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Rubrique Le Soirmagazine

C’est ma vie Le secret défloré

Un broc rempli d’eau froide à la main, Saliha, tapie derrière sa porte d’entrée, attendait avec impatience que le galopin, qui n’arrêtait pas de sonner à sa porte avant de prendre la fuite, se manifeste de nouveau. Si pour lui c’était un jeu, pour elle c’était un véritable cauchemar. Le malicieux gamin choisissait toujours le moment où elle faisait sa sieste pour commettre son forfait. Elle voulait donc le prendre en flagrant délit et lui faire passer l’envie de recommencer, en lui versant le contenu de son récipient sur la tête.
L’attente a été longue. Un calvaire pour elle qui souffrait de rhumatisme, quand enfin la sonnerie retentit. Elle ouvrit rapidement la porte et se retrouva nez à nez avec son chenapan. C’était Nabil, le fils de sa voisine Samia. En voyant sa victime se dresser devant lui le regard mauvais, le gamin eut la frousse de sa vie. Aspergé d’eau glacée, il pris ses jambes à son cou, détala comme une flèche et alla se plaindre chez sa mère.
Quelques minutes plus tard, c’était au tour de Samia, la maman du coupable, de venir s’enquérir du pourquoi de l’arrosage de son chérubin, elle était furieuse et voulait en découdre avec Saliha :
- Pourquoi as-tu fait ça à mon fils ! s’écria-t-elle rageusement.
- Depuis quelques jours, il n’arrête pas de sonner à ma porte et de prendre la fuite.
- Il fallait venir me voir, ce n’est pas à toi de le punir.
- Je ne savais pas que c’était lui, c’est uniquement aujourd’hui que l’ai surpris. Sous le coup de la colère, je n’ai pas réfléchi, c’était de l’eau propre et par cette chaleur du mois de juillet, il ne risque rien.
- Tu lui as tellement fait peur qu’il a fait pipi dans sa culotte, ça, je ne te le pardonnerai jamais.
Excédée, Saliha répliqua à son tour :
- Tu n’avais qu’à bien élever ton petit morveux au lieu de laisser le soin aux autres de le faire !
Les hostilités étaient lancées, le ton commença à monter.
- Tu n’es qu’une vieille sorcière aigrie et stérile ! Moi, mon enfant est sorti de mes entrailles, je ne suis pas allée le chercher dans un orphelinat !
C’est cette dernière phrase qu’entendit Tarik, le fils de Saliha, il venait juste de rentrer du travail.
En le voyant, les deux femmes se calmèrent, la voisine fit demi-tour et rentra chez-elle regrettant ce qu’elle venait de prononcer.
Le calme revenu, Tarik questionna sa mère.
- C’est quoi cette histoire d’orphelinat ?
- N’écoute pas les commérages de cette langue de vipère, j’ai traité son fils de mal éduqué, elle a voulu se venger en racontant n’importe quoi. Pour la rassurer et lui signifier qu’il ne  croit pas un mot aux propos de Samia, Tarik déposa un baiser sur le front de sa mère.
- Elle doit se faire soigner pour oser lancer des insinuations aussi ignobles, jamais plus  elle n’entendra le mot bonjour sortir de ma bouche ! jura la mère de Tarik.
N’empêche que le doute fut semé dans l’esprit de Tarik. Les réponses de sa mère ne l’ont pas complètement convaincu, la voisine est incapable de prononcer des sarcasmes aussi blessants sans qu’il y ait une once de vérité dans ses dires ; en plus, sa mère ne lui a jamais expliqué pourquoi il est fils unique. Son père, n’étant plus de ce monde, n’a jamais de son vivant abordé le sujet. Ne voulant pas alarmer sa mère, il décida de mener sa petite enquête. Sa profession d’infirmier allait l’aider à découvrir la vérité.
Le lendemain, il se rendit au seul orphelinat de la ville. Soraya, une de ses connaissances qui a suivi la même formation paramédicale que lui, y travaillait. Il l’attendit devant son lieu de travail en fin de journée, l’invita à faire quelques pas avec lui, parla de choses et d’autres un petit moment avant d’aborder le sujet qui lui brûlait les lèvres. Elle refusa catégoriquement :
- Malgré toute la sympathie que j’ai pour toi, je ne peux pas t’aider, c’est interdit et je risque d’être licenciée sans préavis.
- Je te jure sur la tête de ma mère que personne ne viendra te le reprocher ou te créer le moindre problème, même sous la torture je ne prononcerai jamais ton nom.
Sachant que Tarik a une parole d’homme et qu’elle peut lui faire confiance, elle lui demanda sa date de naissance afin de vérifier si ce jour-là  un nouveau-né a été admis à l’orphelinat.
Une semaine plus tard, Tarik reçut le coup de téléphone qu’il attendait avec impatience.
- Effectivement quatre jours après la date que tu m’as indiquée, une mère célibataire a confié son enfant à l’établissement où je travaille actuellement. Je te communique le nom et le prénom de cette dame. En ce qui concerne la famille qui a adopté l’enfant, il m’est impossible d’avoir accès aux registres des adoptions. Ils sont rangés dans le coffre de notre directrice.
- Mille fois merci, tu peux dormir sur tes deux oreilles, une nouvelle fois je te promets que jamais je ne trahirai ta confiance.
Le soir même, il s’isola dans sa chambre avec l’annuaire téléphonique. Il releva sur une feuille de papier tous les noms, prénoms et adresses des personnes qui ont le même patronyme que celui indiqué par Soraya. A la fin de ses recherches, il recensa onze femmes. Il  se promit d’espionner discrètement chacune d’elle.
N’étant pas idiot, il savait qu’elles  doivent être mariées et porter les noms de leurs époux aujourd’hui, mais il voulait tenter sa chance.
Les jours suivants furent consacrés à surveiller de loin pour ne pas éveiller les soupçons des dames en question. Les six premières furent directement éliminées, car trop jeunes pour être de l’âge de sa mère. La septième au contraire était trop vieille, elle fut biffée à son tour. La huitième avait de fortes chances d’être celle qu’il cherchait, mais après qu’il eut provoqué un face-à-face, il sut que ce n’était pas elle, une sorte d’instinct qu’il ne pouvait s’expliquer. Le choc se produisit lors de la neuvième rencontre, après avoir passé au crible toutes les femmes qui sortaient du domicile épié. L’une d’elles attira son attention. Il attendit qu’elle passe devant lui pour la dévisager. Le pincement au cœur qu’il ressentit ne laissait aucun doute. Il était devant sa mère biologique !
Reprenant ses esprits, la femme baissa les yeux, et entendit Tarik lui dire :
- Je crois qu’il est inutile que je me présente, vous avez sûrement deviné qui je suis ?  
Elle ne tenta pas de nier l’évidence, l’homme qu’elle avait en face d’elle ressemble comme deux gouttes d’eau à son amoureux d’il y a vingt-six ans.
- Pas loin d’ici se trouve un petit parc, nous pourrions discuter un petit instant entre mère et fils après cette très longue absence, lui suggéra Tarik.
Elle le suivit comme une automate sans prononcer un mot. Assis sur un banc public, ils restèrent un bon moment silencieux avant que la vieille dame ne se décida à parler :
- Puis-je connaître votre prénom, moi, c’est Farida.
- Tarik, vous pouvez me tutoyer.
- C’est un joli prénom ! Tout à l’heure quand je t’ai vu, j’ai cru durant quelques fractions de seconde que Salim, ton père, a ressuscité. Tu es son parfait sosie. Je ne sais pas par où commencer pour t’expliquer mon ignoble conduite envers toi.
- Ne vous inquiétez pas, madame, je n’éprouve aucune haine contre vous, je veux juste connaître les raisons qui vous ont poussée  à vous débarrasser de moi au quatrième jour de ma naissance, quoique connaissant la société dans laquelle nous évoluons, il m’est facile de les deviner. Elle le remercia du regard en constatant qu’il est aussi généreux et compréhensif que son père. C’est les yeux embués et au bord des larmes qu’elle commença son récit :
- J’ai fait connaissance de Salim à la bibliothèque communale, un beau brun au regard ensorceleur. A l’époque il n’était pas aisé d’afficher ses sentiments, on se contentait de regards langoureux et complices. On choisissait toujours le même jour pour l’échange de nos livres. Il déposait souvent le dernier roman qu’il a lu bien en évidence pour que je le prenne. J’y trouvais toujours une feuille de papier à l’intérieur où étaient écrits quelques mots d’amour à mon intention. Je ne laissais jamais ses petites missives sans réponse, puis peu à peu, on a commencé à se voir hors de la bibliothèque. J’étais folle de lui et je pense que c’était réciproque. Il aimait par-dessus tout la lecture et la moto, sur laquelle il est toujours enfourché comme si son engin bruyant et lui ne font qu’un. Il m’a souvent proposé  de monter derrière lui, mais je n’ai jamais osé, j’avais trop peur et en plus, c’était très mal vu. Mais le jour où il m’a invitée à passer tout un après-midi  en sa compagnie à la plage, je n’ai pas pu refuser ; un de ses amis lui a prêté son cabanon. Après plusieurs baignades nous nous sommes retrouvés seuls  dans le petit pavillon à l’abri des regards. Emportés par nos pulsions nous avons transgressé les règles établies. Si j’ai cédé c’est que j’avais une confiance aveugle en lui.
Tarik ne pu s’empêcher de l’interrompre :
- Et bien entendu il n’a pas tenu ses promesses.
- Non ce n’était pas ça, jamais il ne m’aurait trahie, j’en suis persuadée. C’est une tragédie à laquelle je ne m’attendais absolument pas qui allait mettre fin à notre idylle et me faire redescendre sur terre. Il fut victime d’un très grave accident de moto. Il est resté huit jours dans le coma avant de rendre l’âme. Durant plusieurs jours, je ne mangeais plus, ne dormais plus et ne vivais presque plus. A mon malheur s’ajouta celui de mon ventre qui commençait à s’arrondir, cela n’avait rien à voir avec l’alimentation. C’était le résultat de la journée que nous avions passée au bord de la mer. Ma mère s’était très vite rendu compte de mon état, je lui ai tout raconté, elle a réussi à tempérer les idées de meurtre de mon père et mes frères, à la seule condition que je me débarrasse de cet enfant conçu hors mariage. C’était la mort dans l’âme que j’ai accepté leur diktat. Ne souhaitant pas être répudiée durant ma nuit de noces et jeter ainsi le déshonneur sur mes parents, j’ai renoncé définitivement au mariage. Voilà, tu connais maintenant le triste parcours de celle qui t’a mise au monde. 
- Merci d’avoir été franche, votre histoire m’a ému, si cela peut vous rendre moins coupable, je n’ai jamais su que j’étais un enfant adopté. L’affection que j’ai reçue par ceux qui m’ont recueilli m’a empêché d’avoir le moindre soupçon sur ma filiation, ils se sont toujours comportés avec moi comme mes propres parents, c’est par pur hasard, il y a seulement quelques jours, que j’ai appris votre existence. Aujourd’hui tout ce que je peux vous promettre, c’est de vous revoir de temps en temps et si vous avez des soucis de santé, vous pouvez m’appeler de jour comme de nuit, je suis infirmier, je travaille à l’ancien hôpital. Tout ce que je vous demande en échange, c’est que vous gardiez le silence sur notre véritable lien de parenté, en aucun cas je ne voudrais blesser Saliha, ma mère d’adoption.
- Je comprends, avant de nous quitter puis-je te serrer dans mes bras quelques petites secondes? Il accepta tout en essuyant discrètement ses larmes.
En rentrant chez lui, il trouva sa mère en compagnie de Samia, la voisine à la langue trop pendue, elles blablataient tranquillement devant des tasses de café. Et dire qu’il n’y a pas si longtemps elles étaient prêtes à s’étriper, et aujourd’hui les voilà, comme par une baguette magique, devenues les meilleures amies du monde. Ah ! les femmes. Il ne faut jamais prendre leurs disputes au sérieux, pensa-t-il en souriant.
- Samia est venue s’excuser pour les paroles qu’elle a prononcées lors de notre dernière discussion orageuse.
- Tarik, je ne suis qu’une vilaine menteuse quand j’ai dit que Saliha n’était pas ta vraie mère. Quand elle a accouché de toi, j’étais présente. La sage-femme est venue te mettre au monde à la maison. Mon mari me dit souvent que j’ai une langue de vipère quand je suis en colère, je crois qu’il a raison. J’implore ton pardon !
- C’est déjà oublié chère voisine, je sais que c’est elle qui m’a enfanté, j’étais un peu en colère sur le moment, c’est tout. Tu seras toujours la bienvenue chez nous, à condition que Nabil arrête de jouer avec les nerfs de ma mère. 
Farida, la mère biologique de Tarik, se rendait à l’hôpital dès qu’elle a un peu de vague à l’âme, elle y rencontrait celui qui lui rappelait son premier et unique amour. L’infirmier prenait toujours le temps de bavarder un petit moment avec la vieille dame, et ce, jusqu’au jour où elle décéda à l’âge de 75 ans. Tarik assista à l’enterrement en tant qu’infirmier qui venait lui faire ses piqûres à domicile, ce que les présents n’ont pas compris, se sont les torrents de larmes qu’il n’arrivait pas à maîtriser alors que la défunte n’était qu’une malade comme les autres pour lui.
Saliha, sa mère d’adoption, n’a jamais su l’existence de Farida. Elle est partie à l’âge de 82 ans, la conscience tranquille.
Tarik n’a raconté cette histoire à son épouse et ses enfants qu’après la disparation de ses deux mamans.

 

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