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Rubrique Ici mieux que là-bas

Aziz Chouaki, Ulysse en mode harrachi

C’était la dernière fois que je voyais Aziz Chouaki. Et ça remonte à loin. Mai 2013. Nous étions à la levée de corps d’un ami et camarade de lycée commun, Hachemi Bellali, le bassiste attitré d’Idir depuis plusieurs années. Aziz Chouaki était venu rendre un dernier hommage à son condisciple au lycée Abane-Ramdane d’El-Harrach, quelqu’un avec qui il avait aussi partagé des aventures musicales, celles du rock des années 1970, au plus fort du corset Boum. En ce temps-là, porter les cheveux longs et chanter en anglais en s’accompagnant d’une guitare électrique était le comble de l’aliénation, pour ne pas dire de la trahison.
 Avec Hachemi Bellali, Arezki Baroudi et d’autres, Aziz Chouaki défiait alors la chape de plomb de l’arabo-baatho-oulémisme, cocktail dans lequel incubaient le FIS et le fondamentalisme dévastateur, en s’appropriant le rock comme genre universel. Heureusement, ils ont tenu bon ! Ce seront les mêmes qui viendront par la suite, avec leur background de musique métissée, à des mélanges avec le chaâbi et la musique kabyle.
J’étais inquiet de voir Aziz mal en point, à cette levée de corps. Une partie de son visage était rigide, son bras gauche paralysé et il peinait à parler. Il m’apprit qu’il venait de faire un AVC (accident vasculaire cérébral). Et que c’était un miracle qu’il ait pu recouvrer en grande partie ses capacités ! Certes, il avait encore du mal à bouger les doigts et il commentait son mal, en plaisantant: « C’est plus de 40 ans de guitare qui sont enfermés dans cette demi-paralysie .»
Il était effectivement amputé d’une partie de sa raison d’être : faire de la musique ! Aziz Chouaki, c’était ce jeune musicien de rock flamboyant, iconoclaste et audacieux, celui dont Sadek Aïssat, un autre écrivain et musicien, harrachi comme lui de surcroît, disait : « Quand nous étions adolescents, il jouait, à nos yeux, les chansons des Beatles mieux que les Beatles eux-mêmes .» Il était admiré.
Aziz Chouaki avait tout pour être une rock star. Il en avait le talent et le charisme, mais il dribbla tout le monde en démontrant, œuvre à l’appui, que c’était en fait la langue inclassable, inventive de James Joyce qui l’intéressait et le passionnait. Il s’attellera à un  mémoire sur l’inexpugnable « Ulysse » de l’écrivain irlandais. Mieux : le vieux démiurge irlandais était là, debout, regardant par-dessus son épaule, quand Aziz Chouaki écrivait.
C’est cela, Aziz Chouaki, cette comète ultrasensible, artiste jusqu’au bout des ongles, parti des Beatles pour domestiquer Joyce, parti de Belfort, en surplomb d’El-Harrach, avec le cercle du CREH et la prison 4-hectares juste en face, pour parcourir le monde mais seulement en littérature et en musique car, s’il avait la bougeotte, c’était celle des notes, des sons et des mots.
Pour moi, Aziz Chouaki restera toujours et d’abord ce jeune lycéen harrachi surdoué pour les arts, raffiné et réservé, silencieux et humble, timide à un degré tel qu’il est difficile de le concevoir.
Nous nous voyions peu depuis le lycée, mais nous savions que nous étions comme les ramifications d’un même tronc, et que nous avions quelque chose de matriciel en partage.
Je me souviens de cette fin des années 1970 lorsqu’il vendit sa vieille guimbarde pour pouvoir publier un recueil de poésie, « Argo » aux éditions de l’Unité. Comme Aziz est un type très cultivé, il emprunta à Roland Barthes ce titre – et l’explication – pour le transformer en voyage dans la littérature. Argo – dont les marins étaient les Argonautes-, était le nom de l’embarcation de Jason parti à la recherche de la toison d’or dans le Caucase. Le voyage, comme la littérature, fut si long et si périlleux, rencontrant tant de mésaventures, connaissant toutes sortes de péripéties, qu’au bout, la moindre pièce de l’embarcation avait été changée et que tout avait été renouvelé. Mais l’embarcation, toute neuve, portait le même nom ancien. Pas plus parlant comme métaphore s’agissant de la littérature !
Car, je crois que la littérature, cet art de dire et de se taire, était la grande question pour Aziz Chouaki. L’écriture était sa grande passion, pas de doute. Et, dans la marge des mondanités et des éclats de fausse gloire, il avait tissé une œuvre qui interroge l’individu dans son appartenance au-delà de la grégarité et de l’étroitesse possible des nationalismes.
Aziz Chouaki se savait quelque peu marginal, et donc profondément original. Les quelques fois où j’ai eu l’occasion de participer à des débats avec lui, il commençait invariablement par prévenir : « Je vais dire des choses qui vont peut-être choquer mais je les dis .» Et il continuait. Parfois, ça choquait au début dans la carapace de nos clichés puis on commençait à se dire qu’il avait raison, et peut-être même avant pas mal de gens.
C’est cette voix singulière, et cet auteur à la langue merveilleuse comme une partition musicale, qui vient de nous quitter.
Quand j’ai appris, à Alger, son décès, je me suis rendu dans son quartier de Belfort. Et j’ai cru voir le fantôme de ce jeune homme à la coupe Beatles qui se préparait déjà, adolescent, à apporter sa note si particulière au grand concert de la littérature tout court. Je crois qu’Aziz n’aimait pas le titre d’écrivain algérien. Il était écrivain et algérien, l’alchimie se faisant autrement que par la proclamation.
Son empreinte restera, à coup sûr ! Aziz Chouaki faisait de la musique et écrivait comme personne d’autre. C’est de l’Aziz Chouaki, voilà tout !
A. M.

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