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Rubrique Ici mieux que là-bas

L'optimisme en temps de désarroi

J’ai rencontré  Dda Slimane, un vieil émigré de ma connaissance, dans le café habituel, rue d’Alger. À 90 ans passés, il a toute sa tête, et néanmoins le regard tendu vers l’avenir. Incroyable incarnation de la positivité ! Il laisse le passé se conserver, dans sa cellophane de glorification, à ceux qui souffrent d'une panne de présent. Il a milité dès sa jeunesse au PPA-MTLD, puis au FLN. Il a même fait partie des groupes de choc de la Fédération de France. Il a tâté de la geôle coloniale. Puis, la vie a commencé à s’acharner contre lui jusqu’à ce que l’ancien héros se retrouve, aujourd’hui, dans un foyer, vivotant de sa menue retraite. Comme chaque fois que je le rencontre, une seule chose au menu : discuter de la situation du pays. Et comme chaque fois que j’ai un coup de blues devant la scène désolante de ce qui se passe chez nous, et qu’on a du mal à comprendre, ou qu’on comprend trop bien, Dda Slimane sait te redonner du punch. Je lui apprends que certains veulent lui interdire de se mêler du destin national, du fait qu'il vit à l'étranger. Il sourit d'indulgence devant tant de fatuité. 
Puis, avec bonhommie, bienveillance, tact,  il t’interpelle dans cette tentation défaitiste :
- Mon fils, il faut rester optimiste malgré tout !
Ça fait toujours drôle de s’entendre appeler « mon fils » à un certain âge ! Mais quand tu le fais observer à Dda Slimane, il te répond que, quelle que soit l’âge de chacun de nous, l’écart reste le même.
Optimiste ! Le mot fétiche de Dda Slimane.  Quatre syllabes fourrées d’entrain et de sérénité ! Mais un mot difficile à transcrire en état d’esprit et surtout en aiguillon. 
Je lui fais remarquer que, vue l’impasse politique dans laquelle l’Algérie a été conduite, cela paraît plutôt laborieux. Dda Slimane, qui en a vu d’autres dans son existence, me rétorque que, par expérience, il sait qu’une cause défaussée de sa charge d’optimisme est difficile à défendre, donc perdue d’avance. Il m’explique aussi ce qu’il a appris intuitivement : l’optimisme est une méthode.
-  Ah bon, comment ça, une méthode ?
- Tiens, je te prends un exemple, argumente Dda Slimane, en touillant patiemment son café.
Il porte la tasse à ses lèvres en tremblant, la repose sur la table puis, de sa voix éraillée par les ans, il poursuit : 
- Tu dis qu’aujourd’hui, il y a 304 détenus d’opinion. Bon, d’accord ! C’est rude ! Décourageant ? Non ! Il y a de quoi être abattu, je te le concède. Eh ben c’est ça, la mauvaise méthode, c'est se laisser gagner par la lassitude et la peur.
Il reprend, toujours la main tremblante, la tasse de café et la vide d’un coup, se racle la gorge puis délivre la recette :
- Maintenant, considérons combien de militants du Hirak ne sont pas encore détenus, et envisageons ce qu’ils peuvent  faire dans les conditions actuelles. Eh ben, tu vois, fils, c’est ça la bonne méthode ! Voire combien restent libres et ce qu’ils peuvent faire ! Ils sont nombreux, ils sont forts !
Là, je lui fais observer que sa méthode est un peu tirée par les cheveux. Elle équivaut, en quelque sorte, à dire lorsqu’un train déraille et que l’on déplore 10 morts, qu’il faut être soulagé qu’il y ait des centaines de survivants. Mais il insiste et soutient que ce n’est pas du tout la même chose.
- Dans le cas qui nous intéresse, il ne s’agit pas d’un accident qui défie la volonté des hommes, mais d’une situation sur laquelle les hommes peuvent agir.
Et il ajoute qu’au lieu de s’indigner de la détention de 304 détenus d’opinion – indignation légitime par ailleurs — ou de geindre sur leur sort, il serait plus constructif de continuer à se mobiliser pour eux, d’aider leur famille…
Pas besoin de lui décrire les conditions ubuesques qui rendent toute action périlleuse, il les connaît. Si Dda Slimane s’est retiré dès l’indépendance acquise, il a continué à s’intéresser à la marche du pays.  Depuis son exil choisi pour des raisons familiales, il a suivi bien sûr la décennie noire et la montée de l’islamisme, l’arrivée présentée comme messianique d’un cador du clan d’Oujda, Abdelaziz Bouteflika, son premier trébuchement, le Printemps noir et ses martyrs, puis la lente et inexorable descente dans la corruption et la clochardisation de l’État.
Il fait partie de ces combattants de l’époque primale qui ont accueilli avec espoir le mouvement de février de 2019. Il allait souvent Place de la République se jeter dans un bain de jouvence. Il ne comprenait pas tout de ce que disaient les jeunes orateurs, mais il sentait que, même s’ils vivaient en France, ils avaient un attachement pour leur pays. Il a entendu beaucoup d’entre eux faire des projets, dans les premiers mois, de retour au pays. Deux ans plus tard, ce n’est plus à l’ordre du jour. Les harragas, qui avaient stoppé les traversées clandestines, sont plus nombreux que jamais. Puis, il a entendu parler des interdictions de manifester, des arrestations…
Mais tout cela n’entame pas son optimisme car, comme il a commencé à me l’expliquer, ce n’est pas une arme virtuelle mais une méthode qu’il faut acquérir. Méthode Coué ? Non, il voit le verre à moitié plein, qui appartient à ceux qui veulent aller de l'avant. Et au lieu d’être paralysé par l’arbitraire, il vaut mieux participer avec ceux qui restent libres à faire avancer la cause.
A. M.

 

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