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Rubrique Kiosque arabe

Hamdi Qandil, l'homme aux deux vies

Comme il fallait s'y attendre, l'assassinat de Jamal Khashoggi par les services saoudiens, à Istanbul, a donné du grain à moudre aux médias, propriété du Qatar, ou attachés à la mangeoire. Le quotidien londonien Al-Quds, qui manquait de souffle depuis son rachat par Doha, retrouve la vigueur qui était la sienne au temps de son ancien patron, Abdelbari Atwane. Au diapason de la chaîne Al-Jazeera, le quotidien exploite à fond ce cadeau royal, tombé du ciel saoudien au grand bonheur des adversaires de la monarchie wahhabite, Doha en tête. Al-Quds s'enhardit même à interpréter le revirement américain sur la guerre du Yémen comme un désaveu infligé au prince héritier Mohamed Ben Salmane, après l'affaire Khashoggi.  
En face, le silence est de rigueur comme l'illustre le journal en ligne Elaph, fondé par le journaliste saoudien Othmane Al-Aamir, ancien rédacteur en chef du quotidien Al-Charq Al-Awsat. Si la discrétion est de règle concernant la disparition de Jamal Khashoggi, elle l'est a fortiori lorsque l'Arabie Saoudite coupe légalement la tête à une domestique indonésienne qui avait tué son patron saoudien. Tuti Tursilawati, femme de chambre, avait tué à coups de bâton l'un de ses patrons saoudiens, pour se défendre et pour mettre fin aux viols qu'elle subissait régulièrement de sa part.
Elle a été décapitée lundi 29 octobre, et la seule réaction des autorités de son pays, l'Indonésie, a été de regretter que l'exécution ait eu lieu sans que ses services consulaires aient été informés. Ce n'est quand même pas la mort d'une personne très ordinaire, une femme de surcroît, et condamnée après un procès régulier, au sens saoudien, qui va provoquer une crise diplomatique ! On sent aussi la même gêne aux entournures dans la presse égyptienne qui n'est pas réputée pour son audace, surtout en cette période où les deux pays ont plus que jamais besoin l'un de l'autre. L'alliance entre les deux pays qui se concrétise dans la «sale guerre» menée au Yémen, à l'initiative de l'Arabie Saoudite, est trop importante pour être troublée par des articles inopportuns. Là encore, on retrouve la même ligne de partage entre les pays et les régimes hostiles momentanément ou durablement à Riyad et ceux qui sont alliés, amis ou affidés du royaume. Dans cette alliance plus tactique que stratégique entre les deux pays, l'Égypte est tributaire du soutien saoudien face au terrorisme des Frères musulmans, évincés du pouvoir.
En échange du soutien saoudien contre la guérilla des Frères musulmans, soutenus par la Turquie et le Qatar, l'Égypte a dû s'engager militairement dans la «sale guerre» menée au Yémen par Riyad. Comme on est loin des années soixante, l'époque où Nasser envoya 70 000 soldats égyptiens au Yémen du Nord pour soutenir les républicains contre la monarchie, appuyée par l'Arabie Saoudite ! C'est durant cette décennie qu'un certain Hamdi Qandil fit ses premières armes dans le journalisme, précisément à Akher-Saa (dernière heure), dirigé par Mustapha Amine. L'inoubliable animateur de l'émission «Qalam Al-Rassas», en référence beaucoup plus au plomb des balles qu'au crayon à mine de plomb, nous a quittés mercredi dernier. Il y a quelques années, j'avais relaté ses démêlés libyens et ses relations tumultueuses avec Maâmar Khaddafi qui l'avait ramené à Tripoli afin qu'il y diffuse son émission sur la télévision libyenne. Avec «Qalam Al-Rassas», Hamdi Qandil s'était fait une réputation de défenseur musclé et talentueux de la cause arabe, un «Orobiste», comme les années soixante en ont produit à foison. Il a promené sa voix et son image du Caire à Tripoli, en passant par Dubaï et Beyrouth, mais il s'est fait connaître surtout avec l'irruption des chaînes satellitaires dans le paysage audiovisuel arabe.
La disparition du grand journaliste qui était marié à la grande actrice égyptienne des années soixante et soixante-dix, Nagla Fathi, a suscité un hommage unanime, même s'il a été parfois controversé. Fortement impliqué dans la vie politique et culturelle de l'Égypte, en raison de son talent prodigieux, Hamdi Qandil a publié en 2014 un livre de mémoires intitulé J'ai vécu deux fois. En fait, c'est plusieurs vies qu'il aurait dû dire, puisqu'en plus de son attachement à Saddam Hussein et de son idylle avec Khaddafi, il avait fait des choix discutables en matière de politique égyptienne. C'est ainsi qu'il avait soutenu le Frère musulman Mohamed Morsi, avant de s'en repentir amèrement et publiquement plus tard et de déclarer la guerre aux islamistes. Il avait également apporté son soutien en 2012 au candidat à la présidence, Mohamed Baradaï, prix Nobel de la paix en 2005, avant de se rebiffer et de le qualifier d'homme dangereux. A la sortie de ses mémoires, en 2014, le journaliste avait été longuement interviewé sur la chaîne Dream 2 par le présentateur vedette Wael Al-Abrachi, notamment sur ses relations avec Sissi. Racontant sa première rencontre avec le Président égyptien, Hamdi Qandil a affirmé, entre autres, qu'il l'avait trouvé un peu trop religieux, «un Frère musulman», dit-il.
Interrogé sur son refus de reprendre une émission politique, il a affirmé qu'il a pris cette décision après avoir assisté à une réunion sur la nouvelle Constitution : «Ce texte signifiait simplement pour moi qu'on remettait le pays aux mains des islamistes.» Puis il a enchaîné sur son refus d'occuper un poste de haute responsabilité en disant que ces fonctions exigent de s'y consacrer 24h su 24h. «Il y a un âge, comme le mien, où on ne peut plus travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Et c'est pour ça que j'ai renoncé.» Encore faut-il préciser que Hamdi Qandil est décédé mercredi dernier à l'âge de 82 ans et qu'il en avait 78 lors de cette interview.
A. H.

 

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