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Rubrique Ici mieux que là-bas

Voyages intérieurs

Message lapidaire d’une connaissance bienveillante : «Profite bien de tes voyages et même si nous autres Algériens avons plein de défauts, nous avons un cœur en or et ça, ne l’oublie pas.»
Dont acte, comme on dit ! N’oublie pas ? Comment peut-on oublier ? Mieux : ce sont vraiment des voyages comme on les aime ! Avec de superbes rencontres, des retrouvailles, et des paysages à vous couper le souffle. C’est ça, au fond, l’Algérie. L’Algérie éternelle. Celle qui ne tient pas dans les limites étriquées d’un déclin passager. Celle du cœur de ses enfants et celle de la beauté de cette nature qui nous sert d’écrin et que nous ne savons pas toujours sauvegarder et défendre comme il se devrait.
Passage plutôt en accéléré à Constantine dont j’ai raconté des bribes, ici même, la semaine dernière. L’ami Ahmed Meliani m’a fait visiter la ville suspendue – «l’île volante de Gulliver» —comme jamais, je crois, je n’ai eu l’occasion de le faire. Découverte du Rhummel, le fleuve sculpteur qui travaille depuis toujours la roche noire sur laquelle la ville se tient en équilibre abyssal. Voir le torrent bouillonner est un vertige que peu de mots savent rendre en son incisive turbulence. Reviennent en mémoire les mots des écrivains, et en particulier ceux de Kateb Yacine qui, évoquant dans Nedjma la fusion tumultueuse entre le fleuve et le Rocher, décrit, grandiose, «le roc, l’énorme roc trois fois éventré par le torrent infatigable qui s’enfonçait en battements sonores, creusant obstinément le triple enfer de sa force perdue, hors de son lit toujours défait».
Et plaisir de découvrir cet essai de Nedjma Benachour-Tebbouche Constantine et ses romanciers (Editions Média-Plus). Et tant qu’à faire, voici d’autres bouquins : Constantine une ville, ses héritages (Editions Média-Plus) sous la direction de F. Z. Guechi. Et ce beau livre : Constantine, Patrimoine et Passion de Noureddine Nesrouche avec des photographies de Kays Djilali.
Et évidemment, le douloureux Boulevard de l’abîme de feu Nourredine Saâdi qui fait un double retour dans ce roman de la déchirure, retour à Constantine et retour à l’enfance.
Heureusement que les voyages brefs peuvent être poursuivis dans les livres.
Dare-dare, virée sur Oran. Le quartier de Bir-el-Djir, où nous atterrissons après moult tâtonnements, est une ville dans la ville. En quelques années, deux ou trois, ce qui ressemble à une cité est sorti de terre.
Plaisir de retrouver l’ami Krimo. Toujours aussi hospitalier, serviable et posant un œil lucide et tendre sur les autres. Plongée, à travers des rencontres, dans le passé récent, le présent et dans l’avenir du mouvement progressiste dans le pays.
Visite à l’association Bel Horizon qui a organisé, la veille, le 1er mai, sa désormais rituelle randonnée pédestre vers Santa-Cruz. Les marcheurs étaient plus de 35 000. Ils ont été, en 2011, plus de 20 000.
En discutant avec les jeunes de Bel Horizon, dont l’un des objectifs est de réconcilier les Oranais avec l’histoire de leur ville, on est frappé par leur passion. Et comme la passion est un combustible formidable, les choses avancent. L’association a maintenant pignon sur rue.
Même chose au Petit Lecteur, cette autre association qui s’occupe, elle, de favoriser l’accès à l’éducation et à la culture et donc à la lecture des enfants. Passion.
Vendredi 6h du mat. Halim Boudjou me récupère à bord d’un 4/4 de fabrication chinoise. Destination : Timezrit, dans la vallée de la Soummam, où l’association Ciné Plus, dont le slogan est «Lumière sur la mémoire», a concocté un Café littéraire autour de Mes cousins des Amériques.
On récupère Azedine Kedadouche, le maquisard de la culture, empli de passion intacte, au lieudit les Trois-Chemins. Halim et Azedine tiennent à me faire visiter la gare de Timezrit Il Maten. Les installations qui servaient au transport du minerai rouillent piteusement. «Ça devrait être un musée», dit quelqu’un. Combien de luttes ouvrières a abritées ce site ? Combien de consciences se sont éveillées dans l’exploitation de l’homme et du minerai ?
On file sur Akabiou. Moment de grande émotion que celui de ce recueillement sur la tombe d’Azzedine Meddour, dont c’est le village natal des parents.
On grimpe à je ne sais plus quelle altitude pour surprendre, perché sur un mont, El Kalaâ-Nath-Yemmel, un village épargné par la furie de la construction anarchique qui caractérise l’Algérie d’aujourd’hui. Le village ayant été en partie détruit par l’armée française pendant la guerre, les habitants ont dû le quitter et s’installer ailleurs. Les quelques habitants qui sont revenus ont laissé le village dans son aspect initial, fascinant !
Rencontre d’un fils de chahid, dont le père a été obligé par les militaires français de creuser sa propre tombe avant d’être abattu : «75 jeunes sont morts pour l’Algérie, les armes à la main, rien que dans ce petit village», précise-t-il.
Visite dans le passé douloureux à travers la mémoire et les pierres.
L’heure du café littéraire arrive. J’ai l’impression d’être là depuis une éternité.
Lorsque, plus tard, je remercie Azedine pour tout ce qu’il fait, il me répond : «Je n’ai rien fait de spécial. Je ne fais que mon devoir d’être humain conscient des enjeux de l’Histoire.»
Grand cœur, je te dis.
A. M.

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