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Rubrique Kiosque arabe

Des aveux et des vœux de vieux

Tant qu’il s’agissait seulement de mandats à vie, les médias du Moyen-Orient s’intéressaient naturellement et selon la règle des priorités aux desseins des Présidents El-Bechir et Sissi. Le Soudanais s’accroche encore et à tout prix à un pouvoir qu’il détient depuis 1989, l’Égyptien, plus matois, laisse le soin à ses partisans et courtisans de concrétiser le projet. Mais depuis le 22 février, et les premières manifestations, la presse arabe, aussi bien audiovisuelle qu’écrite, s’intéresse de plus près à nous en évoquant encore le «Printemps arabe». Comme s’il appartenait encore à l’Algérie, suspendue aux desiderata intégrationnistes imprimés par la sainte ligue, de faire triompher une idée qui n’a rien d’arabe comme toute innovation. Laissons de côté les télévisions satellitaires arabes ou s’adressant aux Arabes dans leur langue et intéressons-nous à la façon dont la presse écrite a traité les récents évènements. Le quotidien saoudien de Londres Al-Charq Al-Awsat  se passe de gants, de chirurgien en l’occurrence, pour traiter du sujet et suggère en titre que «L’Algérie est en soins intensifs». Allusion à qui vous savez, puisque l’article signé Radjeh Al-Khouri est paru au lendemain des manifestations du 8 mars, qui n’ont pas montré un peuple moribond, bien au contraire. 
Rappelant les évènements des derniers jours et les tergiversations du pouvoir, ainsi que ses promesses de réformes qui sont, selon le quotidien, «un aveu que l’Algérie en avait besoin, mais que Bouteflika n’a rien fait pour les réaliser. C’est aussi un aveu des détenteurs du pouvoir qu’ils n’ont pas une vision claire de ce que sera la prochaine étape, et qu’ils peuvent seulement faire des promesses fleuries». Notons que dans le numéro daté de la veille, le même journal se demandait pourquoi la France, qui avait joué un rôle décisif dans les printemps arabes en 2011, a changé d’attitude. Rappelant les déclarations françaises qui constituent un soutien implicite à Bouteflika, l’éditorialiste a estimé que la France est dans la position de quelqu’un qui a été mordu par une vipère. Il est pris de frayeur à la simple vue d’une corde. Côté saoudien, encore, mais pas trop puisque le magazine Elaph est censé ne pas avoir de fil à la patte, ce titre usé jusqu’à la corde : «Où va l’Algérie ?» L’un des chroniqueurs attitrés du magazine électronique, Aziz Al-Hadj, évoque le pire : «M. Bouteflika persiste à faire plusieurs mandats, en dépit de l’âge et de la maladie. Ses opposants de tous bords persistent aussi à l’en empêcher (…) Le miracle serait que Bouteflika se retire en dernier ressort, mais nous ne sommes plus dans l’ère des miracles (…) La bataille est rude, et les Algériens ont le sang chaud, comme chacun sait, et toute la crainte est que l’Algérie bascule dans une sorte de guerre civile ou voit la victoire des islamistes.» 
Côté égyptien, on semble craindre la même perspective, et avec des arguments assez convaincants puisque le quotidien Al-Miri Alyoum compare le 8 mars 2019 au 25 janvier 2011. «Les images que nous avons vues des manifestations d’Alger nous rappellent celles de Maydan Al-Tahrir, et la lettre de Bouteflika ressemble au discours de Moubarak, le 1er février 2011.» C’est l’opinion du chroniqueur Suleiman Djawda qui rappelle que Moubarak avait aussi promis de ne pas se porter candidat à l’élection présidentielle qui devait se tenir à la fin de l’année. Notant que tout comme les manifestants égyptiens, les Algériens demandent le départ de Bouteflika, sans avoir une idée de ce que sera la suite, notre confrère craint que le résultat soit le même. «En Égypte, dit-il, c’est l’islam politique qui était l’alternative cachée, prête et capable plus que tout autre de rassembler, de mobiliser, et d’arriver au pouvoir par les urnes. Il n’est pas possible, en effet, de rééditer ailleurs les mêmes actes et d’en attendre des résultats différents.» A relever que dans le même quotidien, on trouve un point de vue du penseur égyptien Mustapha Al-Faqi, qui va réconforter ceux qui pensent que ce c’est l’Égypte qui nous a ramené l’islamisme. 
Ce qui n’est pas tout à fait exact, même si le penseur reconnu et actuel directeur de la bibliothèque d’Alexandrie persiste et signe : «C’est l’Égypte qui a introduit le courant islamiste en Algérie, et l’Islam politique en Algérie est égyptien de naissance.» L’éventualité d’une arrivée des islamistes au pouvoir n’est pas à l’ordre du jour, estime toutefois notre confrère Hamid Zanaz dans un autre quotidien de Londres, Al-Arab : «Nul ne peut nier, dit-il, que l’Algérie vit aujourd’hui sous un code de la famille inspiré de la Charia.» De même que l’école est islamisée, et que la majorité des médias est prête à propager l’obscurité et l’obscurantisme. Des articles du code pénal dissuadent ceux qui contrediraient la communauté nationale en matière de convictions religieuses et d’autres signes de l’islamisation menée par le pouvoir. Ce dernier a vaincu militairement le fondamentalisme islamiste, grâce à la participation des Algériens de toutes les classes et de toutes les régions. Puis il a laissé ce fondamentalisme triompher dans la société, c’est ainsi que les spécialistes de la «roqia» et les charlatans sont devenus légion. C’est ainsi qu’il (le pouvoir) a drogué, ligoté les gens, et depuis qu’il est arrivé au pouvoir, Bouteflika est en lune de miel avec les leaders islamistes (…). Il a poussé la provocation jusqu’à prendre une initiative surprenante, en faisant recevoir le chef de «l’armée» du FIS, Madani Mezrag, par le Premier ministre, Ouyahia. 
Ceci pour avoir son avis sur la réforme de la Constitution du pays, et alors que ce même Mezrag a reconnu avoir tué des soldats algériens de ses propres mains.» Et Hamid Zanaz de conclure : «Il est impossible qu’une génération qui a vécu 10 années de terrorisme islamiste et 20 ans sous un pouvoir corrompu puisse remettre son sort entre les mains d’islamistes étrangers au siècle.» 
De Londres, encore, mais de source qatarie, nous parvient cette initiative du quotidien Al-Quds qui consacre beaucoup d’espace à ce qui se déroule en Algérie, avec une fausse neutralité. Dans sa rubrique «Voir», le journal annonce qu’un certain Hamraoui Habib Chawki a fait le vœu de mourir en même temps que Bouteflika, et propose la vidéo correspondante. Mais à la différence des internautes algériens, le journal n’insiste pas pour que ce vœu soit rapidement exaucé. 
A. H.

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