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Rubrique L'APRÈS-VENDREDI

L'heure du dialogue

Cinq mois que le mouvement du 22 février marche dans la rue pour exiger un changement radical des mœurs politiques, plus de liberté, plus de justice, plus d'espaces démocratiques pour exprimer la diversité et la richesse des opinions et une place plus importante pour la jeunesse. Sans rentrer dans le détail, ce sont quelques-unes des revendications portées par la rue qui ne s'est jamais désemplie, même dans les conditions extrêmes des longues journées caniculaires du Ramadhan ! Cette force et cette volonté sont une garantie pour la continuité du mouvement qui ne doit surtout pas s'arrêter. Si, par malheur, il venait à s'essouffler ou, pire, à quitter la scène,  nous retomberions automatiquement dans l'avant 22 février, c'est-à-dire en plein dans ce règne bouteflikien d'oppression et d'injustice ! Certes, l'armée est là mais elle ne peut pas faire la révolution à notre place ! Il ne faut pas croire qu'avec un gouvernement formé par Bouteflika, des walis et des chefs de daïra désignés par lui, un Sénat et une Assemblée élue selon des méthodes mafieuses, des  APW et des APC sous le règne de l'argent sale et un gros peloton de responsables administratifs et économiques truffé de «chargés de mission», ces larbins que l'ancien Président changeait au gré de ses humeurs ou en fonction des intérêts de l'oligarchie drivée par son frère; il ne faut surtout pas croire que nous sommes prémunis contre une restauration progressive du régime déchu. Si notre unité vacille, si notre vigilance baisse, si nous nous laissons aller aux démons de la division ethnique ou religieuse et du régionalisme, bonjour les dégâts !
Mais continuer à marcher sans une véritable force de discussion et de proposition issue des rangs des manifestants, sans un minimum d'encadrement, présente justement ce risque de voir le mouvement se contenter des sorties hebdomadaires qui deviendraient une fin en soi. J'appelle depuis la première semaine du Hirak à la réflexion autour de la problématique de la représentation. Depuis, je n'ai pas cessé de mettre en garde contre le syndrome des gilets jaunes qui, à force de sortir pour sortir et de refuser toute organisation interne, se sont éparpillés dans la nature et connaissent une fin pitoyable. J'avais écrit qu'une révolution ne se fait pas avec des gens qui sortent un jour par semaine et rentrent tranquillement chez eux, s'échangeant les selfies et les souvenirs comme s'il s'agissait d'une sortie récréative !
Elle se fait autour d'objectifs clairs et précis pour un changement radical; elle se fait sous la conduite d'une élite révolutionnaire composée d'hommes courageux, intègres, au parcours exemplaire; elle se fait avec des masses unies et vigilantes dont la première revendication doit être la justice car trop d'injustice, de vols et de corruption généralisée ont transformé notre pays en terre de non-droit.
«La révolution n'est pas une œuvre d'art» avait écrit Mao Tsé Toung qui savait de quoi il parlait. Il a fallu attendre la fin du XXe siècle et le début du XXIe pour voir se répandre de nouvelles révolutions dites de «velours», du «jasmin», etc, dans la lignée de la célèbre révolution portugaise connue sous le nom des «œillets». Mais il ne faut pas s'y tromper : ces révolutions sonnent faux ! Premier exemple : en Europe, elles n'ont touché que le camp des pays de l'Est et quand il y a résistance, l'impérialisme n'hésite pas à utiliser ses bombes, comme cela s'est passé à Belgrade ! La révolution est interdite en France, Allemagne ou Espagne ! Mais elle est encouragée par tous les moyens, y compris militaires, quand il y a opposition au diktat américain ou même aux conditions imposées par le néolibéralisme et la mondialisation. 

Deuxième exemple : dans le monde arabe, et comme par hasard, des monarchies moyenâgeuses avec des peuples mis en esclavage, des princes ayant droit de vie et de mort sur leurs sujets, des décapitations de penseurs libres et toute la hideur des dictatures sanguinaires, sont épargnées par une vague de «révolutions» qui détruisent une à une les Républiques ! Seulement les Républiques ! Certes des Républiques dirigées par des régimes despotiques mais qui sont loin d'égaler les excès de ces royautés d'un autre âge! 
Le commanditaire de ces révolutions européennes et arabes est le même ! C'est celui qui s'oppose à la liberté du peuple palestinien, celui qui multiplie les obstacles devant les révolutions vénézuélienne et cubaine, celui qui cherche à allumer le feu dans le golfe Persique pour vendre ses armes de la mort, celui qui encercle la Russie avec des régimes vendus ayant à leur tête des traîtres à la solde de la CIA, celui qui n'a que son arrogante dialectique terroriste pour contrer la suprématie technologique de Huawie sur la 5 G !
Avec honneur et gloire, nous pouvons affirmer que la révolution du 22 février n'a pas cette paternité et demeure, malgré toutes les tentatives des «printanistes» et de leurs maîtres étrangers, un mouvement authentiquement national sorti des «tripes» de ce peuple.
Hier est une journée historique. La société civile qui est le cœur palpitant du Hirak a organisé sa première conférence. Le passage du mouvement à cette nécessaire structuration va lui conférer une forme de représentativité légitime. Et certains ne pourront plus utiliser de fallacieux arguments pour ne pas écouter le grondement de la rue, tel ce : «Comment dialoguer avec 20 millions de bonhommes ?»  
En attendant la réunion des partis de l'opposition pour la fin du mois, il semble cette fois-ci que tous les acteurs de la vie politique et sociale prennent conscience de la nécessité impérieuse de faire du dialogue libre et responsable le meilleur moyen d'aller jusqu'au bout de cette révolution qui doit déboucher sur l'instauration d'une nouvelle ère de liberté, de justice et de progrès social pour tous.
En mettant fin à cette chronique du dimanche, je souhaite plein succès aux femmes et hommes qui vont continuer à se battre pour que cette extraordinaire mobilisation aille jusqu'au bout ! Qu'ils sachent qu'ils sont les dignes représentants de Larbi Ben M'hidi et qu'à ce titre la victoire ne peut que leur appartenir.
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