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Rubrique Kiosque arabe

Vers une nouvelle génération providentielle

Les Algériens ont de très fortes raisons de ne pas croire aux Hommes providentiels, et même de s'en méfier, au vu de ce qu'ils voient, et qu'ils refusent d'entendre, à juste raison. La méfiance vient sans doute du fait que malgré l'extinction officieuse de la race des prophètes, des héritiers présomptifs, ou présomptueux, continuent de s'en prévaloir, en politique. Pourtant, ce que je vois depuis le 22 février dernier m'incite à reconsidérer la question sous un autre angle: et si faute d'Homme providentiel, nous avions une Génération providentielle ? Les devins, et autres apprentis sorciers s'appliquent à nous convaincre qu'à chaque début de siècle, un Homme providentiel viendra nous sauver, en rénovant notre religion. De quoi se draper de scepticisme quand on voit les résultats obtenus après tant de siècles, et qui se résument non pas au salut universel, mais à la violence, et au chaos. Laissons donc tomber cette théorie des têtes de siècles, et raccourcissons les distances en nous souvenant que nous avons eu cette génération, celle de Novembre, il y a bientôt 65 ans. Trente-cinq ans d'économisés, ce n'est pas négligeable, quand on pense à ce qu'on serait devenus si cette génération avait attendu le signal de Ben Badis, ou de Messali pour agir. Et si ces jeunes gens qui brandissent les portraits des vrais Pères-Fondateurs étaient cette relève attendue ?
Jamais depuis la génération de Novembre, il n'y a eu un tel écart d'âge, et de telles crevasses entre une génération qui a presque tout dilapidé, et celle qui a été privée, et frustrée de tout. Imaginons encore que les Soudanais qui ont déclenché leur révolution en décembre 2018 se soient résignés à attendre la fin du siècle (A.D ou Hégire) pour s'insurger contre El-Béchir. Que les organisations professionnelles se soient peu à peu laissées distancer par le Hirak, comme ici, au lieu d'en prendre les commandes, et de conduire les négociations avec l'armée.  
Les hommes qui ont pris en main les destinées du Soudan devaient avoir en tête l'image d'un certain Abderrahmane Souar-Al-Dhahab, dont le nom très poétique se traduit par «Bracelets d'or». C'était un général de l'armée soudanaise, le seul et unique auteur d'un coup d'État militaire, destiné non pas à prendre, ou à pérenniser le pouvoir, mais à instaurer la démocratie. C'est Souar-Al-Dhahab qui a, en effet, mis fin le 6 avril 1985 à deux années de dictature militaire exercée par le sanguinaire Djaffar Numeyri, suivies d'un mandat présidentiel de 14 ans. Mais après s'être installé dans le fauteuil présidentiel pour une longue période, semble-t-il, l'Homme aux bracelets d'or a quitté ses fonctions après seulement une année, le 6 mai 1986. 
A la surprise générale, le Général Souar Al-Dhahab annonçait, un an et un mois après avoir pris le pouvoir, qu'il remettait le sort du pays entre les mains des civils, du jamais vu ailleurs. Il reste un exemplaire unique de militaire qui a affirmé, après un coup d'État, qu'il n'avait aucune ambition politique, et qui a joint la parole aux actes, en remettant le pouvoir aux civils. Bien sûr, Hassan Tourabi et son compère Omar El-Béchir ont vite fait de tordre le cou à la démocratie naissante, mais le nom de Souar Al-Dhahab a jeté, à jamais, l'opprobre sur le tandem. Le «Général démocrate» s'est exilé par la suite en Arabie Saoudite où il a continué à prêcher le dialogue lors des multiples crises que le Soudan a traversées, mais sa voix ne portait plus. Souar Al-Dhahab est mort, à l'âge de 84 ans à Riyad, le 18 octobre 2018, non sans avoir vu son aura utilisée par ses hôtes saoudiens dans leur guerre contre le chiisme, et l'Iran. Seule ombre au tableau, son refus de participer en 1971 à la tentative de coup d'État du commandant Hachem Al-Atta, en remettant la garnison de sa ville d'Al-Baydha, aux putschistes. Quelques jours après l'échec des conjurés, Numeyri a présidé un tribunal expéditif, et a fait condamner à mort Hachem Al-Atta, ainsi qu'une dizaine de dirigeants du Parti communiste soudanais. 
La participation active du PC soudanais, et de son Secrétaire général, Sadek Al-Mahdjoub qui figure parmi les condamnés à mort, n'a jamais été prouvée, mais Numeyri n'en avait cure. Il en a profité également pour prononcer la dissolution du Parti communiste, après avoir décapité sa direction, et fait fusiller ses principaux dirigeants. Il n'est pas du tout certain que la tentative de Hachem Al-Atta aurait réussi si Souar Al-Dhahab avait apporté son soutien aux conjurés, mais le fait est à rappeler. En guise de remerciements pour sa loyauté, Numeyri a envoyé Souar Al-Dhahab comme conseiller militaire au Qatar où il a été chargé de réorganiser l'armée et la police qataries. Mais l'Histoire ne retiendra de lui que ce bref épisode de treize mois dans sa vie militaire, et politique, qui l'a vu promettre de rendre le pouvoir au peuple, et singulièrement tenir parole. Si le Soudan a aujourd'hui un vrai gouvernement civil, après un compromis historique conclu entre les militaires au pouvoir, et les élites politiques du pays, c'est un peu grâce à lui.
A. H.

À mes lectrices et lecteurs : cette chronique s'arrête pour quelques semaines, le temps de souffler un peu, et je vous promets de vous retrouver le lundi 7 octobre.

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