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Rubrique Kiosque arabe

Dire la vérité contre le mensonge

On a répandu la nouvelle de la mort de l’écrivaine Nawal Sadaoui le 8 mars dernier, journée internationale des droits de la femme, qui n’est pas une fête comme on l’a voulu ici et là pour elle. On a choisi de la tuer pour cette journée symbolique qui commémore le combat des femmes, de tous les pays, pour recouvrer leurs droits bafoués au nom de traditions archaïques. « On » peut être aussi bien un admirateur de Nawal, trompé par la rumeur, que des personnes ou des groupes malintentionnés, et Dieu sait s’il y en a autour d’elle. En réalité, l’écrivaine égyptienne avait perdu la vue, après des complications consécutives à une opération de la cataracte, comme l’ont annoncé les siens. Le 8 mars 2019, c’était le deuxième vendredi de marche pour dire non au cinquième mandat et à l’exercice du pouvoir par une oligarchie, cramponnée à un fauteuil roulant. Et si ce n’était ses ennuis graves de santé, la célèbre psychiatre se serait passionnée pour ces marches pacifiques, marquées justement par une présence féminine très importante. On peut penser qu’en dépit de ses 87 ans qui ne l’empêchaient pas de parcourir le monde et d’être toujours là où on avait besoin d’elle, Nawal Sadaoui aurait été parmi nous, Place Audin. Et là, on ne peut garantir qu’elle n’aurait pas servi d’exutoire aux éternels dénonciateurs de « la main de l’étranger ». 
Toujours est-il que Nawal Sadaoui aurait répondu à la moindre sollicitation, au premier appel des marcheurs pour la liberté, et faute d’être présente physiquement, elle aurait pris sa plume. C’est son arme principale, sa plume, car elle la maniait et la maniera encore, espérons-le, comme un bistouri pour tenter d’établir un diagnostic et d’extirper les maux du corps féminin. Et c’est de cette volonté, et de cette ambition nouvelle dans un pays comme l’Égypte, à s’intéresser à la femme d’un point de vue médical, que sont venus ses problèmes et ses ennuis. Depuis ma première rencontre avec elle, à Alger, au début des années quatre-vingt-dix, elle a alimenté nombre de mes chroniques par ses interventions dans la presse égyptienne. Ces derniers temps, elle a élu résidence d’écriture au quotidien du Caire Al Misri-Alyoum, réputé être parmi les plus libres de ton, dans un pays très quadrillé sur ce terrain. Parmi les articles qu’elle a signés récemment, je retrouve ce très bel hommage à l’écrivaine palestino-syro-libanaise, May Ziadeh (1886-1941), à l’occasion du 11 février, jour où elle est née. « Elle (May Ziadeh) est morte dans un hôpital d’Égypte, abandonnée de sa famille et des siens en Palestine et au Liban, oubliée de ses amis et de ceux qu’elle aimait en Égypte. 
« Sa vie et sa mort dramatiques ne diffèrent en rien du sort des penseuses, écrivaines et créatrices, en Orient, en Occident, au Nord, et au Sud, depuis que le dieu Jéhovah en a décidé ainsi dans l’Ancien Testament (La Bible). Depuis qu’il a condamné Eve et le sexe féminin dans son ensemble au péché et à l’erreur, pour la simple raison qu’elles ont été créées femmes et non pas hommes (…). Comment se fait-il alors que c'est lui (Jéhovah) qui a créé la femme, puisqu’elle ne s’est pas créée elle-même, mais qu'avec ça, il la punit de la pire des manières pour ses actes à lui. Il lui a attribué la honte, l’infériorité, l’asservissement, le péché, et le manque de cervelle, et a doté son époux du pouvoir absolu, de l’honneur, de l’intelligence, et de la noblesse. Alors qu’elle est juste un objet de plaisir pour lui, un ventre pour porter ses enfants, les mettre au monde dans la douleur et la souffrance, et qu’il la domine, comme c’est dit dans la Bible en toutes lettres. Et ces mots sont passés de la Bible aux autres livres religieux qui l’ont suivie, dans d’autres langues et avec quelques changements, mais toujours avec le même message. J’avais dix ans, et j’étais à l’école primaire quand j’ai entendu ma mère me dire : « May Ziadeh est morte, Nawal .» Ma mère lisait parfois ses écrits dans les journaux, mais ces derniers s’intéressaient surtout aux informations concernant sa vie privée, du fait qu’elle était une jolie femme. 
« Du fait aussi qu’elle était libérée, sortait nue tête et sans hidjab, fréquentait des hommes et animait un salon littéraire qui réunissait des hommes comme Abbas Al-Aqad et d’autres soupirants .» Alors qu’elle voulait être écrivaine, Nawal Sadaoui a finalement opté pour la médecine, se souvenant des conditions dramatiques et tragiques dans lesquelles May Ziadeh(1) avait vécu. Elle avait surtout écouté son père qui lui avait dit : « Ma fille, évite de devenir écrivaine, sinon tu finiras dans la pauvreté ou en prison .» Il ne se trompait pas tellement puisque c’est la publication de ses livres, et notamment le très controversé « La femme, et le sexe », qui va la mener dans une cellule de prison en 1981. Faut-il préciser qu’avant le pouvoir politique, ce sont les autorités religieuses, Al-Azhar en tête, qui ont tiré à boulets rouges sur Nawal Sadaoui. Emprisonnée par Sadate,(2) elle n’a dû sa libération qu’à la mort de ce dernier, victime d’un attentat, alors qu’il assistait à un défilé militaire commémorant la guerre d’octobre 1973. Cinq ans plus tard en 1986, elle a publié son livre « Souvenirs de la prison des femmes », dans lequel elle proclamait sa volonté de continuer à dire et à écrire, malgré la répression. « Le danger a toujours fait partie de ma vie, du moment où j'ai pris un stylo et je me suis mise à écrire .»
« J'écrirai, ajoutait-elle, même s'ils m'enterrent, j'écrirai sur les murs s'ils me confisquent crayons et papiers, j'écrirai par terre, sur le soleil et sur la lune ». Le 10 mars 2018, les femmes tunisiennes l’avaient conviée à venir prendre part à la marche pour l’égalité dans l’héritage. Auparavant, Nawal Sadaoui avait salué le combat des femmes tunisiennes, et avait déploré que ses concitoyennes égyptiennes soient toujours dans la situation d’infériorité qu’elle a toujours dénoncée. Mais elle se dit résolument optimiste, et elle résume son état d’esprit et sa résolution par cet aphorisme : « Je pense que l’espoir, c’est le pouvoir .» Mais réaliste, elle s’empressait d’ajouter : « Rien n'est plus dangereux que la vérité dans un monde qui ment .» Prompt rétablissement, Nawal, et à bientôt pour la fête... 
A. H.

1) Pour ceux que le sujet intéresse, je recommande l’excellent roman que lui consacre Waciny Laredj, sous le titre May : Les nuits d’Isis Koubyeh — trois cent et une nuits dans l’enfer d’Al-Asfouria (asile psychiatrique dans lequel May Ziadeh avait été enfermée par un cousin criminel).
2) Après l’assassinat de Sadate et avec la fougue de la jeunesse, j’avais commis dans l’hebdomadaire Algérie-Actualité un papier saluant l’évènement avec ce titre « L’Égypte revient !». Si je le pouvais, je le retirerais aujourd’hui.

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