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Rubrique Kiosque arabe

La dernière bonne idée de Sissi

La grande quadrature du cercle qu'ont eu à résoudre ceux qui se sont penchés, jusqu'à avoir mal au dos, sur la réforme de l'école algérienne, se résume à ce dilemme: comment réformer l'école contre les enseignants ? Comment convaincre les enseignants de renoncer à ce qu'ils ont appris à l'école, puis dans les instituts de formation, pour réapprendre une méthode et des bases radicalement différentes ? Comment amener un enseignant dont on a rempli la tête de versets et de hadiths, imparfaitement assimilés, à mettre de côté sa foi et ses rituels, pour se consacrer au métier pour lequel il est payé? Revenir sur des décennies de formation d'instituteurs, dont le premier souci est d'inscrire la Bismallah au tableau noir et d'effrayer les enfants avec les contes des supplices du tombeau. Car le nœud gordien du problème est là, et certains réformistes velléitaires s'y sont cassé les dents à vouloir le défaire, sans faire comme Alexandre, c’est-à-dire trancher. Demandez à Madame Benghabrit qui étaient ses plus farouches adversaires, en plus des cadres mollusques de son ministère, lorsqu'elle a esquissé quelques timides changements. Car, ils sont toujours là, les gardiens et marchands du temple, qui ont dressé une première barricade, celle de l'arabe, contre la réforme et érigé celle de l'Islam, une fois rassurés sur l'avenir arabe. 
Alors, mes chers amis qui avez sauté de joie à la récente initiative du Président égyptien Sissi, comment voulez-vous que ce qui a échoué en Algérie réussisse en Égypte ? Et vice-versa ? Bien sûr, me direz-vous, l'Égypte a déjà réglé son problème de langue et sa quête sur la période des pharaons, se borne à exhumer des sarcophages, pour attirer plus de touristes encore. La pharaonicité de l'Égypte, c'est juste la lubie d'un de leurs grands écrivains qui ne parlait pas en hiéroglyphes, que je sache, et qui n'a jamais réclamé la restitution de l'obélisque de Louxor. Il n'y a rien à dire, y compris sur le fait que lorsqu'ils disent que leur pays est «Oum Dounia», ils veulent dire qu'il est la «mère du monde arabe», et que son téton maternel ne va pas plus loin. Ils se contentent de garder le siège de la Ligue arabe, pourvoyeur de postes, au Caire, et ils ne sont pas peu fiers d'être le pays qui a fait le plus de sacrifices pour la cause arabe. Tout ceci est vrai, j'en conviens, et il me semble bien avoir exprimé mon opinion là-dessus et mes réserves sur la gestion de la «cause arabe», en dépit de mon admiration pour Nasser. Seulement, vous oubliez la deuxième barricade que j'ai évoquée plus haut, et c'est l'échafaudage islamiste que les institutions égyptiennes s'emploient à renforcer, pendant que Sissi dit le contraire. 
La réforme du discours religieux qu'il prône depuis son accession au pouvoir est sans doute le seul point positif au crédit de Sissi, beaucoup plus agissant en matière de répression des libertés. Depuis son arrivée au pouvoir, il y a plus de sept ans, Abdelfattah Sissi n'a que ce slogan à la bouche : «Il faut réformer le discours religieux», créateur d'intolérance et de terrorisme. Mais l'injonction s'adresse à qui ? A Al-Azhar, précisément, qui a apporté sa touche à l'intolérance et nourri par miettes le terrorisme islamiste qui sévit encore aujourd'hui, au cœur même de l'Égypte. Demander à Al-Azhar de réformer le discours religieux, c'est comme demander au scorpion de ne plus piquer, ou aux enseignants d'accepter, enfin, les réformes de Mme Benghabrit. Toutefois, le Président égyptien semble avoir compris, cette fois-ci, qu'il ne faut pas compter sur cette institution décrépite et répressive, qu'est Al-Azhar, pour réformer quoi que ce soit. Apparemment, il a décidé de commencer là où il aurait dû, c’est-à-dire par l'école, en restituant l'enseignement à sa vocation et les enseignants à leur métier d'enseigner.  Selon la presse égyptienne, l'idée serait d'expurger les programmes scolaires et les matières qui ne sont pas strictement religieuses de leur contenu foisonnant en versets et en hadiths.
En attendant la réaction de l'armée de théologiens, à commencer par les bataillons d'Al-Azhar et de prêcheurs en eaux troubles que l'Égypte a laissés pulluler en son sein, l'idée me paraît bonne. Trop bonne même, puisqu'à l'heure où j'écris ces lignes, ni Koléa ni le ciel ne sont tombés sur la tête de Sissi, et les minarets du Caire et des pays environnants n'ont pas lancé d'imprécations. La dernière (et seule?) bonne idée du Raïs serait même séduisante et stimulante pour d'autres pays, pour peu qu'elle connaisse un début d'exécution, car en Égypte aussi, les voies de la dictature sont pavées de bonnes intentions. Jusqu'ici, tout ce qu'ont réussi Sissi et son régime, c'est d'alourdir les fardeaux de la vie quotidienne pour les Égyptiens, tout en restreignant leur liberté d'action et de parole. Or, tandis que le Président parle d'argent (car le silence est d'or) et d'avenir radieux, sa police fait la chasse aux opposants et aux créateurs et ses tribunaux condamnent, avec Al-Azhar dans le rôle d'inquisiteur. Ce serait miraculeux si le Président Sissi réussissait ce challenge, celui de changer, sur le long terme, la société en changeant ses méthodes et ses programmes d'enseignement. Mais, ne nous pressons pas d'applaudir !
A. H.

 

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