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Rubrique Ici mieux que là-bas

Que diront les historiens de l’année 2019 ?

Non, elle n’aura pas été banale, cette année 2019 ! Elle a condensé, en quelques mois, l’aboutissement de vingt années d’immobilisme politique d’un pouvoir encanaillé dans la corruption, et autant d’années d’anesthésie des Algériens. Par un de ces moments magiques de l’Histoire, la gouvernance de Bouteflika, enivrée de narcissisme politique, s’est noyée dans son miroir, persuadée de pouvoir encore s’imposer au peuple qu’elle croyait captif. Son idée de se présenter pour un cinquième mandat est paradoxalement la plus lumineuse qu’il n’ait jamais eue. Personne n’aurait pu imaginer que cette intention, défendue depuis de longs mois par toutes sortes de caciques de la classe politique, serait l’étincelle qui allait mettre le feu aux poudres.
Mais la rue n’a pas explosé. En réaction à l’indignité de la situation, les Algériens se sont appropriés ce qu’on leur avait toujours interdit, c’est-à-dire l’espace public pour faire légitimement montre de leur désaccord et de leur colère. Quant à l’option du pacifisme, fruit de l’intelligence collective, elle est en soi un véritable coup de génie.
De ce fait, le reproche de passivité à l’égard des masses populaires depuis l’indépendance a été évacué d’une pichenette, et d’un vendredi à l’autre, ponctué par la manifestation estudiantine du mardi, tout le retard accumulé a été comblé. Les Algériens ont appris à dépasser leurs différences. Ils ont appris à vaincre la peur. Ils ont appris le pluralisme et la tolérance en manifestant avec d’autres Algériens qui furent jadis leurs adversaires et parfois leurs ennemis. Une alchimie nationale faite de détermination en faveur d’un changement total de système et de pacifisme dans la méthode a efficacement agi. Par-delà les divergences, jadis réglées dans le sang, on a enfin compris que nous avions affaire à un système autoritaire passé maître dans l’art de ruser pour éviter d’avoir à répondre aux attentes populaires.
Le second moment magique de cette année fut celui où Gaïd Salah décréta l’interdiction du drapeau amazigh. Alors, advint l’impensable ! Il faut dire qu’il avait fait fort. Résultat, il parvint en une seule décision à réaliser ce que des années de lutte et de souffrances de milliers de militants amazighs n’étaient pas parvenus à faire : sensibiliser les jeunes d’Alger et des autres villes du pays. Par cette décision, Gaïd Salah a réussi à unir les jeunes Algérois dans un seul cri « Casbah-Bab-el-Oued, imazighen ! » et à faire se déployer le drapeau amazigh dans toute l’Algérie, en dépit des représailles. Bien entendu, les choses se sont aggravées de ce point de vue puisque de nombreux manifestants et militants ont depuis été jetés en prison.
L’Histoire de cette année 2019 s’écrit aussi en contre-point. Un jour, les historiens rappelleront sans doute les séquences de cette année de réveil collectif. Ils évoqueront cet appel anonyme à la manifestation du 22 février dont beaucoup d’Algériens, échaudés par le passé, se sont d’abord méfiés. Puis par une mystérieuse convergence d’aspirations, ils diront comment la rue a découvert sa force et son intelligence en décidant de cesser de jouer les sujets bâillonnés par le chantage émotionnel nationaliste, pour devenir des acteurs à part entière de cette marche vers la citoyenneté.
Ils rappelleront aussi qu’au tout début du mouvement, les décideurs étaient pour le 5e mandat décrié, puis devant l’évidence du rejet par le peuple, ils abandonnèrent le soutien au 5e mandat au profit d’un appui conditionnel au Hirak. Ils n’auront vraisemblablement pas tort d’analyser ce rapprochement avec le Hirak comme une étape tactique qui consistait à survivre au système Bouteflika de toute façon en perdition.
Ils détailleront les 45 semaines au cours desquelles l’énergie révolutionnaire des Algériens a permis, et c’était une première, de faire reporter à deux reprises une élection présidentielle. Ils ne manqueront pas non plus de souligner que, pendant ce temps de fermentation révolutionnaire, l’autorité de fait a agi dans les marges de la Constitution en laissant en place un Président intérimaire qui a outrepassé les délais prévus par la loi fondamentale. Ils n’omettront pas de mentionner cette question capitale, en dépit de la volonté de minimiser le fait : comment un gouvernement qui ne peut se targuer d’aucune autre légitimité que celle du rapport de force s’est autorisé à abdiquer la souveraineté de l’Etat algérien sur ses hydrocarbures au profit de sociétés internationales ?
Ils décriront comment, devant l’affolement provoqué par l’intransigeance tranquille du Hirak, on a utilisé, sans remise au goût du jour, toutes les vieilles ficelles de délégitimation d’un vigoureux mouvement de masse contestataire. On a crié à la main de l’étranger, bien entendu, puis au complot impérialiste, enfin à l’œuvre de factieux télécommandés par des forces occultes. On a injecté des provocateurs dans les marches, des baltaguia missionnés pour faire dégénérer les marches pacifiques. On a cherché à susciter la violence de telle sorte à justifier la répression. Mais rien de tout cela n’a su entamer la cohésion, le sens de la responsabilité et l’accroissement exponentiel du Hirak.
Ils diront aussi cet incroyable fait du hasard. Après être passé en force pour organiser une élection présidentielle pour le moins doublement chahutée - d’abord par le Hirak qui n’en voulait pas et ensuite, en coulisses, par des décideurs qui se sont évertués à faire passer un dauphin - l’homme fort du moment décède d’une crise cardiaque, un peu comme dans une tragédie classique.
Mais les hommes passent et les grandes passions collectives demeurent. Celle de la liberté est plus coriace que toutes les autres.
A. M.

 

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