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Rubrique Histoire

Les négociations d’Évian : la diplomatie algérienne au service de la paix (3e partie)

Par Mostefa Zeghlache, ancien diplomate

III- Les négociations d’Évian du 7 au 18 mars 1962 : la voie de la paix
Nombreux ont été les problèmes rencontrés en mai-juin 1961 à Évian et à avoir été aplanis par les entretiens secrets qui ont eu lieu aux Rousses, dans le Haut-Jura, du 11 au 18 février 1961, et la rencontre publique qui s’est tenue à Lugrin, en Haute-Savoie, du 20 au 25 juillet 1961. Ces deux rencontres constituent une phase décisive aux négociations finales d’Évian de mars 1962.
Dans son éditorial du 19 juillet 1961, El Moudjahid, organe d’information du FLN, annonce la reprise des négociations à Lugrin le 20 juillet et rappelle que la délégation du GPRA qui «s’était opposée à cette suspension, et cela dans l’intérêt même de la paix, s’apprête à reprendre les négociations avec la ferme volonté de les voir aboutir».(1)
La question de l’avenir du Sahara et les richesses de son sous-sol figuraient en tête des enjeux de la négociation, mais la justesse de la cause défendue, la fermeté et la constance de la position des délégués du GPRA ont été déterminantes dans l’assouplissement de la position de la France à cet égard en accédant à l’exigence algérienne d’inclure les régions sahariennes dans la mise en œuvre du processus d’autodétermination à la même date et dans les mêmes conditions que dans le reste du territoire national.
C’est ainsi que lors de la première séance de négociations à Lugrin, Joxe (I- 20.07.61) déclarait que «pour la France, l’autodétermination des populations algériennes doit s’exercer sur l’étendue des 13 départements algériens». Il ajoute, tout de même, qu’«il faut que les ressources du sous-sol saharien profitent à l’Afrique et en première ligne à l’Algérie, étant entendu que nos intérêts doivent être sauvegardés…»(2)
Afin de contrecarrer le projet français de l’«ensemble saharien» devant inclure plusieurs pays de la région, le GPRA adresse aux États africains, le 30 juin 1961, un mémorandum dans lequel il s’inscrivait en faux «contre la thèse (française) qui fait du Sahara une «res nullis» (la chose de personne, en latin) avant de devenir de souveraineté française et rappelait que «l’objectif fondamental du peuple algérien est de se voir restituer l’ensemble de son territoire tel qu’il était délimité en 1954. Les questions de rectification des frontières qui se posaient entre l’Algérie et certains pays frères voisins ne pouvaient se régler valablement, durablement et fraternellement qu’avec une Algérie souveraine et indépendante et non pas avec la puissance coloniale qui n’avait nul droit de conclure des accords au nom de l’Algérie»(3). Une telle initiative ne pouvait, et c’était prévisible, faire plaisir aux autorités françaises.
À Lugrin (I -21.07), Krim répondait aux critiques françaises sur l’initiative du mémorandum du GPRA en ces termes : «On ne peut reprocher au GPRA d’avoir pris contact avec les pays riverains du Sahara pour défendre les intérêts de l’Algérie et réaffirmer sa position africaine. Vous ne le pouvez d’autant qu’après nous avoir reproché d’ignorer les pays riverains, vous nous reprochez de prendre contact avec eux.» Dahlab (IV 25.07) ajoute plus incisif : « Sur le problème de souveraineté (sur le Sahara), nous ne pensons pas que les pays riverains aient donné mandat à la délégation française pour revendiquer la souveraineté sur le Sahara algérien… Si les pays riverains ont des revendications à formuler, demain ils les adresseront au gouvernement algérien.»
Outre le mémorandum, et pour tempérer les «ardeurs annexionnistes » du voisin marocain, le président Ferhat Abbas effectue une visite au Maroc, sanctionnée par un communiqué commun en date du 7 juillet 1961 dans lequel les deux parties déclarent «s’opposer par tous les moyens contre toute tentative de partage et/ou d’amputation du territoire algérien» et informent la puissance coloniale que «les problèmes de frontières entre le Maroc et l’Algérie concernaient ces seuls États».
Finalement, de Gaulle lève le préalable de la souveraineté sur le Sahara qui bloque les négociations. Dans une conférence de presse du 5 septembre 1961, il indique que «la question de la souveraineté du Sahara n’a pas à être considérée, tout au moins elle ne l’est pas par la France… Mais ce qui nous intéresse, c’est qu’il sorte de cet accord, s’il doit se produire, une association qui sauvegarde nos intérêts».
Il ajoute dans une note à la délégation de son pays en date du 3 octobre qu’«après ce que j’ai dit publiquement, nous estimons qu’il ne peut y avoir dans leur esprit d’ambiguïté au sujet de la souveraineté du futur État algérien, en ce qui concerne le Sahara, dès lors qu’une coopération franco-algérienne serait conclue».
La rencontre de Lugrin achevée, une autre secrète s’est tenue à Bâle le 29 octobre 1961. Le terrain des négociations a été suffisamment balisé depuis les négociations d’Évian de mai-juin 1961 et de Lugrin, en juillet de la même année, et les contacts officieux en France et ailleurs pour que s’ouvre la phase ultime des négociations de mars 1962 et soient signés les accords d’Évian.
Conscient de ce qui sortira du référendum d’autodétermination, de Gaulle évoque clairement dans une allocution en date du 5 février 1962 un État algérien souverain et indépendant : «nous approchons de l’objectif qui est le nôtre. Pour nous, il s’agit, dans le moindre délai, de réaliser la paix et d’aider l’Algérie à prendre en main son destin en y ménageant aussitôt la création d’un Exécutif provisoire et en nous tenant prêts à reconnaître, sans nulle restriction, ce qui ne manquera pas de sortir de l’autodétermination, c’est-à-dire un État souverain et indépendant…» Il lie cette reconnaissance anticipée de l’État algérien souverain à deux conditions : «Que soient respectés nos intérêts essentiels, notamment au Sahara, et qu’en même temps soit garantie à la minorité de souche européenne sa participation aux activités algériennes…»
L’optimisme quant à une solution satisfaisante du conflit semble acquis par la partie algérienne avant même que débutent les négociations finales du 7 au 18 mars 1962. Du moins, c’est ce qui ressort de l’éditorial d’El Moudjahid du 9 mars qui indique qu’«au moment où s’ouvre une ultime rencontre à Évian entre les deux délégations gouvernementales, la paix semble à portée de main : dans quelques jours, la guerre d’Algérie sera terminée».(4)
La délégation du FLN, présidée par Krim Belkacem, vice-président du GPRA et ministre de l’Intérieur, inclut également L. Bentobal, ministre d’État, S. Dahlab, MAE, Mhamed Yazid, ministre de l’Information, Rédha Malek, porte-parole, M. S. Benyahia, M. S. Mostefaï, délégué du GPRA au Maroc, et le Colonel Amar Benaouda.

La phase d’Évian II s’est étendue sur 9 séances de négociations minutieuses et intenses.

La première s’est tenue le mercredi 7 mars et la dernière s’est achevée le 18 mars 1962, à 17h40. Elle a été plus «technique» que les phases précédentes. Les deux délégations s’étaient engagées à éclaircir certains détails des projets d’accords sur les questions débattues depuis le 20 mai 1961 et mettre au point avec minutie le calendrier de leur mise en œuvre. Parmi l’ensemble des dispositions retenues par les accords figurent notamment le cessez-le feu, les attributions de l’Exécutif provisoire et du Haut-Commissaire français, le tribunal de l’ordre, l’amnistie, l’armée et la police, la force locale, les bases militaires et les aérodromes, les réfugiés algériens (170 000), la minorité européenne, son statut et ses biens, la nationalité, l’algérianisation de l’administration chargée du scrutin, la loi électorale, l’exploitation des richesses du sous-sol saharien, la coopération technique et culturelle, les questions financières, l’abrogation du décret de dissolution du FLN...
S’agissant du statut du FLN, puisque de Gaulle ne voulait pas reconnaître le GPRA, Krim (VI -10.03) a déclaré : «Nous sommes d’accord sur l’autodétermination avec le gouvernement français. Nous sommes de ce fait une organisation légale et puisque nous avons négocié et conclu un accord, cette légalité doit être mentionnée dans les textes.» Ce à quoi répond Joxe : «Vous êtes un mouvement politique. Vous n’avez pas besoin de vous constituer en association. C’est une condition de la vie civile et non de la vie politique.»
Même pendant la période transitoire entre le cessez-le-feu et la proclamation du résultat du scrutin d’autodétermination, le gouvernement français entendait discuter avec son Haut-Commissaire et l’Exécutif provisoire, mais pas avec le GPRA dont, pourtant, le premier président, Ferhat Abbas, a failli rencontrer de Gaulle. Par ailleurs, on l’a constaté, la reconnaissance du GPRA par un certain nombre de gouvernements irritait au plus haut point le général de Gaulle et son gouvernement.
La neuvième et dernière séance de négociations s’achève donc le dimanche 18 mars 1962 à 17h40 vec de brèves allocutions des chefs des deux délégations.
Le même jour, à 18h, Krim Belkacem déclarait à l’agence algérienne APS : «En vertu d’un mandat du Conseil national de la Révolution algérienne, nous avons signé ce jour, à 17h30mn, un accord général avec les représentants mandatés du gouvernement français. En conséquence de cet accord général, un cessez-le-feu a été conclu. Ce cessez-le-feu entrera en vigueur sur tout le territoire le lundi 19 mars 1962, à 12h précises.»
Pour sa part, le président du GPRA, Youcef Benkhedda, fait, sur les antennes des radios de Tunis, Rabat, Tanger, Tripoli et Le Caire, une déclaration au peuple algérien reprise dans El Moudjahid daté du 19 mars 1962 : «après plusieurs mois de négociations difficiles et laborieuses, un accord général vient d’être conclu à la Conférence d’Évian entre la délégation algérienne et la délégation française. C’est là une grande victoire du peuple algérien dont le droit à l’indépendance vient d’être reconnu.»(5)
Le même jour, le général de Gaulle déclarait, dans une allocution radiotélévisée : «La conclusion du cessez-le-feu en Algérie, les dispositions adoptées pour que les populations y choisissent leur destin, la perspective qui s’ouvre sur l’avènement d’une Algérie indépendante coopérant avec nous satisfont la raison de la France.» L’amertume se ressent dans les propos du général qui évoque «les dispositions» et non les accords et « les populations » au lieu de peuple algérien.
Les accords d’Évian comprennent les «Conditions et garanties de l’autodétermination»(4), les «Déclarations de principe»(7) et la «Déclaration générale» (5 chapitres). Certains parlent de clauses secrètes mais là n’est pas le propos de la présente contribution. Les documents sont signés par Krim Belkacem, pour la partie algérienne, et Louis Joxe, Robert Buron et Jean de Broglie, pour la partie française.
Le lendemain, 19 mars 1962, commençait le processus de mise en place des institutions provisoires avec la nomination de Christian Fouchet Haut-Commissaire de France, et le 7 avril, l’installation de l’Exécutif provisoire, présidé par Abderrahmane Farès (ancien président de l’Assemblée nationale).
Le 26 mars 1962, de Gaulle lançait un appel dans une allocution radiotélévisée en faveur du «oui» au référendum sur l’autodétermination. Dans une autre allocution, le 8 juin, il déclarait à la veille de la campagne pour le référendum : «Dans 23 jours, pour la France, le problème algérien sera résolu au fond. L’Algérie disposera d’elle-même. L’Algérie et la France pourront coopérer l’une avec l’autre, organiquement et régulièrement…»
En France, un référendum est organisé le 8 avril 1962 avec pour question : approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et concernant les accords à établir et les mesures à prendre au sujet de l’Algérie sur la base des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 ? Les électeurs français répondent «oui» à plus de 90%.
Le CNRA se réunit à Tripoli du 25 mai au 6 juin 1962 et, au premier point de l'ordre du jour, approuve à l'unanimité les accords d'Évian.
Entretemps, les extrémistes criminels de l’Organisation armée secrète (OAS) accentuaient leur politique de terre brûlée avec pour but de « rendre l’Algérie à l’état où elle était en 1830 » et procédaient à une vaste campagne terroriste visant les citoyens algériens et même français non acquis à leur «cause». Une tentative de mettre fin aux crimes de l’OAS par un accord est engagée le 17 juin 1962 et se traduit par un cessez-le-feu non écrit. Elle échouera et sera désavouée autant par le FLN /GPRA que par les autorités françaises.
En Algérie, le référendum d’autodétermination du 1er juillet 1962 par lequel seuls les habitants d’Algérie étaient concernés donne 99,72% des voix de «oui». Le 3 juillet, c’est la Déclaration de reconnaissance de l’indépendance par la France. Le jour même, de Gaulle envoie une lettre à ce sujet à Abderrahmane Farès, président de l’Exécutif provisoire.
Dans ce contexte des plus difficiles pour le peuple algérien et sa direction politique, il est logique que les accords d’Évian, en tant que résultats de négociations difficiles mais cruciales pour l’avenir de l’Algérie, aient été l’objet de critiques de certains protagonistes civils et militaires.
En témoigne le «Projet de programme pour la réalisation de la Révolution démocratique» adopté à l’unanimité par le CNRA à Tripoli en juin 1962, qui estime que «les accords d’Évian constituent une plate-forme colonialiste que la France s’apprête à utiliser pour asseoir et améliorer sa nouvelle forme de domination».(6)
Néanmoins, s’il semble aisé d’adresser des reproches aux membres de la délégation algérienne, certaines dispositions des accords du 18 mars 1962 n’ayant donc pas satisfait certains segments de la résistance nationale, on ne peut néanmoins pas leur reprocher de s’être totalement investis, individuellement et collectivement, dans une mission historique au service exclusif du pays et de l’avoir menée, avec abnégation et brio, à son terme.
Dans ses mémoires, Saâd Dahlab écrit : «L’amour de la patrie, notre volonté de ne considérer que son intérêt supérieur, de mettre l’intérêt général au-dessus de l’intérêt personnel, nous a permis de surmonter nos déceptions, de vaincre nos ressentiments. C’est pourquoi notre engagement dans le combat libérateur signifiait avant tout servir.»(7)
À ces diplomates de l’Algérie combattante comme à tous les Algériens et les Algériennes tombés pour la liberté durant les 132 ans de résistance, une pensée émue et sincère est adressée.
M. Z. 
[email protected]

1- El Moudjahid (organe central du FLN) n° 83 P527. éditorial du 19.07.61.
2- Vers la paix en Algérie – Les négociations d’Évian dans les archives diplomatiques françaises : 15 janvier 1961 - 29 juin 1962 – Introduction de Maurice Vaisse, vice-président de la Commission de publication des documents diplomatiques français et postfacé par Sadek Sellam- Editions Alam El Afkar 2012.
3- Rédha Malek : l’Algérie à Évian. Histoire des négociations secrètes 1956-62 Ed. Seuil, Paris 1995.
4- El Moudjahid (organe central du FLN) : n° 90 du 09.03.1962.
5- El Moudjahid (organe central du FLN) n° 91. Editorial du 19.03.1962.
6 - Projet de Programme pour la réalisation de la Révolution démocratique, FLN, non daté.
7- -Saâd Dahlab : Pour l’indépendance de l’Algérie. Mission accomplie, Ed. Dahlab, Alger, 1990.

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