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Rubrique Ici mieux que là-bas

Martinez-Bahaz, khawa-khawa

Une exposition de Denis Martinez reste fatalement un événement artistique, culturel et même parfois, comme c’est le cas ici, peu ou prou citoyen. Celle qui s’est achevée la semaine dernière sous le titre-programme de « Bahaz Khouya Gnaoui Blidi » à l’Espaco (Espace d’art contemporain)(1), à El-Achour (Alger) en est, en tout cas, un moment d’originalité, de fraternité et de projection sur l’avenir. Non seulement parce qu’elle se rattache  par des fils invisibles et puissants au mouvement citoyen du 22 février qui, en creux, revendique lui aussi, par d’autres formes, le respect de la culture dans ce qu’elle a de populaire et d’alternatif, mais également parce qu’elle poursuit d’une certaine manière l’essence de ce festival de Raconte-Arts, modèle de culture citoyenne et participative,  dont Martinez est un des fondateurs et une figure emblématique et Bahaz un familier et le maître du carnaval. 
Ajoutez à cela  la personnalité de Martinez et celle de son double siamois, Bahaz, le musicien gnawi et blidi,  qui lui ressemble comme un frère en signes. L’un et l’autre, depuis Blida, leur ancrage d’adoption, marchent ensemble depuis 1964. Bahaz  perpétue les danses mystiques de Sid Blal, l’ancêtre des gnawas. Par le chant, la musique, les sons sourds des tambours et, celui, métallique, grêle, de karkabou, Bahaz conserve la vivacité des rites qui puisent dans le sacré. Denis Martinez, lui, formé aux Beaux-Arts, et très tôt fasciné par la vérité primale de l’Afrique, a marché avec Bahaz par la percussion des couleurs, le heurt fécond des formes, et la musique lancinante des mots.
Denis Martinez est né à Mars-el-Hadjadj, dans l’Oranie. Il est installé, voire ancré à Blida depuis des décennies. Maalem (car c’est le titre !) Mohamed Bahaz, lui, est natif de Douiret, un faubourg populaire de Blida, mais sa saga familiale démarrerait du Mali et remonterait, symboliquement, selon l’écrivain Jaoudet Gassouma, commissaire de l’exposition, à ce « lointain Soudan mythique par sa dramaturgie lancinante, l’esclavage, la présence immémoriale gnawie».
D’ailleurs, Bahaz explique, dans le film-documentaire que lui a consacré Dominique Devigne, que si, à un moment de sa vie, il dansait gnawi avec des chaînes, c’était pour évoquer le long calvaire de l’esclavage qui a frappé les Noirs. Une danse revendicative ! Et une question, c’est de la discrimination par la couleur, est en filigrane dans les transes gnawas !
Entre Denis Martinez et Bahaz, c’est une longue fraternité tournée vers l’Afrique native et ses rites propitiatoires, le monde berbère à peine dissous dans l’africanité originelle, les signes de la pérennité et de la matrice. Et cela date du début de l’indépendance. Dès 1964, l’année où il commence une collaboration avec Bahaz, Martinez consacrait un poème à l’Afrique et à ses couleurs :
«Quand les ennuis, la joie et la tristesse s’accumulent/Il rentre sa tête dans les couleurs vives/Pour s’aveugler et ne penser qu’à la beauté du geste/Hoy/Cru comme cru/A chacun son kif !/Ici, c’est l’Afrique/Qui se moque de tout ce que l’on peut penser, voire et reconnaître en elle.»
Comment un plasticien rencontre-t-il un musicien mystique et comment la peinture de Martinez peut-elle fusionner avec les convulsions gnawies de 
Bahaz ? La symbiose s’est faite progressivement au point que l’un et l’autre en soient à se confondre et peut-être même, dans une certaine mesure, à être interchangeables. On ne reconnaît pas l’artiste de l’artiste. Et, au fond, pourquoi pas, en une hallucination, on verrait bien Martinez en gnawi, faisant remonter l’âme profonde de l’Afrique, et Bahaz taquinant les couleurs et les syllabes pour écrire ceci : «Mon destin c’est comme ça/Gnawi c’est le feu de mes muscles/ Qui étaient mes ancêtres ?»
Comment transformer une amitié en exposition ? Et c’est tout l’art de Denis Martinez, en plasticien rodé et exigeant, de convoquer différentes formes et supports plastiques pour célébrer cette amitié artistique et philosophique. Toiles imposantes, œuvres graphiques à tirage numérique, plasma de diapo, installations. Tout est ficelé dans cette déambulation dans l’univers commun de Bahaz et de Martinez qui se prémunit tout de même contre la tentation du déjà vu : « «Ce n’est pas un étalage d’œuvres. Je viens raconter quelque chose. C’est un travail qui a commencé à être pensé en 2004, avec différentes phases.»
L’ensemble est éblouissant, il faut le dire comme ça vient. On retrouve le grand Martinez dans sa double qualité de plasticien sensible et de passeur. Il nous raconte simplement l’histoire d’une complicité, d’un enchevêtrement de galaxies, d’une fusion d’arc-en-ciel. Il nous raconte une fraternité qui se cheville aux racines de l’expression populaire que Bahaz porte et que Martinez célèbre.
A. M.

1) Si l’Espaco doit, comme on le craint, fermer ses portes pour des raisons de fric, c’est une nouvelle porte qu’ouvre l’obscurantisme et la laideur. Urgence de sauver cette galerie. Il faut que des initiatives soient prises.

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