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Rubrique Kiosque arabe

Gamal Al-Bana nageait à contre-courant !

Dans ses jeunes années, Djamal, ou Gamal Al-Bana, avait été souvent induit en tentation, non pas par le diable contre lequel sa foi le prémunissait, mais par son propre frère aîné, Hassan. L'aîné des Al-Bana avait fondé en 1928 (Djamal avait alors huit ans) le mouvement des Frères musulmans et il essayait d'y attirer son jeune frère, avec des promesses de bonheur. Il faisait ainsi miroiter au jeune homme pieux l'image d'un mouvement qui pouvait assurer les félicités de l'Au-delà, mais aussi celles d'ici-bas, tel le jardin des Hespérides et ses pommes d'or. Quoi de plus naturel qu'un mouvement se promettant de veiller au salut des âmes, enrôle d'abord au sein de la cellule familiale et promette monts et merveilles, en priorité à ses membres. La tentation était d'autant plus grande, que l'un des frères de Hassan, Abderrahmane, brillant orateur, était déjà aux côtés du guide suprême, avec un certain Saïd Ramadan.(1) Gamal, homme pieux, mais ne manquant pas de discernement, s'abstiendra d'aller cueillir la pomme d'or, ayant compris que l'objectif du mouvement n'était pas d'ordre religieux seulement. Et même sur plan, les Frères musulmans avaient tellement emprunté au fondamentalisme archaïque ses tenues et ses postures, qu'ils étaient devenus une caricature d'eux-mêmes.
C'est d'ailleurs l'un des reproches essentiels que fait Gamal Al-Bana aux frères musulmans qui se sont enlisés dans la théologie et les attitudes salafistes, surtout à l'égard des femmes. Mais, en dépit de ses réserves et de son regard critique sur l'organisation créée par son frère aîné, il lui vouait une affection profonde et sincère, qui était parfois dénuée d'objectivité. Dans ses dizaines d'ouvrages et de conférences sur l'Islam et sur le mouvement syndical, domaine dans lequel il s'était spécialisé, il ne s'est jamais départi du respect dû au frère aîné. Dans le livre qu'il a consacré à l'organisation islamiste,(2) Gamal Al-Bana regrette, entre autres, qu'il n'y ait pas eu une opportunité d'entente entre les Frères musulmans et Nasser. Et s'il est très critique de ce point de vue à l'égard de la révolution de juillet 1952, dont il n'a cessé de dénoncer les méthodes répressives, il n'épargne pas l'organisation de son frère. Il explique d'ailleurs avec un rien de mansuétude que l'hostilité envers Nasser du guide suprême, Mamoun Al-Hodheibi, est dictée par le fait que ce dernier était un magistrat. En tant que tel, il était donc opposé à la révolution de juillet 1952, qu'il considérait comme un coup d'État militaire ayant renversé une monarchie légitime et réprimé les libertés. Gamal Al-Bana aurait pu évoquer un autre motif de rupture, celui du hidjab.
Lors d'une entrevue avec Nasser, le guide suprême des Frères musulmans présenta une seule revendication, à savoir que le nouveau Président devait imposer le voile aux femmes.(3) La délégation exhiba même à l'appui de sa demande une série de trois croquis, montrant les différentes tenues  vestimentaires  de la femme : détestable, peut mieux faire, et idéale. L'habit idéal représentant la femme égyptienne recouverte de la tête aux pieds, ce à quoi Nasser répondit à son interlocuteur islamiste qu'il devrait d'abord habiller ses filles ainsi. On sait que le Raïs sut exploiter habilement la teneur de cet entretien en reprochant à Mamoun Al-Hodheibi de vouloir imposer le voile aux Égyptiennes, alors que sa fille ne le portait pas.(4) On ne fera pas grief à Djamal Al-Bana d'avoir omis cet épisode défavorable à Al-Hodheibi, d'autant plus que le penseur déniait au port du hidjab le caractère d'injonction divine. Il a souvent rappelé que le voile proprement dit avait été prescrit aux épouses du Prophète, à la fois pour les honorer et pour les distinguer des autres femmes musulmanes de l'époque. Nulle part dans le Coran, il n'est fait mention au port du voile, hormis la nécessité pour les femmes musulmanes de recouvrir leur poitrine, ajoutait-il. S'agissant justement du Coran, Gamal Al-Bana va en faire le fer de lance de son combat contre l'islamisme.
Il est considéré, d'ailleurs à juste titre, comme l'un des pionniers du «coranisme», qui prône le retour au seul Coran dans l'attente d'une relecture moderne et plus minutieuse de la Sunna. Ce que Gamal Al-Bana a de différent avec les autres «coranistes», qui proposent purement et simplement un moratoire sur les hadiths, c'est qu'il reste attaché aux hadiths tenus pour vrais. Pour cela, il est resté attaché à la méthode du Prophète qui consistait à regarder d'abord ce que disait le Coran sur un sujet et à se référer à sa propre réflexion et à son jugement s'il y a lieu. On appréciera le choix de ce hadith concernant des sujets controversés comme l'adultère : à un homme qui venait lui annoncer qu'il avait été témoin d'un adultère, le Prophète aurait répondu : «J'aurais préféré que tu les recouvres de ton manteau.» Mais sa fidélité à la Sunna ne l'a pas empêché d'adresser de sévères critiques aux théologiens, rapporteurs de hadiths, comme Boukhari, et à ceux qui voient dans son œuvre le second Grand Livre, après le Coran. Gamal Al-Bana a quitté ce bas monde, il y a sept ans, le 30 janvier 2013, et dans un anonymat quasi-complet, puisqu'il refusait d'être un poisson mort et de nager dans le sens du courant. Les deux sites internet qui lui étaient consacrés sont malheureusement fermés, depuis 2017, pour des raisons liées à la location des noms de domaines, mais ses œuvres sont disponibles au téléchargement.
A. H.

(1) Beau-fils de Hassan Al-Bana et père de Tarik, Saïd Ramadan a fait son apprentissage d'agitateur et d'agent au Yémen, en compagnie de l'Algérien Fodil Ouertilani.
(2) Ce qu'il y a eu après les Frères musulmans. Gamal Al-Bana (1996).
(3) Voir à ce sujet le «Kiosque arabe» du 3 mars 2012, disponible en PDF dans les archives du journal.
(4) Comme l'a fait par la suite Boumediène, Nasser a quand même fait des concessions aux islamistes en introduisant l'éducation islamique dans les écoles. Du côté des mosquées, elles passèrent de 11 000 à 21 000 sous sa présidence. Ce qui est bon pour les religieux ne l'est pas nécessairement pour le pays.

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