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Rubrique Le Soirmagazine

C’est ma vie DA REZKI, L’ÉPICIER

Une véritable caverne d’Ali Baba et les 4 000 produits, voilà comment je considérais l’épicerie de Da Rezki, située au centre-ville de Tissemsilt.

Par Rabah Saâdoun
On pouvait compter sur ses services, et ce, à toute heure de la journée et même un peu tard le soir. Il était toujours là, accueillant, le sourire aux lèvres, dans son magasin impeccablement tenu. On y trouvait de tout et surtout en quantité adaptée au quotidien de chacun. On pouvait n’acheter qu’une boîte d’allumettes, un morceau de savon, quelques centaines de grammes de sucre, de café, d’épices, de pâtes ou de semoule, un seul bonbon, un carré de chocolat, ou encore une mini-dose d’huile ou de lessive. Je me souviens avoir été une fois à la recherche de coton hydrophile, introuvable en pharmacie, Da Rezki me l’avait vendu le soir vers 18h, avec une telle évidence qui m’avait fait prendre conscience que c’était d’abord chez lui qu’il fallait aller quand on avait besoin de quoi que ce soit. Il avait un comptoir en bois rustique sur lequel s’allongeait confortablement son chat qui ne le quittait jamais. Un chat somnolant et ronronnant tout le temps, fatigué, sans aucun doute, par des nuits très mouvementées. Dérangé, son félin se réveillait en grognant, bâillait et s’étirait longuement. Une fois sa gymnastique terminée, il sautait par-dessus le comptoir et se dirigeait droit vers le fond du local. Il était là pour lui tenir compagnie, disait-il et, surtout, pour chasser les souris qui lui endommageaient ses marchandises. Dès que je franchissais le seuil de son épicerie, mon seul intérêt se portait sur la petite vitrine posée sur le comptoir à droite et surtout sur les bocaux en verre où il entreposait les différentes friandises. Je me rappelle de tous ces bonbons qu’on adorait nous les enfants de l’époque : «Caprice», «Fausta», «Zigomar», «Halwat smid», halkoum, le chewing-gum «Globo» et les cartes des acteurs western qu’on nous offrait à chaque achat ainsi que les billes qu’on collectionnait et échangeait entre gamins… On y trouvait aussi la seule marque de limonade de l’époque et qui nous avait accompagné durant toute une vie et partagé tous nos heureux événements : la fameuse Sersoda de Da Benali. L’appellation fait référence à la plaine du Sersou (soda du Sersou) de notre région connue pour son blé. D’ailleurs, chaque saison estivale, on organisait une fête du blé qui, malheureusement, n’est que souvenirs dans la mémoire des Vialarois. Une fois riche avec notre argent de poche qu’on se débrouillait, on se ruait vers son épicerie pour acheter nos confiseries. Je reconnais que les bonbons «Caprice» étaient mes préférés, mon péché mignon quoi ! Des étagères en bois, bien achalandées, couvraient tous les murs du local. Da Rezki était un bel homme, pas très grand, qui s’habillait modestement. Un tablier bleu foncé et une calotte qui ne quittait jamais sa tête. Il avait un signe particulier au visage, une pupille un peu blanchâtre. Était-ce héréditaire ou la cause d’une affection ophtalmologique ? Je n’en avais aucune idée. Je sais simplement que, malgré cela, dans son regard, il y avait une incroyable probité, pas une once de cupidité. Particularité qui n’affectait nullement la noblesse de son visage et la sagesse qui s’en dégageait et lui donnait, en même temps, un look atypique. Quand mon père m’envoyait acheter un produit quelconque chez lui et qu’il ne me donnait pas d’argent de poche, Da Rezki me remettait gentiment ce que je lui avais demandé et lisait tout de suite dans mes yeux cette déception de ne pas pouvoir acheter des bonbons. D’une main rapide, il dévissait le couvercle d’un bocal et me remettait quelques bonbons. Geste qu’il répétait avec moi souvent et j’étais très heureux. Eh oui ! Da Rezki avait un cœur généreux et plein d’amour envers les autres. Il était bon comme ses bonbons ! Le regretté était très patient avec ses clients les plus grincheux et avait tout le temps le sourire aux lèvres. Tous les nécessiteux de la ville de Tissemsilt avaient leur part de générosité et le jour de la zakat, en véritable musulman, il ne rechignait jamais à appliquer le troisième pilier de l’Islam. Distribuer cette aumône était pour Da Rezki une satisfaction spirituelle immense et je me rappellerai toujours de ces files de personnes démunies qui se formaient le long du mur de son local le jour J ! La modestie et l’humilité accompagnaient toutes ses bonnes actions. Da Rezki, comme tous les propriétaires de petits commerces d’antan ; à l’image de Da Messaoud qui détenait une épicerie juste à côté de lui, avait, lui aussi, beaucoup de qualités morales ; cette paire jouait un rôle central dans la vie quotidienne des Vialarois. Selon Si Rabah, que je remercie de m’avoir rappelé Da Messaoud : «On se rendait une à deux fois par jour chez Da Rezki ou Da Messaoud pour faire nos achats, mais aussi pour discuter de tout et de rien, de l’actualité, du travail, de nos familles, de la vie du quartier et de la ville ; ils étaient comme des repères, de véritables acteurs du lien social tissemsilti.» En plus d’être une écoute pour les habitants, Da Rezki était toujours là pour nous dépanner. Dans son cahier, il notait les dettes des uns et des autres, parfois de grosses sommes, mais il ne le faisait qu’avec les habitués, les personnes en qui il avait confiance. Notre épicier rendait beaucoup de services aussi aux ruraux qui se rendaient chaque mardi au marché hebdomadaire de Vialar. L’épicerie du regretté était pour eux une halte indispensable pour faire le plein en denrées alimentaires. Il acceptait même de faire du troc avec eux, leurs produits du terroir (œufs, légumes frais, fruits, huile d’olive, miel, mermez, s’men, l’ben….), voire les petits animaux domestiques (poules, lapins, dindes…) contre ses produits (sucre, café, huile, savon…). Son local était une véritable consigne : on y laissait ses clés, un document administratif qu’un cousin ou ami allait venir récupérer, ou encore un sac, trop lourd, qu’on n’avait pas envie de traîner toute la journée. Bref, tout ce qu’on ne pourrait pas faire aujourd’hui dans un supermarché ou une supérette. Eh oui, dans ces centres commerciaux, les gens consomment et s’ignorent. C’est le règne de l’individualisme, là où l’épicerie incarnait des valeurs humaines à l’image de celles du regretté Da Rezki. Heureusement que le témoin a été bien transmis ; actuellement, ce sont ses fils et même ses petits-fils, ayant hérité de toutes ses qualités et valeurs morales, qui activent encore dans le domaine de l’épicerie. Eux et les seuls épiciers encore en exercice seraient-ils les derniers garde-fous d’une société de plus en plus atomisée ?

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