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Rubrique Hommage

Hommage à Raouf Boudjakdji

Par l’ambassadeur Amine Kherbi(*)
Raouf Boudjakdji nous a quittés le 18 septembre 2019 à Los Angeles. Il résidait aux Etats-Unis d’Amérique depuis près de trente ans. C’est dans ce pays qu’il trouva un refuge à un moment crucial de sa vie de militant de la cause nationale. Le défunt naquit en 1930 à Blida – la ville des Roses — dans la Mitidja, province de l’abondance et foyer de la résistance. Ses années d’enfance furent marquées par l’onde de choc des exactions du régime de Vichy contre la population algérienne qui plongea le pays dans l’exaspération.
Cette répression sans bornes ne fut qu’une étape particulière de la violence quotidienne que les Algériens affrontèrent pendant cent trente-deux ans. Durant cette sombre période, les Algériens assistèrent, avec le ressentiment des damnés de la terre, à un bouleversement des valeurs dans un monde en ébullition. De bonne heure, Raouf Boudjakdji fut cohérent dans sa façon de toujours vouloir bien prendre les choses. Cela n’est, évidemment, pas dû au hasard. C’est le fruit d’une éducation soignée dont il tira parti en excellant dans les études afin de donner le meilleur de lui-même pour se surpasser. Au lycée Ibn-Rochd de Blida, il était apprécié et jouissait d’une certaine notoriété grâce à son talent, sa générosité et son entregent. Bénéficiant d’un don de sympathie incontestable, il gagna l’estime de ses illustres aînés fréquentant le même établissement - Abane Ramdane, Benyoucef Benkhedda, M’hamed Yazid et Saâd Dahlab - qui perçurent son dévouement, son intelligence et sa détermination. A leur exemple, il vécut intensément le sursaut que connut la société algérienne grâce à l’engagement de ses élites intellectuelles et politiques. Ce fut une étape charnière de la consolidation du mouvement national et de l’affirmation de la volonté collective d’une communauté déterminée à témoigner d’elle-même en se soulevant contre l’occupant. C’est cet esprit qui anima son milieu familial et le forgea. L’ambition qu’il avait pour son pays et pour lui-même fut confortée par un caractère qui ne lui a jamais fait défaut.
Sa lucidité intellectuelle a toujours fait le reste. Après l’obtention de son diplôme de l’Ecole supérieure de commerce d’Alger, il se rendit à Tunis, où il entama un parcours exemplaire de militant du Front de libération nationale qui le qualifia rapidement pour assumer des responsabilités en tant que représentant permanent adjoint de la délégation du FLN auprès de l’ONU aux côtés de feu Abdelkader Chanderli. A New York, les diplomates des pays amis ou sympathisants de la cause algérienne, les fonctionnaires internationaux et les journalistes ne tarissaient pas d’éloges à son sujet.
De retour à Alger en 1964, il fut nommé chef de la Division des Organisations internationales au ministère des Affaires étrangères. C’était la période de construction et de grande transformation qui a vu naître les institutions politiques, économiques et sociales du pays et le moment où il fallait penser le rôle international de l’Algérie avec plus d’attention.
La diplomatie algérienne avait été mise à contribution pour renseigner sur l’attitude des participants au grand jeu de l’époque, définir notre nouveau rôle dans les relations et les interactions globales, notamment en matière de coopération internationale, afin de cerner les grands enjeux et d’évaluer les risques de notre action extérieure. Dans ce contexte où les défis étaient grands et subtils, Raouf Boudjakdji était à son aise face aux dossiers importants. Compétent et imaginatif, favorisé par la culture, il fut l’homme idoine pour animer une équipe pluridisciplinaire chargée de la mise en cohérence de la position de l’Algérie sur les questions multilatérales. Grâce à ses capacités réelles et sa rigueur, il sut transformer en conscience professionnelle une expérience mise au service de jeunes cadres chargés d’une mission sensible. Totalement voué au travail et toujours à l’écoute des autres, il ne ménageait aucun effort pour apporter, au moment voulu, son concours à l’action collective. Ce diplomate talentueux, dont le sens des possibilités caractérise l’esprit d’initiative, a incarné une forme de dialogue qui a été bénéfique à l’efficacité de l’action extérieure de l’Algérie. J’ai forgé ma conviction quant à sa sagacité dès notre première rencontre. La suite a étayé, plus d’une fois, cette intuition. Je fis la connaissance de Raouf Boudjakdji lors de la première réunion ministérielle du Groupe des 77 qui s’est tenue à Alger au mois d’octobre 1967. Nous étions tous les deux membres de la délégation algérienne, lui en qualité de secrétaire général adjoint de la conférence et moi en tant que membre de la commission chargée des produits de base. C’était l’époque où, intuitivement, nous sentions que le monde dans lequel nous vivons était en cours de transformation et qu’il fallait nous adapter à ce nouveau contexte. L’Algérie, qui s’était employée à restructurer son système économique, social et politique, s’engagea dans la bataille de la refonte de l’ordre mondial en mettant à la disposition des pays en voie de développement son expérience en matière de négociation commerciale, de coopération et de régulation globale.
A Genève, où il a représenté l’Algérie auprès de l’Office des Nations-Unies en qualité d’ambassadeur et représentant permanent, je l’ai secondé de 1973 à 1977. Durant toutes ces années cruciales pour le renforcement de la présence de l’Algérie sur la scène internationale, nos épreuves furent simultanées, nos espérances communes et nos efforts tendus vers le même objectif. A la Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement ou auprès d’autres organisations internationales à Genève, son œuvre s’affirma avec intelligence et méthode, rationalité et efficacité.
Sa fierté de servir l’Algérie et son orgueil d’appartenir au Tiers-Monde n’ont jamais eu, dans son comportement, de rôle comparable à celui qu’a joué son universalité. Il suffit pour moi d’évoquer les conditions extraordinaires dans lesquelles il a contribué à la mise en place du groupe de travail chargé d’élaborer la Charte des droits et devoirs économiques des Etats, à la mise en œuvre du programme intégré pour les produits de base et celui de la coopération entre les pays en voie de développement, pour mesurer les mérites qui furent les siens dans le lancement de la grande entreprise de solidarité mondiale symbolisée par le Nouvel ordre économique international.
Il y a dans ce développement positif l’aboutissement de son long effort où sa persévérance n’avait d’égale que son abnégation et la très haute idée qu’il se faisait de sa mission au service de l’Algérie. Son ambassade en Inde fut un succès. De 1979 à 1981, il a réussi à faire évoluer les relations entre les deux pays grâce à l’approfondissement du dialogue et l’élargissement de la concertation dans les domaines de la coopération, de la sécurité et du développement.
Le resserrement des liens entre Alger et New-Delhi avait favorisé le renforcement de la coopération Sud-Sud et la relance du dialogue Nord-Sud. Pour autant, il fallait innover davantage pour donner sens à des relations rénovées entre pays en voie de développement et pays développés fondées sur une gouvernance mondiale juste et efficace. La contribution de Raouf Boudjakdji était à la hauteur de ces exigences. Elle fut hautement appréciée car elle symbolisait la capacité créatrice de la diplomatie algérienne.
Raouf Boudjakdji fut un homme de vision et de raison. C’est son parcours professionnel exceptionnel et de remarquables qualités humaines qui ont fait sa notoriété. Son style et la manière d’aller de l’avant traduisaient l’ambition qu’il avait pour son pays. Ce diplomate chevronné et inspiré, qui a toujours su trouver le ton juste pour donner une expression à l’intérêt national, a incarné une idée forte de l’Algérie. A travers l’exemple de ce grand serviteur de l’Etat, il y a le fond de l’espérance qui apparaît aux Algériens comme une nouvelle phase de leur combat pour la maîtrise de leur destin. L’œuvre que l’ambassadeur Raouf Boudjakdji a conçue et accomplie ne peut susciter qu’intérêt et gratitude.
Au nom de mes collègues, toutes générations confondues, je tiens à lui témoigner notre reconnaissance en saluant respectueusement sa mémoire.
A. K.
(*) Ancien ministre délégué aux Affaires étrangères.

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