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Rubrique Ici mieux que là-bas

Poutine et le bortsch

Il y a des moments où l’actualité est à la fois tragique et profondément ennuyeuse. Paradoxal ?
La tragédie étant, depuis la Grèce antique, une forme parachevée de spectacle offert au voyeurisme lambda, il en résulte quelque chose comme de l’ennui lorsque cela devient répétitif. Cela a été dit et redit par plus inspiré que votre serviteur.
Peut-être est-ce parce que l’essence même de l’actualité est d’être sous la baguette de Chronos, le Maître du temps. «Toutes les tragédies que l’on peut imaginer reviennent à une seule et unique tragédie : l’écoulement du temps», disait la philosophe Simone Weil. Oui, on n’a pas encore découvert le moyen de le suspendre de toutes ses fonctions, ce fuyard de temps.
«Ô temps ! Suspends ton vol.» L’invocation sirupeuse de Lamartine n’a jamais ralenti l’inflexible tic-tac des jours, elle n’a donc pu déjouer la partition de la tragédie.
Une semaine chasse l’autre, laissant un goût d’hébétude et d’incompréhension devant l’uniformisation de l’émotion provoquée par la ritournelle. Pourtant, dans cette litanie anesthésiante, il y a des faits comme ça, et des personnages, dont la fonction et le talent est de désaxer l’ennui, de dégoupiller la tragédie, de repeindre l’air du temps.
Ainsi, Vladimir Poutine. Ce n’est pas pour rien que la grande presse occidentale, toutes couleurs politiques et tous goûts culinaires confondus, ne rate aucune occasion de remanier l’image du Président russe en bortsch, cette soupe russe dont les sonorités du nom évoquent le goulag. Il est vraiment de bon ton démocratique de taper sur lui comme autrefois, du temps de la guerre froide, on cognait sur Khrouchtchev, Brejnev, etc. C’est le rôle du Bien que de taper sur le Mal. C’est le sacerdoce du Bon Dieu que de châtier le Diable.
Aimerait-on avoir affaire à quelqu’un qui ne défende pas les intérêts de son pays ? C’est l’impression que cela donne… Et puis, cet impertinent résidu de l’ère soviétique, s’échine à aggraver son cas en refusant de se courber dans la posture d’un Gorbatchev.
«La Russie n’a jamais perdu la guerre froide parce que la guerre froide n’est pas finie.» Cette citation, dont l’origine n’est pas vérifiée, pourrait en toute vraisemblance avoir été prononcée par l’actuel locataire du Kremlin.
Les heurts de plus en plus fréquents, et menés à armes égales avec l’Occident qui s’était approprié l’unilatéralité dans la conduite des affaires internationales, révèlent un Poutine aux multiples talents, hormis celui de tendre l’autre joue.
L’épisode en cours dit «affaire Skripal» en est une bonne illustration. Récapitulation : Sergueï Skripal, un ex-officier du renseignement militaire russe, avait été condamné par son pays à 13 ans de prison en 2006 pour espionnage à la solde du MI6 britannique. En 2010, il obtient l’asile politique en Grande-Bretagne dans le cadre d’un échange d’espions. Le 4 mars dernier, lui et sa fille Ioulia sont victimes d’un empoisonnement à la substance A234, un gaz neurotoxique, à leur domicile à Salisbury dans le sud de l’Angleterre.
L’acte d’accusation contre Poutine se base sur le fait que ce gaz a été fabriqué par les Soviétiques dans les années 1970-1980. Mais selon Leonid Rink, l’un des créateurs de cette substance appelée aussi l’agent Novichok, n’importe quel laboratoire pharmaceutique serait aujourd’hui en mesure de le fabriquer. Sans entrer dans les arguties de cette affaire qui a toutes les allures d’un splendide prétexte pour isoler davantage encore la Russie, il faut bien noter que de tout temps, les agents doubles comme Skripal ont été exposés à des assassinats, règlements de comptes entre services et autres coups tordus, courant dans l’univers de l’espionnage. Tels sont les risques inhérents à la fonction. Ce type d’affaire a d’ailleurs largement inspiré le roman d’espionnage et fait l’œuvre d’un John Le Carré. C’est pourquoi les proportions prises par ce fait divers tragique, les conséquences que cela induit sur l’équilibre du monde, interrogent.
La Grande-Bretagne suivie par de nombreux pays de l’Union européenne, les USA, l’Australie, bref les pays de l’OTAN, se liguent pour expulser des diplomates russes. Mais Poutine ne semble pas céder. Tout au contraire, il rend coup pour coup, expulsant à son tour de Russie les diplomates des pays hostiles. Façon de dire que la Russie n’est pas disposée à subir le rapport de force.
Quoi qu’en pensent les thuriféraires de l’OTAN, le monde a beaucoup à gagner à ce rétablissement de l’équilibre géostratégique. Reste à savoir les raisons réelles de cette coalition antirusse. L’argument de l’assassinat d’un agent double ne semble pas tenir la route. La volonté d’affaiblir la Russie réside plus vraisemblablement dans l’accroissement de son rôle depuis Poutine dans les affaires de la planète. On sait que sans son intervention, Daesh aurait peut-être pu venir à bout d’Al-Assad et transformer la région en champ de ruines. Son rapprochement avec l’Iran reconfigure la région. C’est sans doute davantage cela plutôt que l’assassinat d’un espion retourné qui pèse dans cette action disproportionnée. La réélection récente de Poutine pour un 4e mandat n’est évidemment pas de nature à rasséréner les dirigeants occidentaux.
Quoi qu’il en soit, on peut dire que Poutine a sorti son pays du fond du puits. L’effondrement de l’URSS en 1989 a fait marcher le monde sur un seul pied, laissant libre cours à une mondialisation financière au profit des Etats-Unis et, dans une moindre mesure, de l’Europe. Depuis l’arrivée au pouvoir de Poutine, l’ours russe s’est redressé. Il est de bonne guerre que l’Occident qui croyait avoir gagné définitivement la guerre froide, n’apprécie pas de devoir partager le pouvoir sur le monde avec la Russie. Bien sûr, du fait que Poutine soit un ancien membre du KGB, du fait de son autoritarisme comparé à celui des maîtres de l’ex-Union soviétique, on crie derechef à la dictature, au goulag, etc.
Nouvelles pièces dans le dossier contre Poutine : la corruption, les assassinats d’opposants. Ces difformités du système pos-totalitaire, réelles, auraient été insignifiantes dans le cas d’une Russie à terre. On se serait à peine aperçu qu’y sévissent ces tares.
Poutine a déjà marqué l’histoire de son pays. Les attaques incessantes contre lui sont a contrario la preuve qu’il a réussi à faire redresser l’échine de la Russie.
A. M.

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