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Rubrique Kiosque arabe

Quand la tribu se déshonore

A Hakima BELANTEUR, décédée le
30 août dernier.
A Ahmed BRAHIMI, décédé le 22
septembre dernier.

Si je transformais l'intitulé de cette chronique, basée sur une lecture très personnelle de la presse arabe, en «Femmes en péril», je n'aurais aucune peine à trouver de la matière en la demeure. La semaine dernière, alors que je me concentrais sur l'assassinat de l'activiste, et top model, irakienne Tara Farès, j'ai zappé un meurtre tout aussi révoltant, sinon plus, pour «l'honneur de la tribu». Cette horreur a eu lieu en Irak aussi, et presque au même moment que l'attentat qui a coûté la vie à l'activiste Tara Farès, alors qu'elle circulait en voiture dans les rues de Baghdad. Dans le cas de cette fillette de 13 ans, tuée par décision des supposés sages de la tribu, parce que son ventre avait enflé, et qu'elle était soupçonnée d'être tombée enceinte, hors des liens du mariage. Pourtant, le corps médical avait apporté un démenti formel aux allégations concernant la jeune fille puisqu'un médecin avait conclu, après examen, qu'elle avait un hymen trop épais. De ce fait, cet hymen hermétique, avait empêché l'évacuation normale des menstrues, et provoqué le gonflement du ventre, laissant les «anciens» conclure hâtivement un péché. Alerté par le père de la fillette lui-même, qui ne voulait pas égorger sa fille comme l'exigeaient les autorités de la tribu, le médecin s'était déplacé en personne auprès d'elles pour confirmer le diagnostic. Comme on le voit, la fibre paternelle a quand même joué, mais sans aller jusqu'à sauver la chair de sa chair, la loi d'airain de la tribu a eu le dernier mot, et la jeune fille est morte empoisonnée. La fin n'a pas été sanglante, pour laver l'honneur très fragile, puisque protégé par une simple membrane, l'hymen, porte de la virginité dont la perte est synonyme de perdition. En fin de compte, le père n'a pas eu à se faire violence, et à égorger son enfant, comme l'exigeait la tribu, et il pourra toujours se consoler en regardant ses mains propres. Comme on ne sait pas exactement qui a été chargé de faire avaler la «cigüe» à l'innocente jeune fille, coupable seulement d'avoir le ventre enflé, les responsabilités sont partagées. Ainsi, dans la tribu, confinée à un Islam très accommodant pour elle, s'agissant des femmes, qui a survécu à Saddam, et aux Américains, tout le monde s'en tire à bon compte, sauf la victime.(1) Et s'il faut parler d'honneur, on a celui encore intact du corps médical, en la personne de ce praticien irakien qui n'a pas oublié le serment d'Hippocrate, et a défendu son sacerdoce. De nos jours, et dans nos contrées, le corps médical sévèrement malmené par les efforts conjoints du pouvoir, et de la société, est souvent tenté de jouer les Ponce Pilate, en prescrivant une «roqia». Cette tragédie, est celle d'une jeune fille de 13 ans, victime innocente et anonyme de mœurs, et de traditions ne survivant, comme certaines épidémies, qu'en milieux prédisposés et favorables. Révoltée par la persistance de ces pratiques d'un autre âge, l'écrivaine irakienne, Fatima Qabani, qui raconte les faits sur le site du journal Al Raï-Al- Youm(2), appelle à la révolte. «Combien de fillettes sont ainsi assassinées chaque jour à cause des mœurs tribales, et des prescriptions religieuses? Combien de fillettes ont vu mourir avec elles leurs rêves d'avenir, par la faute de l'ignorance tribale ?», dit-elle. Réagissant elle aussi à ce drame, l'écrivaine et militante des droits de l'Homme palestinienne, Ahlem Akram, exprime son émotion sur Elaph. Elle raconte l'histoire d'un médecin, ayant terminé ses études aux Etats-Unis, et qui au soir de ses noces veut s'assurer, instruments en mains, de la virginité de sa fiancée, universitaire. Cette dernière refuse évidemment de souscrire à cet examen, quitte à rompre son mariage, non pas par peur du résultat, mais parce qu'elle estime que c'est avilissant pour elle. «Pour une telle femme qui s'est dressée contre la société, et a risqué le scandale, parce qu'elle avait confiance en elle-même, combien ont cédé, et se sont soumises, se demande-t-elle.» «Que dire des milliers de femmes qui ne peuvent affronter la tribu, la société, et la famille, dressées comme la main d'Azraël, décidées, et prêtes à arracher la vie à une fillette, par peur de la honte ? Au fait, quelle est la définition de la honte, est-ce que le meurtre n'en ferait pas partie ? Comment les sociétés arabes en sont-elles arrivées à ce niveau où le mensonge le dispute au dédoublement de personnalité ? De telle sorte que ces sociétés soutiennent l'homme dans toutes ses manies, tous ses instincts, et ses pratiques sexuelles, alors qu'elle confine la vertu dans le seul corps de la femme ?» Ahlem Akram rappelle que les minarets sont entrés en effervescence, récemment au Soudan, parce qu'une jeune fille a affirmé qu'elle s'habillait comme elle voulait. «Pourquoi les mosquées ne réagissent- elles pas avec la même indignation lorsqu'une fillette innocente est tuée, au nom de traditions archaïques, et sous couvert de défendre l'honneur de la tribu ?», interroge la militante palestinienne. Le silence est de rigueur lorsque la tribu, se réclamant notoirement de l'Islam, se déshonore en tuant ses fillettes, comme au temps de la prétendue «Djahilia».
A. H.

1) J'ai essayé, en vain, de connaître au moins le prénom de cette fillette assassinée, et tuée une deuxième fois par l'anonymat dans laquelle l'a maintenue l'espèce d'omerta, observée par les tribus.
2) Le journal Al-Raï-Al-Youm, présent uniquement dans sa version électronique a été fondé en 2013 par le Palestinien, et furieusement baathiste, Abd-Albari Atwane, compagnon de cordée de nos arabistes bornés. Il avait été le fondateur et propriétaire du quotidien londonien Al-Quds, qui a été racheté par les Qataris.

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