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Rubrique Ici mieux que là-bas

Quelle Algérie sortira du dégagisme ? 

Au fond, une manifestation à  Alger, ou ailleurs en Algérie, ça se vit plus que ça ne se raconte. C’est de l’ordre du sensoriel. On ressent un sentiment neuf, comme une nouvelle senteur, et comme une forme d’apaisement, de réconciliation avec soi-même, avec sa terre et son ciel, avec la mer, avec les pavés de la ville, avec les arbres et les trottoirs, fussent-ils défoncés. Bref, on voit — enfin — des gens et un environnement qu’un masque invisible avait jusque-là occulté, dérobé au sens presque concret du terme. On ne voyait que dalle.
Difficile de trouver de ces mots définitifs  et complets pour ramasser, dans un même sens, cet éparpillement, cette diversité, cette palette de couleurs et de sons, ces chants de stade reconvertis en satires politiques millimétrées, ces slogans inventifs, cet humour parfois corrosif, cette créativité qui fuse à tout bout de champ, cette bonhomie  contagieuse doublée d’une intransigeance politique clairvoyante.
Oui, je comprends les copains qui, se baladant avec pugnacité militante ou seulement d'un pas de farniente dans les manifestations algéroises, sombrent ipso facto dans le lyrisme. La tentation est grande.
11h : arrivée plutôt matinale, ce vendredi 3 mai, journée internationale de la Liberté de la presse. Coïncidence qui mérite quand même d’être notée. D’autant que la situation de la presse par rapport au mouvement d’insurrection citoyenne est posée comme problématique des libertés. On sait ce que le pouvoir de Bouteflika a fait de la presse et des médias de façon générale, avec l’apparition des télés-zbel et des journaux serviles.
Bon, la manif. On se gare avec Djamel dans un parking gardé en haut de la rue Didouche. On se laisse couler à pied vers la place Audin. Au niveau du siège du RCD, des jeunes militants se préparent à la manifestation. Banderoles, drapeaux, organisations de carré.
Un peu plus bas, je demande à un marchand de drapeaux algériens s’il n’aurait pas, par hasard, l’emblème amazigh, absent de l’étal. Petite discussion en kabyle qui irrite un passant qui, l'antenne tendue,  a tout capté : « C’est malpoli de parler dans une langue que je ne comprends pas .» Bon ! Encore la domination !
Le jeune marchand sort en catimini un drapeau amazigh et me le tend : «C’est un cadeau.» Khawa-khawa ?
« Le gros de la manif,  ce sera dans l’après-midi », dit Djamel, promenant son regard sur la foule clairsemée. Pour le moment, c’est cool ! On voit même des voitures descendre la rue Didouche. Le tunnel des Facultés n’est pas fermé. Pas encore.
Place Audin. On retrouve Hacène et Samir. Et des amis, des connaissances. Des groupes se constituent. Des drapeaux flottent au vent. Au niveau de la grille de la Fac centrale, rencontre avec le carré féministe. «On ne peut rien faire sans la moitié de la population», glisse une militante.
On circule dans la manif comme dans une kermesse, ça va dans tous les sens, au propre comme au figuré. Les slogans sont divers, ils sont sur des banderoles aux normes, des pancartes, des affiches, des morceaux de carton. D’un groupe à l’autre, on sent la différence. Ici, c’est un carré qui vient de se constituer, là, c’est organisé, on sent une concertation antérieure. Là encore, c’est un type tout seul qui veut faire passer un message de ras-le-bol qui a dû escalader des décennies de refoulement avant de surgir à l’air libre sous forme de cri.
Devant toute cette pétulance, cette fougue, cette créativité, on subodore que, depuis l’indépendance, les pouvoirs policiers et politiques ont dû dépenser des trésors de fric et de ruse et de répression pour annihiler, sous l’unanimisme et l’unicité quasi-débile, toute cette diversité et ce pluralisme que recèle le peuple  algérien et la société algérienne. Comment a-t-on pu réduire tout ça à un  homo-flnus tout riquiqui et axé sur les onomatopées de « constantes nationales »? Faut une forme de génie quand même!
On voit des robes kabyles, des chéchias mozabites, des djellabas, des habits touaregs, des burnous, des guenours bariolés, des jeans-baskets, des costumes trois-pièces, des joggins de fausses griffes et peut-être de marque, des survêtements, des t-shirts avec une impression « Degagiou ga3 », des voiles islamiques, des barbes canoniques, d’autres révolutionnaires. On entend des chansons connues  subverties pour la circonstance, des slogans nouveaux, des  rengaines adaptées, des sons de tambour, de derbouka, des instruments de musique, les chœurs masculins d'El-Harrach… On voit aussi cet impressionnant carré, avec un ballet de 48 drapeaux, représentant les 48 wilayas du pays, et le drapeau… palestinien.
Très peu de policiers, mais des hélicoptères survolent Alger, tournoyant autour de la Grande-Poste. L’insurrection citoyenne vue du ciel, ça fait quoi ? Ça vaut sûrement le coup d'œil !
Le mouvement ne s’arrêtera pas là. La peur a changé de camp, en partie du moins. Le Ramadhan, sur lequel le pouvoir doit compter pour stopper cette contestation inédite, ne semble pas être un obstacle a priori. Déjà, on réfléchit à l’alternative pour poursuivre le mouvement en slalomant à travers les contraintes du carême. Restent les autres problèmes, de fond : quelle Algérie sortira du dégagisme. Ça se discute maintenant, coup sûr !
A. M.

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