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Rubrique Ici mieux que là-bas

Algérien : peau noire, masque noir !

On est forcément les harragas de quelqu’un. Le postulat est aussi vieux que l’eau ou le sable : l’herbe est toujours plus verte ailleurs ! Sans doute que, dans cet élan qui nous porte à partir, à aller vers d’autres azimuts, il n’y a pas que le désir de mieux vivre matériellement, ce qui est souvent un ressort de la migration. Il y a aussi des questions d’identité individuelle et collective, de représentation de soi. Voyons, par exemple, les Algériens de peau noire, dont on ne parle jamais. Comment se sentent-ils dans la représentation que l’Algérien se fait de lui-même ? La question est un tabou de fait. Au fond, se sentent-ils mieux chez eux, en Algérie, qu’ailleurs ? Pas sûr ! En tout cas, il n’y a, à ce que l’on sache, aucune enquête sociologique ou même journalistique pour nous le dire.
La récente déconvenue, pour rester euphémique, de Khadidja Benhamou, cette véritable reine de beauté d’Adrar, couronnée Miss Algérie 2019, donne la  partie la plus moche  de la réponse. Le déferlement de haine raciste qui l’a visée à travers les réseaux sociaux, s’attaquant à la couleur de sa peau, montre que les Algériens ont une incontinence verbale terrible lorsqu’il s’agit de faire dans une forme d’épuration loin d’être honorable. C’est bien de cela qu’il s’agit ! On tape sur Miss Algérie 2019 car l’on  n’accepte pas l’hérésie qu’une Noire ou même une femme à la peau mate puisse incarner la femme algérienne, a fortiori la beauté féminine algérienne.
Il est vrai que les réseaux sociaux sont le lieu de toutes les lâchetés décomplexées puisqu’on peut tout y dire, protégés par le confort de l’anonymat et de l’impunité.  
Mais il n’est pas impossible que cette meute de défenseurs de l’Algérie blanche nickel soit en même temps le clan des contempteurs du racisme dont ils souffriraient eux-mêmes en tant qu’Algériens, quelle que soit la couleur de leur peau – les harragas, tiens ! – en Occident par exemple. Or, personne parmi ces tireurs embusqués dans les fosses à purin ne commentera ce qui est loin d’être un scoop, l’élection d’une basanée, ex-Miss Tahiti, au nom bien gaulois de Vaimalama Chavez au trône de Miss France 2018. D’ailleurs, l’année précédente, une autre basanée, Alicia Aylies, ex-Miss Guyane, était, elle aussi, couronnée Miss France. In situ, hormis quelques excités du bocal de l’extrême droite, personne n’a trouvé à y redire ! C’est qu’au-delà de la couleur de la peau, il y a des critères de beauté qui sont universels ou, du moins, le sont devenus.
Mais nous, Algériens, nous sommes, comme on le sait, les meilleurs, les plus purs, les plus beaux, bref «les plus-mieux» et nous n’avons de leçon à recevoir de personne. Jamais !
Fiction : si Khadidja Benhamou avait été une harraga, elle aurait pu sans doute être élue Miss Suède ou Miss Danemark sans que cela déclenche la  bouffée d’anxiété sonore des sectateurs de la blancheur liliale. On reconnaît le degré d’évolution d’une société à sa capacité d’intégrer les différences et de ne pas s’en effaroucher. En dépit des relents de racisme qui perdurent aux Etats-Unis, par exemple, et ce n’est pas rien, on y trouve des fruits du combat antiraciste comme en la personne d’Ihlan Omar. Cette harraga somalienne a été élue dans le Minnesota au Congrès des Etats-Unis malgré le cumul des «tares» qui l’affectent : réfugiée, noire et musulmane.
Bien entendu, il serait erroné et dangereux d’incriminer, pour cette flambée de racisme, la majorité des Algériens. Une règle statistique veut qu’une minorité agissante peut remplir l’espace au point de se targuer de s’exprimer au nom de la majorité. C’est le travers dans les pays, comme chez nous, où les sondages d’opinion n’existent pas. Les récentes expulsions massives de réfugiés subsahariens ont été accompagnées par des quolibets racistes. A l’opposé, elles ont donné également lieu à l’expression de sentiments antiracistes et fraternels. De nombreuses associations, groupes et personnalités, ont dénoncé cette exclusion haineuse basée sur le plus infâme des instincts.
L’épisode d’éruption raciste a permis, à quelque chose malheur est bon, le raffermissement de ce principe consigné dans les textes doctrinaux de l’Etat algérien, comme dans ceux de la plupart des pays membres de l’ONU : l’égalité des êtres humains sans distinction de couleur de la peau.
La réaction admirablement zen de Khadidja Benhamou face à ce tsunami d’invectives donne de l’espoir à tous ceux qui, depuis quelques mois, œuvrent dans les associations à promouvoir la tolérance, la fraternité, et à faire reculer les préjugés imbéciles sur la supériorité de certains en raison de la couleur de la peau. Faut-il rappeler que pendant la guerre de Libération on ne sélectionnait pas les candidats au devoir patriotique selon la couleur de leur peau ? Ce à quoi, il faut ajouter que l’Algérie combattante a été la patrie de cœur et de raison de Frantz Fanon qui, dans Les Damnés de la terre, s’écriait pendant qu’encore crépitait le feu du combat pour l’indépendance : «Bâtissons ensemble une Algérie qui soit à la mesure de notre ambition, de notre amour… Nous sommes des Algériens, bannissons de notre terre tout racisme, toute forme d’oppression et travaillons pour l’épanouissement de l’homme et l’enrichissement de l’humanité.»
Avec sa réaction philosophique à la meute qui l’a clouée au pilori, Miss Algérie 2019 ajoute à son extraordinaire beauté plastique, la beauté de son esprit. 
A. M.

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