarette. Elle semble contrariée et agitée. Après avoir fait les cent pas dans toutes les directions, elle finit par se calmer et rejoint la table. Elle s’assied en face de Mourad et le provoque silencieusement. Une mèche rebelle lui cache la moitié du visage. Immobile, elle fixe le bibliothécaire d’un regard étrange, vide.
Sans savoir pourquoi, ni comment, Mourad tend sa main et soulève tendrement la mèche d’Ismahane. Comme un chat ronronnant qui apprécie la cajolerie de son maître, elle ferme les yeux et prend la main de Mourad qu’elle serre fortement, avant de l’embrasser affectueusement. En pénétrant dans la chambre d’Ismahane, qu’elle partage d’ailleurs avec les autres filles, Mourad découvre une immense banderole rouge sur laquelle est écrit, en gros caractères jaunes, «L’impérialisme est un tigre en papier». Plus bas, une affichette pop’art clame «faites l’amour et pas la guerre».
M. F.

(Tiré du roman Les sirènes de Cap Rosa).
 P. S. : bonne nouvelle pour les visiteurs d'Annaba : la «Grande Bleue», établissement mythique de la corniche bônoise, vient de rouvrir après une longue fermeture. Ce restaurant, donnant sur les flots et égayé par une belle terrasse ombragée, a de tout temps constitué une attraction pour les touristes qui y trouvèrent calme, service bien fait et poisson grillé à la braise. 
Etablissement à la mode durant les sixties et les seventies, il brilla parmi les meilleures tables locales grâce aux Daoudi, un couple qui apporta tout son savoir et sa générosité légendaire pour satisfaire une clientèle exigeante... Sa fermeture, comme la disparition du «Lavandou» ou du «Bamako», à l'autre bout de la corniche, ont été ressenties comme une trahison vis-à-vis des hauts lieux de la gastronomie locale au moment où l'on parle de la relance du tourisme. Comme nous avions salué la réouverture de «Chez Sauveur» à la Madrague, nous disons bon retour à la «Grande Bleue» et merci aux jeunes Daoudi qui continuent de perpétuer le rêve des vieux en maintenant la qualité de service et la fraîcheur des produits proposés. 

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