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Rubrique Kiosque arabe

Boukrouh, mufti malgré lui ?

Chaque retour de Ramadhan nous amène son cortège de fatwas plus ou moins fantaisistes, tantôt fondées, tantôt surgies des cerveaux de quelques illuminés, ainsi que son lot de remèdes miraculeux. Autant que le Ramadhan, sinon plus, la célébration de Yennayer, le Nouvel An amazigh, est aussi sujet à polémiques, les mêmes illuminés en contestant chaque année le bien-fondé religieux. L'islamologue Saïd Djabelkheir, qui a allumé la controverse, l'année dernière, à propos du Ramadhan, s'est  encore attiré les foudres du courant islamiste, en janvier dernier, avec Yennayer. Aux mêmes détracteurs qui n'ont pas digéré l'officialisation du Nouvel An amazigh, le qualifiant de fête païenne, il a répondu que certaines fêtes musulmanes étaient païennes avant d'être islamisées. Djabelkheir avait provoqué, non seulement la colère des obscurantistes étiquetés, mais aussi l'ire de leurs alliés habituels, atteints de frilosité chronique, s'agissant de vérités historiques. 
Or, si les islamistes apprécient, et affectionnent même, les hurluberlus qui chargent la zalabia de tous les péchés capitaux, en plus de celui de la gourmandise, ils n'aiment pas les contradicteurs. Ils sont aux anges en vous voyant arriver aux sermons  et aux prières en ayant fumé deux ou trois joints, et avec un regard fixe sur la moquette, mais surtout ne leur parlez pas de science. 
Montrez-vous diserts sur Ibn Taymia, leur «cheikh des cheikhs», ajoutez-y des citations d'Al-Mawdoudi, soyez le parfait récitant des hadiths les plus douteux, et vous serez des leurs. Vous croulerez sous les «macha' Allah», et les compliments pareils à ceux qui accueillent les pseudo-savants venus d'Orient pour nous enseigner l'art de détester notre religion et les autres. Voyez le sort qu'ils ont réservé à l'ami Noureddine Boukrouh, jadis écouté, et même parfois suivi, lorsqu'il parlait de Bennabi, et qui n'entend plus désormais que les haros du camp des baudets. Oui, comme pour le Coran, et les hadiths, ainsi que pour les autres textes du patrimoine, ceux qui hurlent à la mort, aujourd'hui, et lancent des anathèmes contre lui n'ont sans doute pas lu Boukrouh. Ou bien qu'ils l'ont lu, mais qu'ils ne l'ont pas bien compris, sans doute parce que rédigé dans «la langue étrangère» que les islamistes feignent de ne pas connaître, sauf pour demander asile en France. Apparemment ému, et même effrayé, sans doute, par la violence des réactions, l'ancien ministre qu'il s'évertue, non sans succès, à nous faire oublier a nié avoir écrit ce que les islamistes croient avoir lu. On le croit bien volontiers, puisque ce n'est pas la première fois que Noureddine Boukrouh se fait incendier lorsqu'il dit des choses sensées, et intelligentes, en parlant de ce qui le regarde.
Avec son style imagé et inimitable, Noureddine Boukrouh, qui n'aurait jamais dû quitter la plume pour le maroquin, confirme encore une fois qu'il a des munitions en réserve, et sait s'en servir. Tout en s'attachant à nous faire croire qu'il est l'offensé et qu'il essaie simplement de se défendre contre des adversaires coriaces, et retors, alors que son texte est un modèle de contre-offensive. Et on le sent d'entrée, jugez-en : «Je me suis retrouvé sous un déluge de critiques, d’insultes et de menaces de mort provenant de mon pays et de l’étranger parce ce que j’aurais commis le sacrilège d’appeler à une suspension de l’obligation religieuse de jeûner à cause du Covid-19, une idée aussi farfelue que sans précédent dans l’histoire millénaire de l’islam.» Comme à son habitude, il n'y va pas avec le dos de la cuillère, mais s'aide même de la fourchette pour piquer «le vieux savoir religieux invariable», qui sera confronté à un «sérieux embarras» : «Consentir à la suspension du jeûne cette année, car un gosier sec favorise l’implantation du virus, ou la refuser et braver le risque d’une plus large contamination des musulmans et des non-musulmans qui vivent ensemble presque partout.» Il rappelle qu'une institution comme Al-Azhar, même sur le déclin, reste une autorité spirituelle et qu'elle a envisagé de suspendre le jeûne, même si pour le moment l'éventualité est écartée. 
Toutefois, Boukrouh insiste et ne voit pas comme une mission impossible la proclamation par «Al-Azhar de la suspension du Ramadhan, même si, en l'occurrence, ‘‘le savoir religieux a bridé le libre arbitre’’».
Se référant au Coran qui enjoint aux musulmans de se préserver et de ne pas provoquer de leurs mains leur propre malheur, le futé, ou l'affûté, Boukrouh interroge : «Qu’est-ce qui doit primer ? La vie d’un nombre indéterminé d’êtres humains ou une prescription religieuse ?» Poser ainsi la question, c'est y répondre, et les islamistes, et autres arabistes hyperactifs, ont très bien lu, même s'ils disent ne pas maîtriser, et détester, la langue française, sauf utilité. Ce faisant, Boukrouh remue la lame de la raison dans la plaie provoquée par l'échec des «pieux savants» face à la maladie, et dans leur duel perdu contre la science, aidée par l'Arabie Saoudite. Il le fait si bien qu'il croit avoir fait d'une pierre deux coups, ou qu'il a abattu deux oiseaux avec une seule pierre, pour rester dans le même sillon : il liquide provisoirement un contentieux avec les islamistes qui l'ont bien compris, et il donne une leçon de journalisme à des confrères qui l'ont très bien compris, aussi, et qui étaient dans leur rôle en résumant sa pensée. Une erreur pour l'ami des journalistes ? Alors, comme le médecin de Molière, Boukrouh, serait-il mufti malgré lui, comme il le proclame en titre? 
C'est oublier que Sganarelle ne se reconnaissait médecin qu'après avoir reçu une volée de bois vert, alors que Boukrouh peut jouer les muftis sans y être forcé, et avec beaucoup d'arguments.
A. H.

 

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