Placeholder

Rubrique Les choses de la vie

Critique cinéma dans un pays sans cinémas !

Le cinéma est un art, c’est-à-dire une expression de la réalité, qui n’est en aucun cas la vérité, mais qui, s’en inspirant ou la prolongeant, exprime une sensibilité propre au cinéaste. Cette sensibilité peut être idéologique comme elle peut se limiter à une simple interprétation de cette réalité, soumise à la vue subjective, à la vision artistique du créateur.
Voir le cinéma comme un domaine où s’exprime la vérité est réducteur de l’immense capacité du septième art à imaginer les situations les plus invraisemblables. C’est cela la force suprême du cinéma : dépasser l’espace et le temps pour sonder les abysses des époques préhistoriques ou futures et aller jusqu’aux étoiles galactiques ! Dès lors, quel est le rôle du critique, ce spécialiste chargé de nous parler du film ?
S’il se limite à le raconter, il n’aura rien inventer. Il suffit de lire le synopsis pour avoir un résumé de l’œuvre. Le critique doit aller plus loin que le film. Il doit l’interpréter, l’analyser, le comparer, l’insérer dans des préoccupations qui concernent la société, le lier à des événements historiques, etc. Forcément, cette vision ne peut être que subjective. On a beau parler de «critique objective», celle-ci n’existe pas. Le critique, comme le cinéaste, est prisonnier de ses penchants idéologiques et de ses goûts artistiques. Par conséquent, sa critique est nécessairement réductrice. Ainsi est née, petit à petit et au fil des décennies, une uniformisation de la critique, elle-même fille de la standardisation du produit cinématographique, le modèle hollywoodien, c’est-à-dire le cinéma de spectacle, l’emportant sur le cinéma à thème et tout autre forme d’expression artistique «différente». Le cinéma d’auteur est réduit à sa plus simple expression et ne se voit plus que dans les salles d’art et d’essai. Pour être réussi, un film doit réunir les ingrédients à succès puisés dans le modèle américain et tous les films finissent par se ressembler ! Actuellement, les têtes d’affiches françaises ou espagnoles ressemblent comme deux gouttes d’eau aux productions venues de Los Angeles et il en est jusqu’aux cinémas du Tiers-monde qui essayent de mimer les superproductions américaines (voir les dernières tendances en Égypte et en Inde). Le film authentiquement national, exprimant une réalité différente ou des revendications politiques et sociales inhérentes au combat des peuples, est déclassé automatiquement, car marginalisé par le système dominant. La mondialisation est passée par là !
Dans ce contexte-là, les critiques de cinéma influents, que l’on retrouve désormais dans les grandes chaînes de télévision commerciale et dans les revues TV à gros tirages, ne peuvent être que le produit de ce système. Les revues spécialisées dans la vraie critique de cinéma qui se faisaient dans un cadre non commercial et qui étaient animées par des passionnés de cinéma, des critiques réellement indépendants, ne sont plus les repères incontournables de la vie cinématographique : ils n’influencent plus le grand public. C’est ainsi qu’un grand film d’auteur, une œuvre majeure, fruit de l’intelligence d’un scénariste et du génie d’un cinéaste, peut passer inaperçue parce qu’elle est DIFFÉRENTE du discours dominant. Cette différence, cette quête d’authenticité, cette marque de divergence, est considérée par les critiques bien pensants comme une hérésie. Un succès commercial, souvent un film à spectacle bêtifiant, sera considéré comme un chef d’œuvre, alors qu’une création originale, authentique, sera descendue par le sobriquet de «navet» ! C’est un cinéma difficile, donc pas rentable. Rentabilité, le mot est lâché. Il n’y a plus de sous dans les caisses des Etats pour sauver ce cinéma de création. Certains gouvernements tentent pourtant d’intervenir pour aider le cinéma, mais les obstacles sont nombreux. Comme la télévision commerciale, le cinéma a besoin d’audience pour survivre. Les vieux critiques continuent pourtant de lutter contre le système dominant et décerner des palmes aux œuvres nationales marginalisées, mais leur voix se fait de plus en plus faibles, submergée par la puissance de l’argent. Dans ces conditions générales, il devient de plus en plus difficile pour les critiques indépendants d’exercer leur métier. Et pour parler de leur situation en Algérie, autant dire que c’est une mission impossible. Et d’ailleurs, peut-on parler de critiques cinématographiques ici, alors que ce cinéma à proprement parlé n’existe pas ! Pire, même si quelques productions ont pu voir le jour grâce à des «années culturelles» qui ne répondent en rien au besoin impérieux d’une véritable relance nationale et populaire du cinéma et qui restent des réponses ponctuelles à des événements à caractère politique ; même donc si ces productions ont pu voir le jour, elles ne sont généralement visionnées que par quelques milliers de spectateurs au plus !
Quand le cinéma perd son statut d’art populaire – c’est le plus populaire par définition – car dépourvu de vie, incapable d’aller plus loin que les cérémonies officielles ou les festivals, on peut considérer qu’il n’existe pas tout simplement. Et si la critique doit continuer à s’exprimer dans ce monde clos et calfeutré, juste pour continuer à jouer le jeu, à fonctionner en tant que regard nécessaire au bon fonctionnement de la machine, loin de ses objectifs sacrés qui sont d’éclairer l’opinion publique, cette critique devient alors aussi inutile que les discours politiques qui nous promettent, à chaque changement de ministre, la relance pour l’année en cours !
En termes plus clairs, le cinéma n’existe pas si les salles de projection sont inexistantes. Et la critique de cinéma devient absurde dans un pays où elle parle aux gens de films qu’ils ne verront pas ! La question cruciale, fondamentale qui se pose aujourd’hui avec acuité est celle des salles de cinéma. Tant que le ministère de la Culture ne nous dit pas clairement ce qu’il compte faire du parc existant – 450 salles à l’indépendance, une douzaine aujourd’hui —, tant qu’un programme national de construction de salles de cinéma (et de salles de spectacles polyvalentes, ce que l’on appelle les complexes multisalles) n’est pas décidé, en urgence, par le gouvernement, il ne servira à rien de produire des films et encore moins à parler de critique cinématographique !
Voilà pour la situation actuelle. Je ne m’attarderai pas donc sur la question relative à la situation de la critique aujourd’hui dans la mesure où, faute d’audience, si je puis m’exprimer ainsi, cette critique est morte de sa plus belle mort ! Elle continue pourtant de s’exprimer dans certains journaux où des critiques aguerris, rescapés de la grande tempête, tentent, tant bien que mal, de perpétuer une tradition née au lendemain de l’indépendance, avec la naissance du cinéma algérien indépendant, dont les véritables origines remontent cependant à la guerre de Libération. Ces critiques continuent de décortiquer les films, de couvrir les festivals, comme si de rien n’était, comme si, à la lecture d’un de leurs papiers, nous pouvions décider de boycotter telle œuvre ou de courir pour ne pas rater telle autre ! En conclusion, je termine avec ce passage d’un grand passionné de cinéma, M. Jacques Grant, qui écrivait dans la revue Cinéma 77 : «Et c’est pourquoi, contrairement à la vie, mieux que dans la vie, pour la vie, le cinéma, où on éclaire artificiellement les nuits pour y rendre visibles les visages des comédiens, donne de l’importance à l’individuation. Le cinéma a incontestablement un but, c’est de permettre de voir ce que la vie (le cinéma critique) cadre, à savoir ce qui se passe quand des hommes sont enfin regardés, dans le moment unique et privilégié du spectacle, vivre des ruptures.»
M. F.

PS 1: le Festival d’Annaba est pire perte d’argent. La ville est sans salles obscures depuis belle lurette. Toutes ces sommes gaspillées pour faire du Cannes de bas étage pourraient servir à retaper les onze salles livrées aux rats…
PS 2 : j’évoquerai le cas de Sarkozy le jour où il sera présenté devant le TPI, en compagnie de l’autre destructeur de pays, j’ai nommé l’agent du Mossad qui circule sous la fausse identité de philosophe. Quant au fric pris de force, volé ou reçu en contrepartie d’avantages divers, n’est-ce pas la marque maison de ces républiques de l’argent livrées aux oligarchies locales sous couvert de «démocraties» ?

Placeholder

Multimédia

Plus

Placeholder