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Rubrique Les choses de la vie

Ce que je sais de Mohamed Mgueddem

La dernière fois que j’avais vu Mohamed Mgueddem, c’était il y a quelques années à l’hôtel El-Djazaïr où je déjeunais avec un ami. Il m’accueillit avec sa coutumière ferveur, me présentant à ses copains comme un «frère de longue date» et un journaliste «entier». Aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours entendu ces mêmes propos de sa bouche et, même quand je suis absent et que l’occasion se présente à lui de parler de ma petite personne, il avait le même jugement. Ce jour-là, il était avec des amis et, après le dessert, il se joignit à notre table. Le repas se prolongera jusqu’à 17 heures ! Exceptionnellement, serveurs et maître d’hôtel furent mobilisés et je ne sais plus combien de verres de thé Mohammed but. La présence d’El-Hadj était un événement et tout le monde se mit à son service. Que disait-il qui mérite d’être retenu ? Pas grand-chose ! Ses envolées étaient toujours tranchantes. Il ne connaissait pas les demi-mesures et, ce jour-là, je fus étonné de la salve qu’il dirigea contre le Président Bouteflika. C’était d’une violence inouïe. J’avais compris qu’il était en disgrâce…
A quand remonte ma première rencontre avec Mohamed ? C’était au début des années 70. Il occupait le poste de responsable de l’information au sein de la SNTV. M’ayant rencontré par hasard au cours d’une couverture, il me donna son numéro de téléphone direct et sa carte de visite. Au cours du printemps suivant, il se présenta à mon domicile, me priant de mettre rapidement un costume et de l’accompagner. Il insista tellement que je me retrouvai dans la superbe 504 noire qu’il conduisait nerveusement. Destination : l’Auberge du Moulin, à l’entrée de Cheraga. Il y avait tous les responsables de la SNTV ainsi qu’une belle brochette de journalistes. On fêtait quoi ? Je ne sais plus mais ce genre de réception pour les journalistes était une tradition bien installée au niveau des institutions, des ministères et des sociétés nationales. La plus connue – et la plus fréquentée – était celle du ministère de l’Industrie et de l’Energie. L’alcool y coulait à flots et M. Belaïd Abdesselam se retirait juste avant que ça ne tournait à la confusion éthylique. Certains confrères utilisaient les tables comme piste de danse : les verres et les plats en porcelaine en faisaient les frais dans un fracas épouvantable accompagné par les vivats, les applaudissements, les rires et les chants ! Mais cette parenthèse se refermait le lendemain et tout le monde se remettait au travail. Il n’y avait aucun désordre à la réception de la SNTV. Allure plutôt guindée. Le directeur général prit la parole pour faire un bilan de sa société qui était en situation de monopole sur les lignes interurbaines. Mohamed jubilait. Il avait réuni beaucoup de plumes connues.
Le gars avait une solide réputation de champion des relations extérieures. Il savait entretenir des amitiés avec les journalistes, et pas seulement, qui dépassaient le strict cadre professionnel. Jusqu’à aujourd’hui, je ne sais plus si c’était sincère ou par calcul professionnel. Mais, au fond de moi-même, je dois reconnaître que je penche plutôt pour la sincérité de ses rapports avec moi.
Il y eut d’autres rencontres avant que Mohamed ne disparaisse des écrans. Nous apprîmes qu’il travaillait avec M. Abdelghani. Je ne le revis que plusieurs années plus tard au cours d’un passage à la présidence de la République. Je buvais l’excellent - et introuvable - café servi à la cafétéria d’El-Mouradia quand sa silhouette droite et mouvante se planta devant moi. Son accueil ne fut pas différent des fois précédentes. Il me dirigea vers son bureau qui empestait le cigare. Nous étions au milieu des années 80, encore loin du séisme qui allait ébranler les assises du pouvoir.
J’eus de nombreuses autres occasions de le rencontrer. Quand j’arrivais à El-Mouradia, le secrétaire m’introduisait rapidement chez Mohamed, laissant généraux et gros pontes ahuris, me foudroyant du regard car je brûlais les étapes alors qu’ils attendaient leur tour. La différence entre moi et ces visiteurs, c’est que j’allais voir un ami alors qu’ils venaient pour des services à titre personnel. La seule fois où je demandai une intervention, ce fut au profit d’un… mort. Un parent malheureux qui décéda à l’hôpital de Meftah et dont la famille ne savait pas à quel saint se vouer pour conduire la dépouille mortelle jusqu’à M’daourouch, à près de 700 kilomètres d’Alger. Il me répondit un quart d’heure plus tard : «Tu aurais pu aller voir directement un fils de ton patelin. C’est à lui que je me suis adressé. Il va s’occuper de tout. D’ailleurs, il connaît le défunt.» Mohamed parlait de M. Abdelhamid Saïdi, proche collaborateur du DGSN. La dépouille mortelle fut envoyée par avion à Annaba et des billets gratuits attendaient les membres de sa famille. Le cortège funèbre jusqu’à M’daourouch fut essentiellement composé de voitures de la police. On m’appela pour me remercier et certains, ne connaissant pas les tenants et les aboutissants de l’affaire, pensèrent que feu tonton Ali Chadli occupait un poste important qu’il cachait !
Au cours des années suivantes, Mohamed réserva à notre journal (Horizons) quelques scoops sur le Président Chadli et je dois dire qu’il n’intervenait pas dans notre travail, ni d’ailleurs M. Bachir Rouis, ministre de l’Information. Les rares fois où il nous sollicita se comptent sur les doigts d’une seule main. Comme par exemple, pour gonfler en «Une» l’info sur la création de l’association des zaouïas qu’il me présenta comme un projet de M. Larbi Belkheir visant à «contrer le courant islamiste» ou la première photo de M. Bendjedid et de sa femme en chèche, sirotant le thé du côté de Djanet. Après le 5 Octobre 1988 et la disparition du ministère de l’Information, la présidence nous réunissait souvent. Mais ce n’était pas pour nous orienter ou nous donner une quelconque ligne à suivre. Que ce soit M. Mouloud Hamrouche, M. Larbi Belkheir ou même M. Chadli Bendjedid – qui nous reçut une fois, tout nos hôtes nous disaient qu’ils étaient là pour nous écouter. Nous devions donner notre avis sur le multipartisme, participer à la rédaction de la nouvelle Constitution, etc. Sur le premier point, seuls les dirigeants de la presse du parti et des organisations de masse voyaient mal le multipartisme. Sur le second, je me retirai très vite de la commission car une Constitution, c’est quelque chose de sérieux et sa rédaction exige une certaine spécialisation et des capacités juridiques que ne pouvait avoir un journaliste polyvalent.
Pour Mohamed, la lune de miel avec M. Mouloud Hamrouche ne tarda pas à laisser place à ses rapports très tendus. Mohamed joua un rôle crucial dans l’éviction de M. Kasdi Merbah de son poste de chef de gouvernement. Il m’appela pour me demander de participer à une réunion dans une villa du Club-des-Pins. Je sentis le roussi et m’excusai de ne pouvoir y assister. Des confrères encore vivants savent ce qui s’est tramé au cours de cette réunion dont l’objectif était de mettre fin au règne de M. Kasdi Merbah qui tenait tête au président de la République. Il y avait trop de monde contre lui : Belkheir, Hamrouche, Mgueddem et beaucoup d’autres. La bataille fut remportée par les plus forts. Mais dès l’installation de M. Mouloud Hamrouche et la formation de son gouvernement, Mgueddem se sentit floué. «J’avais la promesse d’obtenir le portefeuille de ministre de l’Information», me disait-il au cours de la réception organisée par Le Soir d’Algérie au «Mouflon d’or» pour la parution du numéro zéro. C’était la dernière fois où je le voyais avant cette rencontre inopinée à l’hôtel El-Djazaïr. Ceci est un témoignage qui reste évidemment incomplet et subjectif car basé sur des souvenirs personnels. Maintenant qu’il est devant le Juge suprême, Mohamed ne peut plus compter sur ses puissantes relations et ni son poste, ni sa fortune ne lui seront d’aucun secours. Seules ses actions seront prises en compte… Paix à son âme !
M. F.

P. S. : il manque à ce témoignage l’essentiel : tout ce qui se raconte sur ses relations, sa puissance occulte, ses interventions pour nommer ministres et responsables… Je l’ai connu avant cette période et je ne sais rien de tout cela, si ce n’est des bribes récoltées dans la presse.

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