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Rubrique Kiosque arabe

Les faux vrais scoops d'I'timad Khorchid

Des lecteurs et lectrices m'ont fait remarquer que dans mes chroniques sur le monde arabe, je penchais le plus souvent vers l'Égypte, et je suis sommé en quelque sorte d'expliquer, et je m'y mets. D'abord, en temps normal, autant pour vous que pour moi, l'Égypte ne se prétend pas Oum Eddounia par fierté mal placée, c'est juste le pays qui fait le mieux honneur à la langue arabe. En ce sens, qu'il a domestiqué cette langue, par le génie de ses écrivains, de ses cinéastes et de ses artistes, jusqu'à en extraire une langue populaire, reconnaissable entre toutes. Politiquement, l'Égypte qui a payé le plus lourd tribut, après les Palestiniens, à la guerre contre Israël reste, en dépit de ses difficultés économiques, le leader de la planète Ligue arabe. Ce statut, le pays le doit beaucoup moins à sa position géographique qu'à son histoire récente forgée par des élites politiques et intellectuelles, dont l'influence s'est exercée jusque chez nous. Comme première manifestation de cette influence, il faut garder en mémoire le cri de guerre (j'exagère à peine) de Ben Bella proclamant, sans contredit aucun, que nous étions arabes. Ce n'était pas le meilleur de ce que nous avait inculqué Nasser, dont il ne faut jamais oublier le soutien à notre guerre de Libération, et le rôle qu'il a joué dans l'émancipation des peuples.
Je ne sais pas d'ailleurs quelle mouche ou moustique a piqué nos dirigeants au point de les inciter à manifester leur reconnaissance à l'Égypte en choisissant de suivre Sadate au lieu de Nasser. Le problème, c'est qu'à force de vouloir ressembler à tout prix aux Égyptiens, nous avons fini par chasser la proie pour l'ombre et conserver le pire, tout en laissant échapper le meilleur. Oui, avec la constance et l'application que nous déployons par goût d'autodestruction, nous avons fini par ressembler à l'Égypte, celle de cheikh Al-Ghazali qui nous a fait perdre Arkoun. En suivant Al-Ghazali et en faisant khawa-khawa avec les assassins de Farag Fodda, nous n'avons pas prêté attention aux menaces contre Kateb Yacine, et nous avons perdu Tahar  Djaout. Encouragés par nos silences qui leur disaient oui, les assassins ont échoué l'année suivante en tentant d'assassiner Naguib Mahfouz, un inconnu pour ceux d'ici qui ont lu un seul livre. Mahfouz a suscité des vocations en Égypte, mais aussi en Algérie, pays de pénuries et singulièrement en matière de libertés en général, dont la liberté de création, source de chefs-d'œuvre. Ainsi, un écrivain, voire un simple citoyen, peut contester l'hagiographie consacrée à un des héros ou personnages historiques de l'Égypte et même révéler des aspects sombres de sa personne. 
Quoi d'autre ? Ah oui, les Égyptiens, tout comme nous à leur suite, ont érigé une barrière pénale contre les atteintes aux religions, mais ils ont aussi sacralisé le Nil, à qui ils doivent tout (1). D'où mon choix de vous parler d'I'timad Khorchid, une grande dame d'Égypte qui est décédée le mois dernier et qui a marqué l'Histoire du dernier demi-siècle par ses fracassantes révélations. Il faut dire que rien ne prédisposait I'timad Khorchid à jouer un si grand rôle, si ce n'est sa très grande beauté qui devait fatalement séduire les mâles égyptiens, très puissants ou très riches. Sa première conquête, si j'ose dire, est un notable fortuné du Caire, un certain Ahmed Khorchid, qui avait déjà deux enfants, la célèbre actrice Shirihane et le guitariste Omar Khorchid. Trop belle pour s'étioler auprès d'un mari beaucoup plus âgé qu'elle, et selon qu'elle l'ait attiré dans ses filets, ou qu'il l'ait lui-même remarquée, I'timad épouse Salah Nasr. Ce dernier n'était autre que le chef des services de renseignement égyptiens, du temps de Nasser, et selon un premier récit, qu'elle a démenti plus tard, Salah Nasr l'aurait épousée de force (2). C'est en 1988, sous le règne de Moubarak, et six ans après la mort de son deuxième mari, qu'elle jette un pavé dans la mare avec son livre Témoignage sur les déviations de Salah Nasr. 
Le succès est immédiat et fulgurant, et le livre, qui contient des détails croustillants sur le recrutement d'actrices, comme Souad Hosni, par les besoins des services de renseignement égyptiens. Elle révèle même que c'est Salah Nasr qui aurait planifié l'assassinat de Souad Hosni, avec son bras droit de l'époque, Safwat Charif, devenu plus tard ministre de l'Information. Quelques années après la sortie du livre, devenu très vite un best-seller et réédité à trois reprises, un tribunal du Caire a décrété l'interdiction du livre et ordonné son envoi au pilon. Seulement, un livre paru il y a quatre ans d'un auteur plus sérieux, le journaliste ancien rédacteur en chef de la revue Al-Kawakib, a confirmé en partie l'histoire de Souad Hosni. Le livre est consacré uniquement à l'idylle que la «Cendrillon» du cinéma égyptien a vécue avec l'idole des foules égyptiennes, à savoir «le rossignol brun» Abdelhalim Hafez. L'auteur confirme, en effet, que Souad Hosni a bien été approchée par Safwat Sharif, entre 1963 et 1964, pour la convaincre de travailler avec les services égyptiens, mais elle avait refusé. Or, Souad Hosni est morte après une chute du balcon de son appartement à Londres en 2001, soit dix-sept ans après la tentative de la recruter, l'enquête britannique ayant conclu au suicide. 
Toutefois, l'auteur confirme en partie le portrait sombre dressé par I'timad Khorchid, en affirmant que Hafez avait bien demandé à Nasser de le protéger, parce que Salah Nasr l'avait menacé. Ces maigres informations n'ont pas contribué à ramener son livre sur les étals, mais la veuve de Salah Nasr a continué à le raconter sur les plateaux de télévision, en y rajoutant même. Dernier en date des victimes de Salah Nasr à titre posthume, Omar Suleiman, chef des services de renseignement extérieur, qui a été le vice-président très éphémère de Moubarak, en 2011. Après le rejet de sa candidature (faute de réunir les 30 000 signatures requises) à l’élection présidentielle de juin 2012, il est mort aux États-Unis lors d'examens médicaux réguliers. On peut le considérer, en effet, comme le dernier sujet de la série de scoops plus ou moins crédibles de Mme Khorchid qui a réussi une belle carrière au cinéma, mais dans la production.
A. H.

(1) Une chanteuse célèbre a été traduite en justice pour avoir déconseillé à son public libanais de boire l'eau du Nil (Allusion à la bilharziose contractée par Hafez et qui a causé sa mort).
(2) Elle a raconté que Salah Nasr avait contraint son mari, Ahmed Khorchid, à la répudier et qu'il l'avait même obligée à être témoin de son remariage avec lui. Plus tard, elle a changé de version en affirmant que son vieux mari la trompait.

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