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Rubrique Kiosque arabe

L’Histoire, pour éviter les histoires

L’Islam du 21e siècle, sera-t-il de son siècle, ou sera-t-il confiné, jusqu’à l’étouffement, dans l’intemporalité, comme le veulent les courants fondamentalistes dominants ? C’est la question que l’on peut se poser après cette conférence organisée les 26 et 27 février à l’Unesco par l’association franco-tunisienne «l’Islam au XXIe siècle». Ces deux journées ont été marquées par quatre panels : «Islam et liberté de conscience», «Islam et violence», «Islam et égalité», «Islam et médias». D’entrée, Michel de Rosen, secrétaire général de l’association, a indiqué que cette conférence ne sera pas celle où «des érudits parlent à des érudits» et où des auditeurs les écoutent à peine. De fait, la qualité des intervenants et du public a confirmé la promesse avec la présence à la tribune de Héla Ouardi, l’universitaire tunisienne. L’auteure des «Derniers jours de Mahomet» a rappelé l’emprise du terrorisme islamiste, à la fois sur la rive sud de la Méditerranée et sur l’Europe. Pour illustrer ce climat de peur, elle a raconté que lors d’une conférence donnée par un universitaire espagnol à Tunis, le cri «Allah akbar» a soudain retenti dans la salle. Tout le monde, y compris elle-même, s’est jeté par terre, pris de panique, avant de réaliser que le «takbir» venait de l’ordinateur qu’utilisait le conférencier. 
Ce dernier avait été obligé d’utiliser, suite à un problème technique, celui d’une secrétaire qui l’avait programmé pour lui rappeler par cet «adhan», amplifié par hauts-parleurs, l’heure de la prière. «Nous en sommes là, dit-elle, il suffit d’entendre quelqu’un hurler deux mots arabes, «Allah akbar», pour que le cœur chavire : est-ce un croyant qui annonce la grandeur de Dieu, est-ce un tueur qui annonce un carnage ? » Modérateur du premier panel, Ghaleb Bencheikh a déploré que des conférences semblables à celles-ci et aussi importantes, sinon plus, que celle-ci, avaient eu lieu en 2016. Il s’agit de la réunion de quelque 300 théologiens à Marrakech et de la conférence de Grozny la même année, mais qui n’ont pas eu le retentissement attendu dans les médias. Introduisant le sujet de la liberté en Islam, et plus particulièrement la liberté de choisir sa religion ou de la quitter pour une autre, il a souligné que «le pire des méfaits était le crime de lèse conscience». C’est justement sur le thème de l’apostasie que le Marocain Mohamed Sghir Janjar a axé son intervention, en mettant en exergue le manque de sérieux et de constance des théologiens. Il a cité en exemple un avis du conseil des ulémas du Maroc qui se réfère au Coran pour évoquer la liberté octroyée aux «Gens du Livre» (monothéistes) de pratiquer leur religion. 
Le même avis, se référant cette fois-ci à un hadith douteux, assimile le fait pour le musulman de changer de religion à une rupture de contrat, passible de la peine de mort. Mais quelques années plus tard, le même conseil va donner un avis, cette fois-ci diamétralement opposé et toujours en jouant du Coran et de la Sunna. Cette fois-ci, il interprète à sa manière le fameux hadith en disant qu’en réalité, l’apostat n’est pas celui qui est en quête spirituelle et qui embrasse une autre religion que l’Islam. L’apostat est le musulman qui trahit sa communauté et l’abandonne au profit d’une autre, il commet donc un acte de haute trahison, punissable de mort. On n’est plus dans un cas d’apostasie spirituelle, comme dans la première fatwa, mais dans une situation autre, celle d’une apostasie politique. Rebondissant sur ce sujet, et avant de donner la parole à Hela Ouardi, Ghaleb Bencheikh rappelle qu’au Soudan, Nimeiry a exécuté l’opposant Mohamed Taha sur une fatwa d’Al-Azhar. Pour sa part, Hela Ouardi relève que dans la Déclaration des droits de l’Homme en Islam, on est autorisé à embrasser l’Islam, après avoir renoncé à sa religion, mais il est interdit de se rétracter. Dans la déclaration islamique de 1981, adoptée ici même à l’Unesco, ajoute-t-elle, il est fait mention du respect strict de la loi islamique (sur l’apostasie). Hela Ouardi, qui vient de publier un second livre sur le patrimoine, intitulé «Les califes maudits», souligne encore que dans la traduction du texte arabe, la mention de la peine de mort ne figure pas. 
Dans le second panel, sur l’Islam et la violence, c’est le penseur Rachid Benzine qui est chargé de l’intervention-cadre, et qui évoque ce concept de violence qu’on accole à l’Islam en Occident. Le chercheur insiste surtout sur l’importance de l’Histoire dans l’interprétation du discours coranique, à savoir qu’il faut distinguer l’époque du moment coranique et sa géographie. Il faut sortir de cette essentialisation qui consiste à dire «non, ce n’est pas l’Islam» d’un côté, et «l’Islam est violent» d’un autre. Il faut sortir de ce discours pour parler de l’Islam dans sa dimension socio-historique, qu’est-ce que l’Islam, et à quel moment de l’histoire et à quel genre de société il s’adresse ? Et l’universitaire de résumer sa pensée par une boutade qu’il livre à ses étudiants, à savoir «qu’il faut faire de l’Histoire, pour ne pas se raconter d’histoires, et pour éviter les histoires». Un sujet attendu aussi, et d’une actualité brûlante si l’on peut dire, puisque, par le sujet «Islam et Egalité» fait penser immédiatement au problème de l’égalité homme-femme, en matière d’héritage. Et c’est Salwa Hamrouni, de la Tunisie, qui a traité du projet de loi instaurant l’égalité entre les hommes et les femmes dans l’héritage, qui va être examiné prochainement par le Parlement tunisien. Et comme l’a souligné auparavant la modératrice Asma Lamrabet, il n’y aura pas de réformes en Islam sans l’égalité homme-femme. 
De même qu’il n’y a pas de réformistes, si les supposés tels n’évoquent pas cette égalité et passent sous silence toutes les femmes qui travaillent sur ce sujet dans le monde arabomusulman. Quant à la révolution qui se jouera prochainement en Tunisie et dans les travées du Parlement, Salwa Hamrouni en a rappelé le contexte historique en soulignant implicitement les difficultés. Elle a ainsi rappelé si la femme tunisienne a pu bénéficier d’un statut personnel avancé depuis 1956, le mode d’héritage inspiré de la Charia n’a jamais changé. Il n’est pas sûr, toutefois, que l’instauration de l’égalité entre les deux sexes en matière d’héritage soit très bien accueillie dans les pays voisins où les Constitutions les plus avancées sont battues en brèche par la tradition.
A. H.

 

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