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Rubrique Ici mieux que là-bas

Henri Teissier, Algérien à part entière

Depuis son décès, on ne cesse de lire et relire ce propos presque condescendant. Henri Teissier serait un « ami de l’Algérie ». Non ! Henri Teissier était un Algérien à part entière ! Il faut s’y faire !
Il fait même partie de ces rares Algériens qui, par exemple, parlent toutes les langues pratiquées dans ce pays. Il savait le berbère, l’arabe et le français. Il était immergé dans la vie culturelle nationale. Il se rendait à toute sorte de manifestations culturelles : expositions, dédicaces, conférences, etc. Il courait en particulier celles, humbles, qui étaient dépourvues de caractère mondain et officiel.
Il lisait les ouvrages d’auteurs algériens, y compris ceux des jeunes encore peu connus. Il possédait une connaissance profonde de l’histoire de l’Algérie. Il a contribué, par exemple, à la réussite du colloque international sur Saint Augustin à Souk-Ahras en avril 2001. Il avait de l’admiration pour l’Émir Abdelkader, un homme de religion comme lui.
Né à Lyon en 1929, il était issu d’une famille originaire de Skikda. Il passe son enfance et une partie de sa jeunesse en Algérie où son père était officier.
Séminariste au diocèse d’Alger, il passe sa licence de théologie à l’institut catholique de Paris. Entre 1948 et 1955, il fera un stage pastoral à la paroisse de Hussein-Dey avec le père Scotto qui deviendra évêque de Constantine. Après avoir été ordonné prêtre en 1955, il sera, en pleine guerre, vicaire dans le quartier populaire de Belcourt acquis au nationalisme.
En 1966, il dirige le centre d’étude des diocèses d’Algérie fondé pour assurer notamment la rencontre avec la culture algérienne. La même année, Henri Teissier prend la nationalité algérienne. Ce centre dont il sera directeur de 1966 à 1973 s’intéresse à l’islam aux seules fins d’être en prise directe avec la tradition musulmane spirituelle et religieuse. Tout prosélytisme est banni de sa démarche.
Entre 1973 et 1981, il est évêque d’Oran, artisan et témoin du dialogue islamo-chrétien en Algérie. Il sera coadjuteur de Monseigneur Duval avant de devenir évêque d’Alger en 1988 puis archevêque émérite d’Alger depuis 2008.
En 2013, en introduction aux Journées d’étude sur les chrétiens dans la guerre, organisées par le Centre d’études diocésain, les Glycines, l’ex-Premier ministre Redha Malek lui rend hommage. « Il était d’un courage inébranlable », dira-t-il, dans l’affaire des moines de Tibhirine et pendant la décennie noire.
Dans une interview donnée à Middle East Eye, l’archevêque témoigne : « Si le 29 octobre 1993, lorsque le groupe islamique armé nous a envoyé une lettre pour nous donner l’ordre de quitter le pays avant le 1er décembre, nous étions partis, il n’y aurait plus de chrétiens en Algérie. »
S’agissant des moines de Tibhirine qui ont connu la fin tragique que l’on sait, il confie : « Je leur disais, il faut être conscient des risques que vous prenez, et ils me répondaient, mais notre vie on l’a déjà donnée. »
Redha Malek rappelait aussi ce fait peu connu, le refus d’Henri Teissier de se rendre à Sant’Egidio en 1994 : « Je ne peux pas aller à une réunion où les représentants de ceux qui tuent nos amis, parmi les intellectuels et parmi les autres, montent à la tribune. Je ne peux pas assister à cela. »
L’Église à laquelle appartenaient Henri Teissier, le père Scotto, Monseigneur Duval et d’autres a toujours été très engagée en faveur de la population algérienne. Son credo ? Le rapprochement entre les communautés chrétienne et musulmane, dans l’esprit d'une religion sociale, voire progressiste.
Ces hommes dénonçaient la torture, la répression, défendaient un christianisme au service de l’homme et de la justice quand d’autres, dans l’Église, prenaient position pour l’Algérie française, et certains même pour l’OAS.
Œuvrant à la paix et à la solidarité, Henri Teissier a toujours prôné le dialogue interreligieux.
Le chrétien a besoin de rencontrer les autres, disait-il, afin d’aboutir à une fraternité plus profonde. Il a défendu ce vivre-ensemble au moment où la majorité de la population européenne fuyait l’Algérie. Il parlait des compromissions que l’Église catholique avait pu commettre pendant la période coloniale avec le pouvoir qui opprimait le peuple algérien, rendant plus remarquable encore l’initiative de Monseigneur Duval qui avait alors réuni autour de lui cette petite communauté à laquelle il appartenait, composée de ceux qui, restant en Algérie, surent établir une relation vraie avec des partenaires algériens.
Après le départ des pieds-noirs qui formaient la grande majorité des chrétiens d’Algérie, l’Église d’Algérie a opté pour être algérienne, au service de la majorité de la population. Cette expérience d’immersion de l’Église dans un humus majoritairement musulman est unique. L’osmose de l’Église chrétienne d’Algérie au service des Algériens, cette fraternité dans laquelle les religions de chacun ne se combattent pas mais se rencontrent et dialoguent, cet échafaudage de communion entre une église et un peuple, a résisté à tant d’épreuves. Elle s’est construite sur le soutien à la lutte de libération du peuple algérien. Elle s’est poursuivie avec l’appui social au peuple algérien dans son effort de développement. Elle a traversé les chaos de la décennie noire pendant laquelle l’Église s’est toujours considérée comme étant partie intégrante du peuple algérien. Mais elle a aussi été mise à mal par une autre épreuve, qu’elle a su surmonter. Dans les années 2000, on a assisté à un prosélytisme sauvage et compulsif mené par l’Eglise évangélique. Dans la dénonciation de ce phénomène, on a amalgamé cette évangélisation avec l’Église d’Algérie qui, elle, avait non seulement un enracinement dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, mais avait aussi adopté une doctrine consistant à renoncer au prosélytisme.
L’Église algérienne a été touchée par la tragédie de la décennie noire. Mais « il n’est pas question pour nous d’opposer une violence qui nous a été faite à celle qui a frappé toute une société. », modérait Henri Teissier. Il rappelait que la communauté chrétienne fait partie de la société algérienne, laquelle a été endeuillée en masse. C’est un Algérien qui nous a quittés.
A. M.

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