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Rubrique Ici mieux que là-bas

Pokémon Go ou la régression même pas féconde

Oui, ce ne serait pas de trop, un peu de poésie même virtuelle dans ce monde de brutes réelles. Ni un peu d’humour en ces temps de morosité. De l’humour même involontaire ! Même si l’humour est souvent noir et la poésie plutôt relative.
 Tiens, j’ai trouvé le moyen de relier humour et poésie : le Pokémon go. Je parierais que ce roi du tweet qu’est Donald Trump est aussi un redoutable chasseur de Pokémons. Mais comme il ne peut pas déambuler à sa guise, ce sont les Pokémons qui viennent à lui. En juxtaposant, après nombre d’internautes, deux infos, elles ont fini par ne faire qu’une seule blague.
Quel esprit facétieux – plus exactement involontairement facétieux – que ce Trump qui annule un sommet avec le Président nord-coréen Kim Jong Un, mais reçoit – j’allais presque dire en compensation – la star de télé réalité, militante de la réforme carcérale, Kim Kardashian venue lui demander la libération d’une grand-mère sexagénaire condamnée à la prison à vie. Le web s’est enflammé : Trump rencontre Kim. De Trump ou des deux Kim, qui est le Pokémon ?
L’escalade d’un immeuble par la façade par ce jeune Malien de 22 ans, sans papiers et jusqu’alors probablement sans avenir, a fait le buzz planétaire. La facilité avec laquelle cet authentique héros a réussi son exploit athlétique montré en direct par les télés du monde entier a brouillé en un instant les cloisons entre la réalité et le virtuel. On eût dit l’un de ces jeux de plate-forme bien connu des amateurs de jeux vidéo. Mais là, c’était la réalité, la triste réalité, l’épique réalité. La banale réalité a, là, l’occasion de saisir cet acte spontané d’héroïsme pour en faire un moment extraordinaire, de ceux où l’altruisme supplante l’indifférence, où l’admiration dégomme le mépris, où les valeurs qui n’ont pas de nationalité viennent à bout des chauvinismes xénophobes.Entre autres conséquences de cet acte glorieux effectué par ce jeune Malien, il y a certainement cette transmutation du regard porté par la société d’accueil sur les migrants illégaux et de surcroît noirs. On est passé en 4 étages, de l’univers sordide des sans-papiers africains suscitant des peurs irrationnelles, celles des maladies, du djihadisme, et suprême peur, celle de la différence, à un univers qui frise le merveilleux, voire le fantastique. Pendant plusieurs jours, journalistes, philosophes, chroniqueurs, quidams ont chacun commenté cette irruption du merveilleux dans le sordide et du virtuel dans le réel. Presque tous les aspects de cette actualité ont été abordés sauf un, me semble-t-il, insuffisamment commenté. Et c’est celui-ci qui m’amuse car il illustre parfaitement cette intrication entre réel et virtuel. Le père réunionnais vivant avec son fils de quatre ans à Paris, la mère et le reste de la famille demeurant sur l’île de la Réunion, a laissé son fils seul dans l’appartement pour faire des courses. Or, le père est un joueur de Pokémon go. Pris par le jeu, il s’attarde. Et nous y voilà.
Ce jeu de «réalité augmentée» – ça s’appelle comme ça – promène les addicts qui se comptent par millions à travers le globe, à la recherche de Pokémons, petits êtres virtuels cachés dans des sites réels, les yeux aimantés par le smartphone. Un chasseur de Pokémons dans la rue, c’est comme un zombi fonçant sur sa proie, indifférent à tout ce qui l’entoure.
Ce jeu complètement dingue a donné lieu à des situations abracadabrantes. Des milliers de dresseurs de Pokémons se sont précipités tels des émeutiers  vers l’objet virtuel convoité. En France, nombre d’accidents de circulation provoqués par des chasseurs de Pokémons ont été signalés. Un père a quitté la salle de l’hôpital où sa femme était en train d’accoucher pour choper des Pokémons. En Californie, deux hommes sont tombés d’une falaise en voulant en attraper. En Indonésie, un Français a pénétré à l’intérieur d’une base militaire à cause d’un Pokémon. Ce que les militaires n’ont pas apprécié. Quelque part aux Etats-Unis, une joueuse tombe sur un cadavre et à New York une émeute a eu lieu à Central Park. En France encore, des chasseurs de Pokémons ont investi un commissariat de police. 
Quant aux bagarres entre dresseurs de Pokémons, c’est là le moindre mal, et le plus courant. On peut désormais ajouter à cette longue liste, l’abandon d’un enfant de 4 ans suspendu au balcon d’un quatrième étage, par un père chasseur de Pokémons. Mais le plus cocasse dans cette histoire, c’est que si le père de cet enfant cherchait le merveilleux dans le virtuel, c’est Mamoudou Gassama qui l’a réalisé dans la vraie vie.
Franchement, je ne sais pas si l’info suivante peut être reliée aux Pokémons. Ce qui est sûr, c’est qu’elle a à voir avec la régression, et même pas féconde, celle de l’ami Lahouari Addi. C’est l’invraisemblable histoire de ce journaliste russe, Arkadi Babtchenko dont on a annoncé l’assassinat. L’équation semblait pourtant évidente : journaliste russe assassiné=Poutine. Mais, quelques heures plus tard, l’assassiné ressuscite. On nous explique que les services secrets ukrainiens ont simulé un assassinat pour prévenir un véritable assassinat. Plus tiré par les cheveux, t’es mort ! A n’y rien comprendre ! 
Pour ma part, je renonce définitivement à chercher le rapport entre cette pitoyable information et l’univers des Pokémons. 
A moins que, peut-être, le rapport se trouve dans cette explication que donne le psychanalyste français Yann Leroux, spécialiste des jeux vidéo : «Lorsque l’on joue, nous sommes dans un monde de régression (…), on se rapproche de l’enfant que l’on a été.»
La régression ! Voilà le mot auquel se relient toutes ces histoires.
A. M

 

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