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Rubrique Kiosque arabe

Comme le Soudan fait son lit

L'offensive turque contre les Kurdes, comme on l'appelle pudiquement dans les rédactions, est annoncée depuis des mois, voire des années, on la voyait venir, et les Kurdes s'y attendaient. Du moins, ils ne s'attendaient pas à ce que Trump, leur allié d'hier qui s'est servi d'eux pour un objectif précis et limité, donne le feu vert à la nouvelle guerre de reconquête ottomane. Les Américains ont donné l'autorisation d'attaquer ce territoire syrien, conquis et contrôlé par les miliciens kurdes, après des combats acharnés contre l'armée du califat islamiste de Daesh. Dans cette affaire, Washington a tenu à garder deux fers au feu, et la liquidation complète des enclaves tenues par les combattants de Daesh, en Syrie, n'a jamais fait partie de ses plans. Il ne serait donc pas étonnant de voir les groupes islamistes se joindre à la curée et conforter une alliance avec Erdogan qui ne s'est jamais démentie, du moins sur le terrain. Mercredi 9 octobre, sans même attendre le retrait complet de la zone frontalière du nord de la Syrie, les troupes turques, renforcées par des alliés islamistes locaux, ont lancé leur attaque. Comme il fallait s'y attendre, Erdogan a placé sa guerre contre les Kurdes de Syrie sous le signe de la religion, en faisant lire la « Fatiha » dans toutes les mosquées de Turquie. Quant à son armée d'invasion, elle est devenue « l'armée du Prophète ».
Comme l'a noté notre confrère kurde, Mohamed Messaoud, dans le magazine Shaffaf, même le maire d'Istanbul, qui a été élu grâce aux électeurs kurdes, s'est rallié à Erdogan.
L'objectif est de contrôler, voire d'annexer, toute la région frontalière que les « Unités de protection du peuple », composées de combattants kurdes, ont reprise au califat de Daesh. L'organisation terroriste, mise à mal par les combattants kurdes, voit dans l'opération militaire turque un répit providentiel, voire une opportunité de reprendre l'initiative sur le terrain. À telle enseigne qu'un sénateur américain n'a pas hésité à affirmer que depuis le début de l'attaque turque, Daesh était en train de fêter ce qu'il a appelé « la trahison de Trump ». De fait, le plus grand danger est que grâce à l'armée turque, des milliers de terroristes de Daesh, prisonniers, pourraient retrouver la liberté et reprendre leurs activités néfastes. Le nombre de ces terroristes, détenus par les « Forces démocratiques syriennes », coalition arabo-kurde, est évalué à 12 000, dont 10 000 originaires de Syrie et d'Irak, et 2 000 étrangers. Mohamed Messaoud craint que ces terroristes ne reprennent, sitôt libérés, le cycle de leurs crimes comme ceux qu'ils ont commis lorsqu'ils étaient les maîtres de la région. Suivra ensuite l'annexion pure et simple de toute la zone frontalière.
Pour notre confrère kurde, il n'est jamais arrivé à la Turquie d'occuper une terre et de la rendre de bon gré à ses légitimes propriétaires. L'est de l'Euphrate n'est qu'un début, ajoute-t-il, et la Turquie compte bien poursuivre en annexant Mossoul et Kirkuk, sur lesquelles elle prétend avoir des droits historiques. Outre le prétexte de la protection des Turkmènes, elle aura encore la tâche plus facile avec les divisions actuelles dans les rangs du peuple du Kurdistan, réparti sur quatre Etats de la région. Le journaliste se dit cependant confiant dans la détermination des Kurdes à se battre contre la Turquie, et à contrecarrer ses plans annexionnistes. Dans une envolée lyrique, il rappelle la légende selon laquelle les Kurdes seraient les descendants des cinq cent djinns exilés par le roi Salomon (Sidna Suleiman). Ils se seraient d'abord rendus en Europe, pour en ramener cinq cent épouses, avant de s'installer définitivement dans les montagnes du Kurdistan. Que ce rappel galvanisant, sur la mythologie du peuple kurde, ne nous fasse pas oublier l'expérience soudanaise qui ne doit rien aux légendes, ni aux révolutions « accompagnées ». Aux dernières nouvelles, les femmes soudanaises qui ont été, à l'instar des Algériennes, à la pointe du Hirak, sont en train de récolter les fruits de leur combat. Une femme, Neemat Abdallah, vient d'être nommée présidente de la Cour suprême, confirmant ainsi la volonté du Premier ministre, Abdallah Hamdok, de promouvoir l'élément féminin. Il faut souligner que dans ce domaine, les Soudanaises ne lâchent pas prise, et ne veulent pas se faire voler leur victoire, comme c'est arrivé dans d'autres pays de la Ligue arabe. Pour la première fois aussi au Soudan, c'est une femme, Asma Abdallah, qui est à la tête de la diplomatie du pays, et trois autres ministères ont été attribués à des femmes, dont celui des Sports. Une grande première dans ce domaine aussi puisque le 30 septembre dernier, la nouvelle ministre des Sports, Wala Issam, a inauguré à Khartoum un championnat de football féminin. Ce qui n'a pas été du goût de l'imprécateur islamiste local, un protégé de l'ancien Président déchu, qui a sévèrement critiqué la décision de créer un championnat de football féminin. Mais comme la misogynie est une seconde nature chez ces gens-là, cet imam Abdelhay Youssef s'est laissé aller à des attaques personnelles contre la ministre qui a décidé de riposter. C'est ainsi qu'elle a décidé de poursuivre l'imam intégriste en justice, et elle a reçu le soutien de son collègue, ministre des Affaires religieuses, ce qui est très rare dans ces pays.
Comme le veut le proverbe qui dit que « comme on fait son lit, on se couche », le Soudan confectionne petit à petit la litière de la démocratie, ce qui n'est pas une tâche facile en ces lieux. Quand je vous disais que le Soudan était en train de nous doubler, et sans forcer : en Algérie, on nous propose de faire notre lit, mais pour une longue hibernation, prolongement de celle imposée par Bouteflika, une hibernation dont on pourrait ne jamais se réveiller.
A. H.
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