Placeholder

Rubrique Ici mieux que là-bas

Agadir selon Khaïr-Eddine

Tout là-haut, sur la colline d’un ocre brûlé, il reste un rempart dressé comme la trace de la persistance. Debout. Il se confond presque avec la terre. Vu d’ici, c'est-à-dire de la plage, il paraît de terre sèche. Cette couleur ? Celle du désert ! Les nuages nuancent les tons, les tempèrent.
Puis, avec l'inattendue force d'une onde tellurique, le soleil perce l’édredon du brouillard diaphane qui flotte au-dessus de la mer. Ce mur est une survivance de la ville perchée sur la colline comme une citadelle immémoriale. Mais un séisme la jette à terre en 1960. Plus du tiers de la population périt. Un cataclysme. Le tremblement de terre le plus meurtrier pour une telle magnitude dite modérée, 5,7 sur l’échelle de Richter. Une blessure ouverte. Agadir-Oufellah, la ville haute, a été rayée de la carte. Une contusion dans le tissu mémoriel de la tragédie. Quelques autres – et rares —bâtiments ont échappé au tremblement de terre. Miracle. Au pluriel.
Dont un hôtel, le Marhaba. C’est justement celui où je descends. C’est un type sur la promenade au bord de l’océan qui nous aborde, l’ami Benmohamed et moi.
- Vous êtes kurdes ?
Allons, bon ! Il tente sa chance avec je ne sais plus quelles autres nationalités. Nous décidons d’abréger sa souffrance.
Puis il raconte. Il ne reste de l’ancien Agadir qu’un hôtel et un autre bâtiment. C’est Mehdi, un professeur de linguistique amazighe à l’université, qui nous montre la faille laissée sur la dalle de sol du Marhaba par le séisme de 1960. Une estafilade éloquente, conservée comme une fêlure du souvenir.
Autre séquence : au bout de la promenade, un autre type nous aborde. Il a l’air camé à l’air marin.
- Vous êtes d’Algérie ? Moi aussi.
On lui arrache quelques mots. Il est arrivé d’Oran vers 1985. Il nous explique qu’il est pêcheur mais qu’il ne sortait pas en mer pour le moment à cause d’une luxation du poignet. Sur ce, nous arrivons à la pêcherie d’Agadir jouxtant la marina. Des gargotes en enfilade donnent sur une place proprette. Sur la terrasse, de grandes tables de cantines collectives s’alignent. Ahmed, le gars d’Oran, nous aiguille vers l’une d’entre elles. Il nous présente le patron. Il fait le rabatteur de clients.
- On mange bien ici, et c’est bon marché.
On consulte les prix sur une carte affichée sur un mur. Il a raison, c’est plutôt accessible.
Pas possible de déjeuner, là ! Mais on promet de revenir aussitôt que possible. Promesse tenue le lendemain, midi ! Poissons frais à gogo ! Des touristes viennent se sustenter à prix modiques. Mais pas seulement ! Ce sont surtout des gens du cru qui s’y pressent.
La déambulation digestive mène à travers les avenues géométriques de la nouvelle ville. Depuis le séisme de 1960, m’explique Saïd, un autre Algérien installé ici depuis près de 30 ans et qui est dans les travaux publics, les normes de construction sont très strictes. La catastrophe a servi à rendre presque sacrée la norme antisismique.
Les balades dans Agadir sont hantées par les mots contondants de Mohamed Khaïr-Eddine, l’écrivain berbère maudit, l’enfant prodigue, le révolté qui se décrivait lui-même «errant, touchant, crachant, seul, cerné de mouches noires et vertes».
Le trublion a mené toute une vie d’errance déjantée en exil avant de rentrer, cassé, au bercail. Il a couru l’exil et c’est l’exil intérieur qui l’a achevé.
Agadir est le titre d’un de ses textes les plus sulfureux et les plus flamboyants. Khaïr-Eddine (1945-1995) travaillait pour la Sécurité sociale qui l’envoya pour s’occuper des dossiers de personnes touchées par le séisme. Il en revint avec ce texte qui raconte l’histoire d’un fonctionnaire chargé d’une mission dans une ville anéantie. Ce fonctionnaire slalome entre cadavres et décombres. Ça lui inspire une révolte incisive. Alors, il dresse un théâtre-tribunal et convoque tout ce qui vit, tout ce qui survit. Il équarrit les pouvoirs établis et la littérature classique. Tout le roman est un jet de vitriol qui fait remontrer l’immémoriale colère de l’indigène spolié par les autres autant que par soi-même.
Extrait : «Seigneur, Berbère depuis le placenta et avant la goutte de sperme/Berbère sans fantasia sans calebasse par l’orage et les cimes par les cheveux du thym par le bourg de ma tête/Berbère ce mot monnaie du paradis/sans timbre de cambri/sans lotar sans timbale ni propos/ du ministre du Tourisme et des beaux arts»….
Pas possible de baguenauder dans Agadir sans penser au phénomène Khaïr-Eddine. Un centre culturel porte son nom. Mémoire de lave volcanique. Tous ceux qui l’ont connu — et mon ami Kamel Bencheikh, un des jeunes poètes des années 1970 qui faisait partie de la bande des Djaout, Tibouchi, Farhi, Chakib Hammada et les autres, le confirme, lui qui l’a côtoyé dans ses dérives vespérales parisiennes, — parlent de lui comme d’une bombe qui explose plusieurs fois en une seule . Le centre culturel Khaïr-Eddine est une des salles où se projettent les films du 11e Festival international du film amazigh. Mais justement, c’est pour cette manifestation que nous nous trouvons à Agadir.
Mais... Parler de Khaïr-Eddine… Un dernier pour la route ? «Comment s’écrit l’avenir et comment naît une rose ?»…En quelle langue, en quelle roseraie ? Khaïr-Eddine a joué sa vie pour répondre à ces questions... Elles restent en suspens...
A. M.

Placeholder

Multimédia

Plus

Les + populaires de la semaine

(*) Période 7 derniers jours

  1. BMS Pluies sur plusieurs wilayas jusqu'à mercredi

  2. Le Conseil de sécurité adopte une résolution pour un cessez-le-feu immédiat à Ghaza

  3. Palestine Un avion militaire algérien d’aides humanitaires pour Ghaza se pose à Al Arich

  4. Adoption d’une résolution exigeant un cessez-le-feu immédiat à Ghaza Bendjama exprime ses remerciements à tous les membres du Conseil de sécurité

  5. Situation à Ghaza Attaf reçoit un appel téléphonique de son homologue américain

  6. Ligue 1 Le MCA fêtera-t-il son sacre à Tizi-Ouzou ?

Placeholder