Placeholder

Rubrique Ici mieux que là-bas

Avenue de la gloire, impasse de la honte !

La nouvelle mairesse de Madrid, Manuela Carmena, issue du mouvement Podemos, la gauche citoyenne, pourrait céder à la base de son mouvement en débaptisant la place Margaret-Thatcher pour lui substituer le nom de Pedro Zerolo, ancien dirigeant socialiste, père du «mariage pour tous» en Espagne.
La demande du mouvement Podemos qui exige de rebaptiser cette place appartenant, ça ne s’invente pas, à la Banque de Madrid, est motivée par le fait que Mme Thatcher, la papesse de l’ultralibéralisme reaganien, est connue pour avoir asservi et réprimé férocement le mouvement ouvrier et citoyen. On lui doit aussi la dérégulation du marché jusque dans ses confins les plus inhumains, et d’avoir laissé mourir les grévistes de la faim de l’IRA en 1981, menés par Bobby Sands. Shocking ! A en croire la presse british, les conservateurs auraient été scandalisés par cet effacement lèse-Thatcher.
Cette guerre des toponymes n’est pas récente car déjà en 1981, l’Iran avait renommé le boulevard Winston-Churchill, à Téhéran, du nom de Bobby Sands. Le pied-de-nez réside dans le fait que cette rue, à laquelle on avait attribué le nom de l’indépendantiste irlandais, abritait l’ambassade britannique. Ainsi et comme l’avaient voulu les autorités iraniennes, chaque fois que les diplomates anglais recevaient du courrier, ils pouvaient lire, avec rage et impuissance, sur l’enveloppe le nom honni de Bobby Sands. Retour à Madrid. Saisie d’une frénésie de purification toponymique, l’édile madrilène entend biffer toute référence au franquisme en rebaptisant rien moins que 148 rues, 11 avenues, 20 places, 3 monuments, 2 instituts, 2 collèges, 2 parcs, 1 jardin et… il ne manquerait plus qu’un raton-laveur pour faire un fragment d’inventaire à la Prévert.
L’accès de prophylaxie antifasciste et ce faisant anti-collaborationniste, a franchi les Pyrénées. Ce n'est qu'en 2013, il y a à peine cinq ans donc, qu'en France, la dernière rue Pétain a été débaptisée. Régulièrement, et selon un séquençage de l’Histoire déterminé par l’actualité, on y procède au grand ménage. En ce moment, avec la montée puissante et bienvenue de l'antiesclavagiste, le Cran (Conseil représentatif des associations noires de France) s’insurge contre le fait que le nom de Colbert, l’initiateur du Code noir, soit toujours porté par des collèges, des lycées, des rues. Ministre et contrôleur général des finances de Louis XIV, Colbert est qualifié par le président du Cran, Louis Georges Tin, d’«acteur de la légalisation de l’esclavage», donc «coupable de crimes contre l’humanité». Il n’y a pas que Colbert qui soit visé. D’autres figures locales de l’esclavagisme sont aussi mises en cause dans des villes comme Bordeaux, Nantes, Le Havre où des statues leur ont été érigées.
La guerre des toponymes s'appelle aujourd'hui la diplomatie des noms de rue. A tout seigneur, tout honneur, les Etats-Unis et la Russie, les deux principaux protagonistes de la Guerre froide, qui ont jadis pratiqué ce petit jeu, remettent ça ! Le 10 janvier, la ville de Washington renomme une place, située face à l'ambassade de Russie, Boris Nemtsov Plazza du nom de l'opposant à Vladimir Poutine assassiné à Moscou en février 2015. En représailles, la Russie envisage d’appeler un passage qui longe l'ambassade des Etats-Unis à Moscou, impasse d'Amérique du Nord.
La turbulente Turquie d'Erdogan n'est pas de nature à négliger cette forme de guerre. Le maire d'Ankara, Mustafa Tuna, semble même en être un acteur récidiviste. En décembre 2017, il renomme une rue qui mène à l'ambassade des Emirats arabes unis au nom de Fahreddin Pasha, gouverneur ottoman de Médine de 1916 à 1919. L'acte est une réponse à des propos désobligeants du ministre des Affaires étrangères émirati à l'endroit de ce dignitaire ottoman.
Ne s'en tenant pas à cette vindicte, le maire d'Ankara décide dans la foulée de s'en prendre aux Etats-Unis qui constituent, selon le gouvernement d'Erdogan, un soutien aux Kurdes syriens. L'avenue longeant l'ambassade américaine dans la capitale turque devrait être renommée «Rameau d'Olivier» du nom de l'opération militaire turque contre les combattants kurdes dans le nord de la Syrie.
L'Égypte aussi se réveille à son histoire puisque les autorités ont décidé d'effacer de la plaque le nom de Selim 1er, sultan ottoman ayant conquis l'Égypte en 1517. Dans le viseur, une centaine d'avenues, places, rues, passages qui portent les noms de ce que les Égyptiens considèrent comme des «colonisateurs ottomans».
Là aussi, on pourrait dresser un inventaire à la Prévert.
La grande absente de ce survol dans la guerre des toponymes, c’est évidemment l’Algérie qui, pourtant, s’y connaît en la matière ou du moins devrait s’y connaître. On se souvient qu’après l’indépendance, un légitime grand lavage de printemps avait été réalisé. On avait purgé les plaques de rue de tout nom qui aurait pu rappeler de près ou de loin les turpitudes de la colonisation. Puis plus rien.
En près de soixante ans d’indépendance, on a construit un nombre incalculable de rues. Mais on oublie de les nommer ou on n’en voit pas l’importance. En 2015, le ministère de l’Intérieur comptait quelque 80 000 rues qui ne portent aucun nom, ce qui n’est pas sans poser de substantiels problèmes à la géolocalisation, aux pompiers, aux policiers, aux facteurs. Ce qui faisait dire à Brahim Atoui, toponymiste au Crasc (Centre de recherche en anthroponymie), dans une déclaration à El Watan en 2015, que le défaut de noms de rues a été compensé par les habitants eux-mêmes «qui s’en sont chargés, véhiculant des connotations dévalorisantes. Les gens créent eux-mêmes des noms pour s’orienter.»
Qu’à cela ne tienne. On n'est bien servi que par soi-même ? Ce n'est pas toujours le cas...
A. M.

Placeholder

Multimédia

Plus

Les + populaires de la semaine

(*) Période 7 derniers jours

  1. Air Algérie annonce la suspension de ses vols à destination de la Jordanie et du Liban

  2. Trafic de drogue Un réseau tombe à Oran

  3. Sfisef (Sidi-Bel-Abbès) Lumière sur l’assassinat des 3 taxieurs retrouvés enterrés dans une ferme

  4. KFC Algérie ferme deux jours après son ouverture

  5. CNR Les retraités appelés à utiliser la technique de reconnaissance faciale via "Takaoudi"

  6. Justice Trois individus placés en détention pour passation de marché suspect entre «Mobilis » et un consortium algéro-étranger

Placeholder