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Rubrique Ici mieux que là-bas

Le secret de Bouteflika(1)

FICTION. Imaginons que ce 16 février 2019, des hurluberlus de Kherrata ne se soient pas soulevés contre le 5ème mandat. Imaginons que, dès le 22, le reste de l’Algérie et la diaspora n’aient pas suivi. Mettons qu’il n’y ait jamais eu de Hirak !
Eh bien, nous aurions continué à être soumis à un Président sur roues et à la camarilla qui trépigne autour du trône. Bouteflika serait mort au pouvoir, selon son souhait et celui de ses ouailles versatiles. On l’aurait enterré en grande pompe messianique à la Grande Mosquée érigée à sa gloire. Il aurait eu droit à des funérailles pharaoniques hystérisées par la voix sépulcrale d’un de ces commentateurs télé dopé à l’emphase. Un deuil national de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines aurait été décrété. On aurait eu droit à des scènes de délire collectif, sans le recours à la mise en scène hollywoodienne comme ce fut probablement le cas pour le brave soldat Gaïd Salah. Bouteflika aurait été sacralisé en étant inhumé, à la manière des élus ou d’un grand marabout, au cœur d’une mosquée qui aurait porté son nom pour le siècle des siècles.

RÉALITÉ. Mais voilà, ce mirifique script a trépassé. La fiction a été envoyée ad patres. Adoubé en 1999 par les généraux sur l’insistance de Larbi Belkheir et de Toufik,(1) Bouteflika a, dès le départ, éveillé la suspicion des généraux janviéristes qu’il n’a eu de cesse de combattre pour enfiler un costume de Président « entier » et non pas un « ¾ de Président ». Il a consolidé son pouvoir créant des convulsions pour débarquer les généraux qui lui étaient défavorables, et même ses premiers soutiens comme Toufik.
Échappant à ses contempteurs, ce sont « ses » propres généraux qui le feront tomber. Si l’on en croit les déclarations de Saïd Bouteflika à la barre du tribunal relayées par la presse, ce serait le général Gaïd Salah, repêché par Bouteflika pour faire pièce à Toufik devenu hostile, qui l’envoya au casse-pipe du 5e mandat dont la famille ne voulait pas. En quelques jours d’une révolution tranquille, le César d’El Mouradia troqué contre la résidence d’État médicalisée de Zéralda, est détrôné par un Gaïd Salah qui a su utiliser à escient le refus populaire du 5e mandat. Sans doute ce rejet populaire était-il lui-même dans les desseins d’officines domestiques, mais, comme souvent en pareil cas,  le mouvement a de loin dépassé la magnitude programmée par ses concepteurs du fait qu’il s’appuyait sur un vrai refus de l’humiliation.
Bouteflika, qui a peaufiné jusqu’à la caricature le culte du sauveur messianique par une trouble incursion du religieux dans le politique, a subi le sort des idoles lapidées. Il a tant cultivé l’hypnose iconolâtre qu’il a fini par faire adorer sa propre image avant qu’elle ne devienne la cible d’un refus iconoclaste.

EXPECTATIVE. Pendant qu’agences de presse et télés étrangères annonçaient son décès et esquissaient une nécrologie, nos médias, sages comme un portrait de Bouteflika, se contentaient de relayer un communiqué laconique des autorités. Cet effacement de toute solennité dans la mort d’un président de la République, décédé probablement dans une résidence d’État, prend à rebours le vieux dicton du terroir algérien qui déplore que « vivant, on le priva d’une datte, mort on déposa tout un régime sur sa tombe ». Pour Bouteflika, c’est tout l’inverse : vivant, on lui octroya ou il s’est donné toute la palmeraie, mort, on le prive d’une  datte. On comprend bien qu’on ne pouvait d’un côté bâtir « une nouvelle Algérie » légitimée par une « débouteflikisation », et de l’autre encenser le défunt dont plusieurs des proches et serviteurs sont en prison. Cependant, par ailleurs, continuateur et régénérateur du même système, Bouteflika bénéficie en catimini de la gratitude de ses héritiers. Il recevra, à tout le moins, le SMIG honorifique : le carré des martyrs d’El Alia.
Tout cela est l’histoire d’un malentendu pour ne pas dire d’une imposture algérienne, de cette imposture pointée par Mohamed Benchicou  dans le livre éponyme qui valut au journaliste irrévérencieux deux ans de prison.(2)
Son histoire n’est pas, comme le prétend trop facilement le Récit homologué, liée à celle de l’Algérie, mais bien à celle de la prise de pouvoir par le clan d’Oujda dès 1962, et plus fermement en 1965. Ce clan dirigé par Boumediène s’adossera à l’armée pour consolider un régime dominé par les appareils policiers. À sa décharge, Boumediène possédait un vrai projet politique et l’ère historique qui a succédé à la décolonisation était aux régimes autoritaires à parti unique et à objectif progressiste.
Dès cette époque, Bouteflika est un élément cardinal du système. Ce fut même l’intention de Ben Bella de lui retirer le portefeuille des Affaires étrangères en 1965 qui précipita le coup d’État contre le premier Président de l’Algérie indépendante. Puis jusqu’à la mort de Boumediène, Bouteflika fut l’inamovible ministre des Affaires étrangères et la voix de l’Algérie révolutionnaire sur la scène internationale. Mais, et cela on l’apprendra plus tard par différents auteurs, Bouteflika ne partageait pas les idéaux révolutionnaires internes de son mentor, Boumediène. Il était plutôt libéral, quand ce dernier était socialiste.
Bouteflika n’était pas Boumediène. Il n’était pas sur la ligne politique du colonel, ce qu’il a  bien démontré pendant son règne avec le  triomphe de l’ultralibéralisme sous-développé. Quel était donc son secret pour avoir pu envoûter si massivement jusqu’aux politiques les plus sceptiques ? Et aujourd’hui, où il meurt pour la seconde fois, que dire de son bilan de monarque ?
A. M.

(1) Selon la révélation du général Maïza dans le documentaire Toute l’Algérie du monde de Malek Bensmaïl.
(2) Bouteflika, une imposture algérienne, Le Matin, Éditions - Jean Picollec, 2004.

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