Lorsqu’elle me conta son histoire, elle en avait encore les larmes aux yeux. «Je me souviens encore de ce vieux au teint blafard, à la mine défaite, qui, ce matin de janvier, où le soleil venait à peine de se lever et où ce froid glacial me givrait le visage m’avait apostrophée. Il hurlait à qui voulait bien l’entendre : «Il ne manquait plus que ça, une femme avec sa tasse de thé dans la rue. Mais où sont les hommes ?»
Tu sais, je me suis senti humiliée, j’avais l’impression qu’on avait violé ma liberté. S’il savait comment j’en suis arrivée là. Imagine, je dors à 3h du matin, après avoir potassé des dossiers que je dois présenter à une réunion qui doit se dérouler à Constantine alors que j’habite à Boumerdès, que je me réveille à 5h, que je dois prendre la route, préparer mes deux filles, les déposer à la crèche, qu’il est 7h et que je n’ai pas eu le temps de prendre mon thé, que je suis encore dans les vapes si je ne l’avale pas.
Alors j’ai juste le temps de l’enlever du feu, de m’en servir une tasse fumante que je tiens d’une main, de traîner mes deux petites de l’autre après avoir enfilé mon sac à dos plein à craquer pour être, en fin de compte, agressée par cet horrible inconnu qui me jette des calembours en me traitant comme si je sortais d’une maison close.
C’est à s’arracher les cheveux. Je me suis sentie «mahgoura», aucun mot en français ne pourrait exprimer fidèlement ce que j’ai éprouvé à cet instant. Rien que d’en parler, cela me donne encore des aigreurs. Et je t’épargne les insanités qu’il m’a vomies au visage. Tout ça parce que je tenais une tasse de thé dehors, que de ce fait je ne pouvais être qu’une traînée.
C’est fou ! Je suis rentrée dans ma voiture, j’ai pleuré comme une madeleine. J’ai ensuite essuyé mes larmes, pris le volant et alors décidé de sortir tous les matins fière d’arborer ma chope à qui veut bien la contempler.»
